Rassurez-vous tout de suite, cet article ne tente pas de croiser le dernier opus de Battlefront avec une analyse sociologique de la désertification du bocage normand. Mais plutôt d’évaluer l’impact des changements radicaux opérés dans le système CMx2 concernant la manière de lier des batailles entre elles. Il s’agit ici en préambule, d’une analyse des avantages comparatifs de cette évolution. Dans un prochain article plus détaillé nous utiliserons la campagne Devil’s Descent pour tester la pertinence des critiques énoncées ici et en profiterons pour décortiquer quelques mécanismes.
Rappelons d’abord les faits, depuis Combat Mission Beyond Overlord, sorti voilà maintenant près de 10 ans, le système Combat Mission est résolument orienté vers le multijoueur. En effet, en dehors des restrictions communes à toutes les IA concernant leurs compétences tactiques, chacun des trois types d’engagement (les scénarios, les batailles rapides (QB) et les opérations) trouvaient sa vraie dimension ludique dans l’affrontement contre un adversaire humain.
C’est évident dans les deux premiers cas. Le choix du placement et surtout des ordres de bataille dans le second cas sont devenus rapidement des sciences dont les arcanes furent peu à peu diffusés. Certains joueurs trouvant même un prolongement de leur personnalité dans l’affection portée à tel type de Task force / Kampfgrüppe dont le subtil équilibre avait été éprouvé des heures entières. Le dernier cas était plus original : des batailles avec un OB évoluant dynamiquement s’enchainaient sur une même carte qui conservait les dommages et enregistrait l’évolution de la ligne de front.
Ces « super-scénarios » offraient une autre dimension : en plus d’un terrain souvent de grande dimension permettant de profiter des facteurs de mobilité et de réserve, la gestion de l’effort, l’évolution des forces et même du terrain se rapprochait de l’expérience wargamique ultime. Pourtant ce système n’était pas exempt de défauts : la gestion de ligne de front et une simulation du commandement finalement assez basique entraînaient des pratiques « gamey » et transformaient souvent les débuts les plus rigoureux en mêlées informes très éloignées des contraintes d’un champ de bataille moderne.
Très vite, les concepteurs de scénarios développèrent différents systèmes de méta-campagnes utilisant la possibilité de manipuler les sauvegardes finales de chaque QB (aussi bien les cartes que les forces restant sur le terrain) et ouvrant ainsi des perspectives inépuisables de parties plus ou moins massivement multi-joueurs (dans les limites d’un arbitrage restant essentiellement humaine) c’est-à-dire avec des niveaux hiérarchiques plus ou moins développés.
Après une décennie, cette possibilité commune au trois opus de CMx1 continue à produire des trésors de sophistication ou d’ingénieuses simplifications, afin de simuler de grandes batailles voire même des conflits entiers. Ainsi le vénérable site Appui-feu a ouvert depuis le début de l’année 2011 une méta-campagne permanente multi-front et multi-opus…
Une telle longévité témoigne donc de la justesse des choix opérés sur au moins deux points : la jouabilité et la souplesse d’un tel système.
Or, en 2007, Combat Mission Shock Force premier opus du nouveau moteur CMx2, les opérations ont été abandonnées au profit de campagnes qui avaient l’avantage d’être gérées directement par le moteur de jeu mais qui ne sont plus jouables qu’en solo ! La liaison est désormais faite entre différents scénarios le long d’une trame semi-dynamique souvent très narrative mais sur des cartes différentes (ou alors sur une même carte mais sans enregistrement des dégâts d’une bataille précédente). L’unité de base (Core-unit) conserve la trace de l’état réel des effectifs, du moral, du matériel et des munitions gérés là aussi de manière dynamique puisque l’on peut paramétrer les niveaux de remplacement, de réparation et de ravitaillement. L’IA dotée de plans pour chacune de ces étapes peut enfin offrir un challenge intéressant.
La comparaison avec CMx1 n’a pourtant pas beaucoup porté sur cet élément tant d’autres choix ont d’abord suscité d’inépuisables débats : l’intérêt d’un conflit contemporain asymétrique comme celui d’une invasion de la Syrie par une coalition type OTAN, y compris l’intérêt tactique de tels affrontements où le matériel Made in USA se suffisait souvent à lui-même en guise de plan (ceux qui ont déjà éradiqué une compagnie mécanisée syrienne avec quelques Javelins embusqués comprendront), l’intérêt ludique d’une simulation 1 :1 des combattants et du repérage relatif, l’abandon du système précédent des QB qui restait largement le type d’engagement le plus pratiqué en multijoueurs.
En fait, un grande partie de l’audience de CMx1 avait tout simplement laissait passé cette déception en continuant à s’amuser avec leurs vieux jeux les comblant toujours autant et en espérant mollement en une annonce d’une probable migration spatio-temporelle du moteur CMx2 vers la chère Normandie de 1944.
Entre temps, l’évolution du marché vidéoludique touchait également Battlefront. Les deux aspects les plus significatifs (et qui sont d’ailleurs la marque de notre société de consommation contemporaine) sont l’obsolescence programmée et l’abonnement. Tous les joueurs ont en effet constaté qu’en quelques années, ils sont devenus des beta-testeurs non rémunérés. De moins en moins de clients s’étonnent d’acheter des jeux dont la version Gold est en fait une version beta évitant tout juste les CTD intempestifs et qui sont donc régulièrement patchés, parfois lourdement : CMSF a ainsi révélé dans les premiers mois de sa sortie des bugs majeurs.
Plus encore, les améliorations de fond ne sont désormais non plus consacrées à modifier un système de manière rétroactive mais à servir de teasing à une nouvelle version du moteur. C’était certes déjà vrai avec CMx1 et ce n’est qu’en partie vrai avec CMx2, puisque le dernier patch de CMSF sorti plus de deux ans après la version Gold continuait à offrir de nouvelles fonctionnalités. Mais l’obsolescence est plus évidente quand on constate la fermeture progressive du système aux modifications des joueurs.
Certes, le modding extérieur reste possible et a même été facilité par l’ajout de deux petits programmes de compression des sons et des images dans le coût de l’achat : l’interface et les textures peuvent être redessinés par les esthètes du camouflage. Mais le reste est de plus en plus hermétique. Les sauvegardes de parties ne peuvent plus être ouvertes par l’éditeur : ainsi une bataille ne peut servir de point de départ à une autre en dehors du système intégré de campagne.
Tout le travail doit maintenant être traité en amont par des arbitres pour qui le temps à y consacrer semble sisyphéen. Ce n’est sans doute pas un hasard si la seule méta-campagne proposée sur CMSF (l’opération Nemesis) est mort-née. Quant au concept d’abonnement, la logique de modules qui a caractérisé CMSF, dans la veine des DLC chère à de nombreuses séries, ne semble pas prête de s’arrêter.
Il y a certes une différence entre les logiques commerciales des éditeurs des Total War, HoI ou Civ V et les contraintes budgétaires d’un studio comme Battlefront. Mais le cas de Battle for Normandy est quand même caricatural pour le joueur (même s’il se justifie par l’ampleur du travail de conceptions des modèles 3D et des OB) : prétendre offrir une simulation des « Batailles de Normandie » en distinguant les combats sur Utah et ceux de Sainte-Mère-Eglise ou Carentan parce qu’il n’y a pas de Fallschirmjäger dans le premier opus, ça ne passe pas ! Là où CMx1 offrait de vrais fronts, CMx2 les livrent en carpaccio !
CMBN s’ouvre donc sur les seuls ordres de bataille de l’armée américaine et de la Wehrmacht en juin-août 1944 : pas de vilains SS, et pour les autres armées alliés il faudra attendre et surtout mettre la main au portefeuille à deux ou trois reprises pour simuler le front de l’ouest entre l’été 44 et le printemps 45, soit l’équivalent de ce que proposait Beyond Overlord !
Mais Cyber n’est pas une tribune économique et mon propos n’est pas réactionnaire. La vraie question est de savoir si ce que les joueurs ont peut-être perdu est compensé par des gains significatifs.
Or, le nouveau moteur CMx2, et spécifiquement CMBN, offre d’indéniables atouts, dont l’essentiel peut se résumer à une importante amélioration du réalisme et donc de l’immersion. Observons plus spécifiquement ce que cela signifie en analysant comme exemple le nouveau système de campagne de CMx2.
Premièrement, rappelons que fondamentalement, les campagnes lient désormais des scénarios là ou les opérations disséquaient un gros scénario en un certain nombre d’engagements. Donc, pour la majorité des joueurs qui n’ont jamais créé leur propre scénario (ou participé via des systèmes plus ou moins simples aux campagnes de CMx1), le nouveau système est bien une avancée. A l’exception notable que CMx1 pouvait générer des opérations aléatoires. Surtout, étant conçu à partir de l’éditeur de scénarios, les étapes d’une campagne de CMx2 sont donc dotées de plans (définissant les actions/réactions semi-aléatoire) permettant un jeu en solo contre des IA satisfaisantes et une rejouabilité décente.
Deuxièmement, il n’est pas inutile de rappeler que la terminologie trompeuse de campagne peut entraîner de mauvaises analyses : Combat Mission a toujours été un simulateur de combats tactiques et il le restera probablement toujours. Son échelle espace-temps (temps réel ou tour par tour d’une minute, ‘‘case’’ de terrain d’une vingtaine de mètre à CMx1 et de moins d’une dizaine dans CMx2) et ses éléments de jeu (échelle du groupe de combat et des armements et véhicules individuels) confrontent le joueur à des engagements de courte durée et de forte intensité.
En aucun cas, la logique du système n’est faite pour couvrir une longue opération et encore moins une campagne c’est-à-dire par exemple suivre une unité depuis son arrivée en Normandie jusqu’à la fin de la bataille de Falaise.
A l’échelle retenue par Combat Mission, un système qui tenterait de le faire serait absurde : même si certains récits, comme la célébrissime série télé Bands Of Brothers, peuvent servir de trame décrivant le sort de quelques combattants sur près d’un an de guerre à l’ouest, un simulateur tactique comme Combat Mission est juste au dessus de cette échelle individuelle : s’il est théoriquement possible de suivre la Easy Company de la 506th, les personnalités qui la composent sont anonymes et interchangeables d’autant plus que le taux de remplacement dans ces unités de combat souvent en première ligne était très important.
CMBN entretient d’ailleurs une fausse impression à ce sujet. Les groupes playmobil de CMx1 sont désormais remplacés par des animations pour chaque combattant dont l’armement, les positions et les comportements sont fidèlement reproduits. Plus encore, si le moral est globalement toujours déterminé au niveau du groupe entier, chaque membre peut être plus ou moins réactif et dans le pire des cas, un blessé ou un couard ou même un ‘‘berseker’’ peut se détacher de ce groupe (mais n’en deviendra pas une unité à part entière). Pourtant, les compétences et les ordres restent collectifs.
Dans le système CMx2, les campagnes désignent donc une série d’engagements sur quelques heures ou sur quelques mois où la Core Unit n’est d’ailleurs identifiée que si le briefing le souhaite (le système ne désigne pas explicitement les unités de base et les unités auxiliaires pour éviter les comportements de conservation des premiers).
Si identification il y a, elle se situe donc au niveau de l’officier responsable des forces déployées, soit un commandant de compagnie ou de bataillon. Or à ce niveau, le système offre un Command and Control bien plus réaliste qu’avec CMx1.
Enfin, la puissance de l’éditeur de scénario et de campagne ouvre d’appétissantes perspectives. Les cartes et la durée des scénarios sont désormais deux fois plus importantes (4×4 km et 4 heures maximum) sans même parler de leur aspect visuel. Le nombre de paramètres a fortement progressé.
Mais ce qui retient surtout l’attention c’est que les résultats des scénarios sont désormais bien plus complexes : aux objectifs géographiques (que sont « occuper », « défendre », « détruire », « atteindre » « quitter » et cela de manière plus ou moins transparente aux protagonistes), il est possible d’associer une grande variété de gratifications pour les pertes infligées ou économisées.
Sur une très grande carte il est tout à fait possible de simuler une bataille de taille moyenne comme celle-ci : Purple Heart Draw. De plus, comme nous le verrons en suivant « Devil’s Descent », un scénario peut devenir une étape à choix multiples ouvrant alors, en plus des contraintes liées aux résultats des scénarios, des alternatives limitées par la seule imagination du concepteur. Ainsi, le joueur peut choisir les forces à déployer pour la suite ou une route pour poursuivre la campagne.
Les campagnes deviennent donc très narratives et même si l’identification aux troupes est très inférieure à un FPS, elle est bien supérieure à certains jeux de stratégie tactique plus anciens (Close Combat) ou plus récents (Company of Heroes, Men at War pour les STR et Panzer Command ou Theater of War pour les plus ‘’sérieux’’). En effet, si en matière de wargame opérationnel ou stratégique l’immersion est assez subjective, à l’échelle tactique le réalisme de l’environnement est essentiel.
Et c’est évidemment ce qui marque le plus la transition entre CMx1 et CMx2 : au prix d’une config PC moyenne, la végétation, les bâtiments, l’aspect des moindres unités mais aussi, les effets météorologiques, les détonations, les dialogues et les effets de lumière offrent un spectacle de chaque instant.
Seule absence notable, la disparition des incendies (aux bâtiments comme à la végétation qui jouèrent pourtant un rôle majeur en Normandie par exemple sur Omaha Beach le 6 juin).
En jouant on se surprend à écouter un sergent encourageant à votre droite (l’environnement sonore est sensible à l’emplacement de la caméra) un groupe de soldats dont l’un, blessé, gémit. Alors que loin devant les obus de 81mm d’un barrage tonnent quelques dixièmes de secondes après les explosions et tentent de faire taire le staccato caractéristique d’une MG42 dont on ne devine que les traçantes dans l’aube brumeuse…
Par contre, ici, les campagnes souffrent d’un vrai défaut : l’absence d’enregistrement des dommages subis par le terrain. S’il est tout à fait possible de lier des scénarios sur une même carte, la réparation immédiate des dommages aux bâtiments, le comblement des cratères, et l’évacuation des carcasses de véhicules entre chacun obligent soit à limiter ce type de campagne à l’infanterie soit à changer de carte à chaque scénario. Si un module Market-Garden doit sortir, on l’imagine difficilement compatible avec ce ‘bug’ dans le cas d’un pont détruit ! Mais peut être qu’en plus de cette amélioration, nous aurons également droit aux DUKW amphibie avec effet rétroactif sur le premier opus permettant de simuler réellement des débarquements ?
Un autre aspect que l’on découvre peu à peu et qui prend tout son sens dans une campagne est la gestion du commandement. Là où CMx1 ne présentait qu’un seul type de lien hiérarchique (entre une série de troupes et une unité de commandement), CMx2 peut retracer toute une chaîne de commandement sur quatre échelons, or ces liens sont essentiels pour assurer à la fois la transmission des informations, du contrôle des unités (ce qui assure leur cohésion au feu et évite les paniques en cascade), et des demandes de soutien (l’artillerie hors-carte et l’aviation tactique).
Nous pourrions encore longuement disserter des avantages et des inconvénients de CMx2 par rapport à CMx1. L’idéal est évidemment l’épreuve du feu. Comme annoncé au début, vous pourrez donc suivre un AAR commenté de la campagne Devil’s Descent dont une version française est disponible sur cette page chez Battlefront.