Slitherine nous propose avec Commander – The Great War un jeu de la catégorie « easy to play, hard to master », un genre risqué car s’adressant à deux groupes de joueurs très différents, les joueurs occasionnels de jeux de stratégie, et les wargamers chevronnés. Le thème de la Première Guerre mondiale au niveau stratégique et opérationnel a été repris plusieurs fois ces dernières années au travers de différents jeux vidéos. Commander The Great War se taille une place d’exception parmi eux.
Commençons par les possibilités techniques du jeu. La carte, qui se limite à l’Europe, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et une partie de la côte Atlantique des États-Unis, parait comme une impasse au départ. Le front de l’Ouest atteint au mieux une quinzaine d’hexagones, et même les vastes étendues du front de l’Est semblent se trouver à portée de main. La pratique montre néanmoins que la carte propose suffisamment d’espace pour mettre en oeuvre des stratégies complexes, tout en évitant les travers des « monster games » quasiment ingérables.
Pour un jeu sur la Grande Guerre la variété des unités est assez grande et reste plutôt fidèle à la réalité historique, avec un bémol sur une aviation un peu trop efficace lorsqu’il s’agit d’endommager des industries en territoire ennemi. Les bombardiers et dirigeables étant hors de prix et les dommages encourus dépassant rarement 1% de la production industrielle totale, on peut cependant fermer les yeux sur ce point qui ne tracassera que les puristes.
Les combats d’infanterie sont bien rendus, le sentiment d’être au milieu d’une immense guerre d’attrition (le fameux « grignotage » de Joffre) est présent. L’artillerie lourde, incluse sous forme d’énormes concentrations de canons pouvant soutenir une offensive, est hors de prix. Les développeurs ont fait ici preuve de créativité et mis la production de munitions pour cette artillerie à part. Dans la plupart des jeux les munitions sont un aspect secondaire, alors que ce point était un énorme problème des belligérants. Impossible donc de bombarder au gré d’une humeur les lignes ennemies, il faudra économiser les précieuses munitions pour des moments décisifs, et faire des choix draconiens concernant l’industrie.
La gestion de la main d’oeuvre, elle, serre la vis en obligeant les joueurs à faire très attention aux pertes humaines. Quand le niveau de réserves baisse en-dessous de 70% de celui en 1914, l’efficacité industrielle baisse elle aussi, ainsi que le qualité de toutes les troupes formées à partir de ce moment. L’effet augmente si les réserves humaines se tarissent encore plus. Réserves qui n’augmentent jamais, sauf quand des convois de l’Entente arrivent des colonies, simulant le flux humain venant des empires coloniaux de la France et du Royaume-Uni.
Ces convois sont d’ailleurs le point névralgique de l’Entente. Ils suivent des routes navales fixes et apportent des ressources humaines et matérielles gigantesques à leurs nations. Les Allemands peuvent bien sur les attaquer, en premier lieu avec des sous-marins. Ceux-ci ne sont visibles que quand ils attaquent, et ne peuvent être visés que si une flotte de croiseurs et destroyers se trouve adjacente en début de tour, donc avant d’entamer un quelconque mouvement. Autant dire que les sous-marins sont une arme aussi redoutable qu’historiquement, à une époque ou les sonars et radars restent à inventer. Utilisés à outrance, ils poussent cependant les États-Unis à entrer en guerre.
L’Allemagne reçoit de son coté aussi quelques petits convois venant de Suède, simulant les transports de minerai de fer. Les Anglais les attaquent souvent avec leurs sous-marins, ce qui peut paraitre exagéré, mais correspond à la réalité historique. Bien sur, ces convois ne rapportent que des points de production, et pas de réserves humaines.
Les flottes de surface sont simulées de manière simpliste mais le rapport de force est réaliste. Les batailles navales sont bien sur rares, mais la seule présence de ces flottes empêche des mouvements trop osés, comme des débarquements en-dehors de la Méditerranée. La perte de cuirassés a des conséquences dramatiques pour le moral des nations concernées, forçant les joueurs à la prudence.
D’une manière générale, les aspects tactiques s’accordent très bien avec ceux stratégiques et confirment l’impression d’un jeu sorti d’un seul moule, bien pensé et dont les moindres détails ont été mesurés. La Grande Guerre sur Commander – The Great War se déroule donc avec les impressions générales historiques : une Allemagne surpuissante en début de conflit, qui doit cependant donner de la tête partout pour soutenir ses alliés chancelants, et s’épuise au fur et à mesure, souvent incapable de forcer la décision. Le joueur des puissances centrales a de moins en moins de ressources pour mener offensivement, tandis que l’Entente reste sur pied grâce aux convois des colonies, puis grignote lentement les ressources allemandes, irremplaçables. Le tout bien sur modulé par le talent des joueurs et leurs décisions.
Un regret quand même, il est dommage pour un wargame que le placement des industries soit très conservateur. Nonobstant la réalité historique, la plupart des points de production sont concentrés sur les capitales. Il aurait été intéressant de les placer historiquement pour donner une bonne raison à l’Entente de protéger à tout prix les industries du Nord de la France, dont la perte obligerait le joueur français à cannibaliser le peu d’industrie restante, comme cela a eu lieu. De même, l’Allemagne ne sourcillerait pas en perdant la Silésie dans ce jeu, et même la Rhénanie ne compte que 12% de son potentiel industriel, alors que la perte d’une de ces régions aurait en réalité saigné à blanc l’industrie de guerre allemande. Dommage, mais malheureusement courant dans le monde des wargames.
À côté de l’essentiel, quelques évènements rendent la partie plus vivante. On y trouve l’aide du Commonwealth au Royaume-Uni sous forme d’infanterie ou la trêve de Noël de 1914. D’autres évènements peuvent être déclenchés par les actions des joueurs, comme la prise de certaines villes, la liaison de chemins de fer entre Berlin et Istanbul, ou encore le début de la guerre sous-marine.
La recherche demande peu de gestion et il est rare de trouver les ressources nécessaires pour l’accélérer – et comme l’effet d’un investissement massif est marginal, on l’évite, sauf exceptions. Chaque branche de recherche nécessite un « laboratoire », et les belligérants débutent avec un nombre et une allocation de laboratoires différents (les Britanniques et les Français en ont un d’emblée pour les recherches sur les chars, les Allemands non). Les nations moins importantes sont souvent limitées au développement de l’infanterie et n’ont pas la possibilité de produire de l’artillerie lourde, des navires ou des avions.
L’intelligence artificielle est très réactive et capable au niveau opérationnel. Elle laisse rarement une erreur impunie et ceinture bien tous les fronts. Elle a plus de mal face à des situations demandant plus de créativité et d’instinct, comme un combat en Russie sur un front de plusieurs milliers de kilomètres, où le front est morcelé et où les troupes se concentrent autour des points de ravitaillement, jouant au chat et à la souris sur les parties du front pratiquement vides à cause du manque d’hommes de part et d’autre.
L’intelligence stratégique de l’IA est par contre plutôt mauvaise. On sent qu’elle n’a pas un plan général pour gagner la guerre, qu’elle donne de la tête un peu partout et profite d’avantages momentanés, mais n’a pas de concept pour mettre à plat tout un pays. En ce sens, l’IA est plus capable en jouant l’Entente, qui a un jeu plus défensif, que l’Alliance, qui elle doit bien clarifier ses priorités et poursuivre impitoyablement ceux en tête de liste avant de s’épuiser autre part (abattre la Serbie d’abord ? Chercher la décision en Russie ? Soutenir l’Ottoman ou non ? Mener une guerre sous-marine ?).
Pour des joueurs moyennement expérimentés en termes de wargame, l’IA offrira néanmoins un défi tout à fait raisonnable. Les vieux loups devront se contenter de s’entraîner avec l’IA et, après avoir bien assimilé les mécanismes du jeu, passer au mode multijoueur (pour deux adversaires, le multi utilisant le système PBEM++).
Quelques mots encore quant à la stabilité du jeu. Elle n’est malheureusement pas parfaite. Un retour au bureau occasionnel sera heureusement sans trop de conséquences, les sauvegardes automatiques se faisant en début et en fin de tour, on ne perd donc le cas échéant pas sa progression dans le jeu.
Personnellement, j’ai eu deux problèmes sérieux en jouant : d’une part après avoir installé le jeu, je ne pouvais pas sauvegarder. Un coup d’oeil sur le forum officiel a montré que je n’étais pas le seul, et que le jeu oubliait de temps en temps de créer un dossier « savegame » durant l’installation. Le créer « à la main » suffisait à surmonter le problème, mais tous les joueurs n’auront pas le réflexe d’aller chercher de l’aide sur un forum et alors se retrouveront avec un jeu injouable (vu qu’il faut environ une douzaine d’heures pour terminer une grande campagne).
J’ai aussi eu le problème d’un blocage en milieu de partie, au 52ème de 118 tours. Impossible de passer au tour suivant, l’IA réfléchissait indéfiniment. Rageant quand on a déjà passé une demi-douzaine d’heures sur une partie. Le point positif : un développeur a pris en compte ma plainte quasiment immédiatement. Le point négatif : dix jours plus tard, je n’ai toujours pas reçu de solution à ce problème. Une autre partie semble néanmoins stable, cette erreur n’est donc pas systématique et la malchance a peut-être joué (NDLR : un patch 1.14 est actuellement en bêta publique, vous le trouverez par ici dans le forum de Matrix).
Pour conclure
Au final, Commander – The Great War s’avère un très bon jeu pour des parties de durée moyenne. Les développeurs se sont donnés beaucoup de peine pour intégrer des concepts innovants dans un système éprouvé. La Grande Guerre est bien retranscrite et le jeu contentera les appétits ludiques des débutants tout comme des wargamers vétérans. Pour couronner le tout, le jeu est modable et peut être acheté pour un prix raisonnable.
- Aspects opérationnels et stratégiques entremêlés
- Quelques concepts innovants
- Ambiance réussie
- Un prix abordable
- IA trop faible pour un joueur aguerri
- Quelques bugs source d’instabilité
- Quelques ratés sur le réalisme
Site officiel : www.commander-games.com et fiche chez Matrix.
Prix éditeur: 27,99 €
Sortie: 12 novembre 2012
Studio – Éditeur: The Lordz Games Studio / Slitherine – Matrix Games
Configuration requise : Processeur Pentium 4, 1 Go RAM (Windows XP) 2 Go RAM (Vista/Seven), carte graphique compatible Open GL 1.5, 800 Mo d’espace disque. Jeu en anglais, une traduction française est disponible avec le patch 1.30.
Vraiment un très bon test, félicitations à l’auteur. Ça m’a donné envie d’acheter ce jeu immédiatement, alors que je sais que je n’aurai pas le temps d’y jouer :) Quelques remarques cependant ; d’abord un regret concernant l’I.A. stratégique mais bon, on pouvait effectivement s’y attendre. Qu’en est-il d’éventuels scénarios ? À la lecture on comprend que la campagne principale, retraçant l’intégralité de la guerre, sera jouable des deux côtés mais existe-t-il des éléments jouables sur une durée moindre (certaines offensives, par exemple) ? Enfin quid d’une éventuelle démo ? Par avance, merci.
Oui il y a des scénarios pour chaque année entre 1914 et 1918, permettant des parties plus courtes. Ils sont toujours jouables des deux côtés et débutent en général lors de grandes offensives historiques.
Pour la démo, je ne suis pas sur, mais je ne crois pas qu’il y en ait de disponible.
J’ai franchi le pas ! Et je ne suis pas déçu !
Please if you are interested, please post in the thread at Slitherine:
http://www.slitherine.com/forum/viewtopic.php?f=102&t=40195
Hi guys,
We are looking for help with the Commander: The Great War translation/localization into French.
If you want to have a look, see this folder (by default):
C:Program Files (x86)SlitherineCommander The Great WarDataLang
Here you see an « english » text file, basically anything after the commands, so after the « = » needs to be translated to French.
Example:
In English text:
mountain = MOUNTAINS
would become in French text:
mountain = MONTAGNES
Any volunteers, please post here and we will contact you.
Thanks,
Tim aka LZ
A noter que désormais avec le récent patch 1.3, le jeu est traduit en plusieurs langues, dont le français.
Super. Nous formons un groupe de joueurs sur assobjectif.
Rejoingnez nous.
Bonjour
C’est proche de SCWW1 ou pas du tout ?
Oui c’est comparable. SCWW1 est plus détaillé et met l’accent sur quelques autres aspects, mais les approches sont, concernant les grandes lignes, similaires.
Merci a toi