À l’occasion de sa conférence annuelle tenue dans le cadre d’Historicon 2013, le groupe Slitherine a affirmé sa position de leader incontesté de l’industrie du wargame vidéo. Une vingtaine de nouveaux titres et autant d’extensions se préparent à débarquer sur les rayons virtuels au cours des prochains mois, et ce chiffre ne tient pas compte des portages de jeux existants vers iOS et Android. Pour vous introduire à cette cuvée de nouveautés, nous passons en revue les titres qui ont attiré notre attention.
Il faudra s’y habituer, les jeux de stratégie légère — mais pas simpliste — seront de plus en plus nombreux dans le catalogue du groupe Slitherine. L’avenir du jeu vidéo de guerre est désormais lié à deux vocables inséparables : approachable and fun, c’est-à-dire faciles à prendre en main et amusants à jouer.
Rien que dans les mois qui viennent, l’éditeur prévoit 17 portages ou nouvelles parutions sur le marché des tablettes iPad et Android. Battle Academy, le premier, a donné le ton il y a plus d’un an. Son succès commercial, malgré les 20 $ demandés sur l’App Store, entraîne dans son sillage une suite (Battle Academy 2, illustré ci-dessus) ainsi que d’autres grands noms, comme Field of Glory et Panzer Corps (pour bientôt), et même le lointain Gary Grigsby’s World at war – A World Divided (en 2014 si tout va bien).
Après l’extension Gateway to Caen ( prévue fin 2013), la série des Close Combat entamera elle aussi sa conversion vers les petits écrans avec un opus intitulé The Bloody First (en 2014). Dans cette campagne, le joueur suivra la 1st Infantry Division en Tunisie, en Sicile et en Normandie. La carte et les unités prendront de nouveaux habits 3D — rassoyez-vous, l’angle de vue restera vertical —, les ombres seront dynamiques et le pathfinding, beaucoup plus précis. Nous avons vu un bel exemple de char se tricotant un chemin dans un réseau de ruelles. À noter que le jeu remettra l’accent sur le volet tactique, comme c’était le cas avant Panthers on the Fog.
De plus en plus, les nouveaux jeux seront conçus dès l’origine pour les PC et les tablettes, ce qui est le cas du très attendu Warhammer 40,000 – Armageddon et du très atypique Buzz Aldrin’s Space Program Manager (tous deux en 2014). L’hyperactivité de l’éditeur ne se limite pas à ce créneau éminemment rentable. Il faut garder en tête que le second credo du groupe Slitherine est la conservation et l’élargissement de la clientèle. En clair, l’éditeur n’abandonnera personne et continuera de servir les assoiffés de jeux de stratégie en tous genres.
La guerre lourde
Les grognards peuvent respirer à l’aise, quelques morceaux de choix les attendent en 2014 :
Gary Grigsby’s War in the West 1943-45 : Cette suite de War in the East (voir notre test) couvrira les campagnes alliées de l’été 1943 en Sicile et en Italie, suivies de l’invasion de la France et de l’avance au cœur de l’Allemagne. L’adaptation du moteur de jeu au front de l’Ouest a exigé diverses modifications, notamment en ce qui concerne les opérations amphibies ou parachutées, la guerre aérienne et les contraintes de ravitaillement. Les aéroports, cette fois, seront intégrés à la carte et le transport ferroviaire dépendra plus que jamais des gares de triage. Le joueur allemand aura le choix de transférer, ou non, des unités de l’Est vers l’Ouest.
World in Flames : Paru originellement en 1985, et devenu depuis une référence en terme de simulation de la Seconde Guerre mondiale, WiF s’est enrichi au fil des ans d’une multitude de règles additionnelles. Un travail colossal a été fait pour synthétiser cet ensemble en un tout cohérent. Le jeu vidéo sera basé sur la plus récente version Deluxe et comprendra malgré tout 80 règles optionnelles. De 2 à 6 joueurs pourront prendre les commandes des principales puissances de l’époque et profiter des services multijoueurs hébergés par l’éditeur. Fiche chez Matrix.
Command – Modern Air/Naval Operations : Ce jeu s’adresse définitivement aux passionnés de guerre aéronavale moderne, car tout, je dis bien t-o-u-t, y est modélisé dans les moindres détails : vues radar et sonar, guerre électronique et nucléaire, minage, satellites, défense anti-missiles, ravitaillement en vol, etc. Le jeu gère même, mais de façon simplifiée cette fois, la composante terrestre. Tout est représenté visuellement sur le moniteur de suivi qui fait office d’écran principal, mais uniquement dans les limites des organes de détection embarqués ou basés à terre. On peut souhaiter aux développeurs, pour notre propre bénéfice, d’avoir un jour les ressources suffisantes pour édifier une interface plus avenante. Voir aussi cette fiche sur le site de Matrix.
La guerre douce
Que faire avec les amateurs de jeux d’histoire pressés qui n’ont pas une soirée à consacrer à la lecture d’un manuel ? Le groupe Slitherine leur propose une brochette de jeux intéressants pour les plus exigeants et accessibles pour les joueurs occasionnels. Les nouvelles parutions seront nombreuses cet automne ou au début de 2014 :
Brother against Brother – The Drawing of the Sword : Ce jeu de grande tactique sur la guerre de Sécession marche près des plates-bandes de Scourge of War (voir ce test), les principales différences étant que Brother against Brother mise sur le tour par tour à résolution simultanée (plutôt que le temps réel) et qu’il offre une carte à hexagones (plutôt qu’un terrain continu). Le soft est malgré tout précis : les lignes de vue se font un chemin au travers de quatre niveaux de terrain et de plusieurs types de végétation. Construit sur le châssis de Forge of Freedom, il s’en distingue notamment par l’acuité historique de ses cartes et par l’importance de la chaîne de commandement. La première mouture portera sur les quatre premières batailles de la guerre civile, menées en 1862 : Wilson’s Creek, Williamsburg, Mill Spring et First Bull Run.
Civil War II : Cette rénovation majeure d’Ageod vient remplacer American Civil War paru en 2007. On se trouve ici au niveau stratégique et opérationnel, puisque les dimensions politiques et diplomatiques du conflit sont prises en compte. Première différence avec l’opus précédent : l’étendue de la carte, susceptible de mettre en scène tous les actes du conflit. Ageod a aussi cherché à fluidifier les manœuvres et à rendre le jeu plus alléchant pour les joueurs de passage. La composante navale a été sensiblement renforcée, notamment avec des possibilités d’assauts amphibies et l’action des défenses côtières. Touche tactique inattendue, le commandant prêt au combat pourra concentrer son effort sur certaines portions de la ligne de bataille. Voir aussi la fiche du jeu chez Matrix.
Flashpoint Campaigns – Red Storm : Flashpoint Campaigns a tellement progressé depuis Flashpoint Germany qu’il faut le considérer comme un jeu distinct. À 500 m l’hexagone et 25 minutes du tour de jeu, il offre une franche profondeur tactique dans le contexte d’une hypothétique confrontation entre l’OTAN et les forces du Pacte de Varsovie entre 1980 et 1989. Le système de jeu est un classique tour par tour à résolution simultanée. Les déplacements et autres actions sont déployés dans le temps — certains étant plus longs à mettre en œuvre que d’autres — à la façon d’un Battles from the Bulge, sur un canevas graphique nettement plus attrayant. Attendez-vous à des combats dominés par les moyens de reconnaissance sophistiqués et la léthalité des frappes. Un prochain article reviendra plus en détail sur Red Storm.
Lock’n Load – Heroes of Stalingrad : Le jeu que j’attendais est maintenant en version bêta, ce qui fera taire les mauvaises langues qui ne croyaient plus à sa sortie. La version PC inclut les règles particulières du front de l’Est amenées par l’extension Not One Step Back dans la série Band of Heroes. Avec autant d’interactions continues entre les camps, du type « je bouge / tu tires en réaction » et « je lance le dé / tu fais pareil », n’espérez pas affronter un copain en tour par tour. Tout se fera en temps réel. Pour la première fois, cette perle du jeu tactique pointu sera à la portée d’un large public. Voir aussi notre préview de Lock ‘n Load – Heroes of Stalingrad. Ou cette page chez Matrix.
Piercing Fortress Europa : Exemple parfait du jeu d’histoire facile à jouer (fast playing historical wargame), ce jeu opérationnel propose sa version de la campagne italienne de 1943 à 1945. L’échelle géographique et temporelle a été adaptée aux deux territoires convoités, soit la Sicile et l’Italie continentale. À partir de situations de départ historiques, les Alliés ont la possibilité de modeler à leur guise le mode d’invasion via l’achat de points de débarquement ou de parachutage. La modélisation des contraintes de ravitaillement est crédible et, à tout moment, il faut décider où investir les ressources limitées, y compris du côté de la défense allemande. Un jeu intéressant qu’il faudra suivre, mais qui ne sera malheureusement pas équipé des facilités du PBEM++. Fiche du jeu chez Matrix.
Strategic Command 3 : Surprise de la conférence en ce qui me concerne, Hubert Cather, de Fury Software, quitte Battlefront — son parrain de toujours — pour la famille Matrix-Slitherine. Il s’agirait d’un divorce à l’amiable, motivé par les ressources de développement offertes par le nouvel éditeur en vue de doper le graphisme et l’expérience de jeu. Les améliorations toucheront, entre autres, la possibilité de combiner des attaques, le système maritime et les règles d’approvisionnement. Les plus intéressantes des bonnes nouvelles sont le retour du jeu à ses hexagones d’origine et la possibilité de changer de camp en cours de partie. Avec ces changements, Strategic Command adopte (enfin) la stature d’un vrai wargame agréable à jouer.
Germany at War – Barbarossa 1941 : Le plus léger du groupe, ce jeu constitue une sorte de refonte d’Operation Barbarossa – The Struggle for Russia sorti en septembre 2009. Comme Panzer Corps, il marche dans les pas de Panzer General, sauf qu’il renforce le caractère réaliste de son prédécesseur grâce à diverses améliorations : caractéristiques plus fines des unités et du terrain, contraintes de ravitaillement selon la période considérée, doctrines d’artillerie typées, bonus liés à l’intégrité des formations et aux encerclements, importance de l’efficience et de l’expérience. Après quelques parties bêta contre l’IA, il est clair qu’il faudra se tourner vers des adversaires humains (uniquement en chaise tournante ou par courriel) pour bien estimer le potentiel du jeu. Voir aussi cette page chez Matrix.
Combined Arms – World War II : Aucune information n’est sortie sur ce jeu opérationnel (1 hex = 1 km ; échelle du bataillon) pendant la conférence. Sa fiche présente tous les ingrédients d’un bon jeu de guerre, tels que les ordres de bataille modifiables, la planification des actions dans le temps, la modélisation détaillée de l’artillerie, les fonctions variées des formations aériennes et navales ainsi que la gestion du ravitaillement. Surveillons ce que l’éditeur voudra bien ajouter à son sujet…
La stratégie pour s’amuser
Il reste les jeux qui procurent des défis dans la bonne humeur et, souvent, dans la sueur. La liste est assez longue, notamment si on considère les annonces faites au sujet de Chariots of War (iPad), de Drums of War et de Sovereignty : Crown of Kings, pour lesquels on a encore très peu d’information. Nous n’avons retenu que les deux ténors de la catégorie :
Pandora – First Contact : Alors que je ne suis pas amateur de stratégie hors réalité, ma prédiction peut être faite sans risque : ce jeu fera un méga-carton ! Il pourrait même me réconcilier avec le genre. Des couches et des couches de gameplay se superposent dans ce 4x classique mais fichument bien construit, depuis les petits mouvements d’unités isolées dans l’univers hostile d’une planète à découvrir, jusqu’aux opérations spéciales (attaques surprises à front renversé, reconnaissance satellite, missiles nucléaires…), en passant par la définition des factions, les arbres de technologies offensives, défensives et contre-offensives, les modes terrestres et aériens, la gestion économique poussée et le système diplomatique. Tout cela est offert en tour par tour multijoueur à résolution alternée, dans un emballage coloré bien assorti au thème. La fiche chez Matrix est par ici. Et notre premier aperçu est par ici.
Warhammer 40,000 – Armageddon : Silence étonnant à la conférence au sujet de ce jeu qui échauffe les amateurs de science-fiction contre-utopique. Après avoir acquis les droits, Slitherine nous offrira un beau jeu retraçant en détail la Seconde Guerre d’Armageddon entre les Orques et les forces de l’Imperium. Un noyau d’unités progresseront en qualité et expérience au travers des scénarios. Surtout, le système d’échanges PBEM++ multipliera les possibilités de rencontres entre les joueurs. Ne connaissant pas le jeu original, je ne fais que traduire les grandes lignes de la fiche de jeu, mais je suis persuadé que les habitués des figurines Warhammer ont les yeux rivés sur le calendrier de publication de l’éditeur.
Un inclassable, mais pas des moindres
Nous n’avons pas eu le plaisir de serrer la main de Buzz Aldrin, la seconde personne à avoir marché sur la Lune. L’homme de 83 ans n’a finalement pas pu se déplacer à Fredericksburg, mais il a eu l’amabilité d’assurer une présence vidéo à la conférence. En sa qualité de docteur en sciences astronautiques et de passionné de l’espace, il est fortement engagé dans le Space Program Manager, un projet ambitieux de Matrix-Slitherine décliné en trois épisodes. Le premier à paraître s’intitulera The Road to the Moon et se concentrera sur les missions d’atterrissage sur la lune. Le deuxième se rendra jusqu’à la station spatiale internationale, tandis que le troisième visera la conquête de Mars.
Le joueur sera invité à bâtir son propre programme spatial à partir d’un simple budget, à surveiller de près. Par définition complexe, le jeu a vocation à vulgariser les concepts scientifiques nécessaires à l’élaboration d’engins spatiaux et à enseigner aux joueurs comment naviguer dans les dédales administratifs propres à une agence d’État majeure. Une gageure qui pourrait être tenue, en dépit du ton bleu glacial de l’interface. Voyez aussi ce récapitulatif et les nombreuses captures d’écrans de ce coté du forum de Matrix.
Voilà terminé notre tour d’horizon. Surveillez nos diffusions des prochaines semaines, car certaines reviendront en détail sur plusieurs titres en préparation ou tout juste sortis des presses.
Et Historicon dans tout ça ?
Hélas, votre humble serviteur na pas trouvé une minute (littéralement) pour seulement entrer dans une salle d’exposition. Mais un regard jeté au-dessus des têtes et quelques conversations préalables m’ont convaincu que le secteur des jeux avec figurines bénéficiait d’une relève. Cependant, le champ d’intérêt des plus jeunes — disons les 20-30 ans — est nettement plus orienté vers le merveilleux et la science-fiction futuriste ou décadente que vers l’histoire. Est-ce que ces gens se tourneront vers le réalisme lorsqu’ils auront atteint l’âge de leur père ? Faites vos paris…
Bravo Hubert, Strategic Command 3 promet d’être terrible !
Merci pour ce compte-rendu bien alléchant. Et moi aussi j’attend déjà SC3 avec impatience.
Beau résumé et pour ma part je garde un oeil sur Pandora et Sovereignity !
Un voyage intéressant
Brother against Brother – The Drawing of the Sword dis donc…celui là il donne envie !
Pas mal de jeux intéressants en vue ! Pourquoi les journées sont-elles si courtes ?
Un compte-rendu alléchant ; bravo ! Parmi les titres qui m’intéressent, le portage de « Field of Glory » n’est pas le moindre et « Pandora – First contact » m’intrigue fortement. En revanche j’aurais une question « technique » ; je me trouve un peu con face à un terme dont j’avoue ne pas saisir le sens : « science-fiction contre-utopique » me laisse perplexe :) Kezako ?
Salut Gloo. Je cherche dans mes notes mais ne retrouve plus le mot anglais que j’ai voulu traduire par « contre-utopique ». Mais à y regarder de plus près, Pandora ne propose pas un monde qui aurait évolué à l’envers d’une utopie, mais simplement un monde neuf où la vie s’organise en fonction des contraintes locales (vie animale, ressources, technologies disponibles, etc.). Si Bertrand nous écoute, il pourrait supprimer le mot « contre-utopique » dans le compte-rendu. Merci pour le commentaire.
Ah oui, on aurait dû préciser un peu. En fait le postulat de départ de Pandora First Contact est très simple, l’humanité a enfin trouvé une planète habitable, très loin, ailleurs. Planète dont la colonisation débouche sur l’opposé d’une utopie, vu que la faune est sérieusement hostile, et que de toutes façons les humains y refont ce qui est leur spécialité, ils se battent aussi entre eux là-bas. Bon, c’est l’idée … que chacun peut interpréter librement :)
Dystopie doit être le mot en question. Mais Pandora n’est ni une utopie, ni une dystopie, plutôt une allégoriede la situation actuelle. Malheureusement.