Rétrospective sur l’éditeur Avalon Hill

Poursuivons un peu plus la méconnue histoire du monde des wargames avec cette semaine un intéressant triptyque enfoui dans le numéro 23 de VaeVictis, paru fin 1998. Article qui consiste en fait en trois articles différents, le premier sur le tremblement de terre que fut le rachat d’Avalon Hill, le second sur l’importante convention AvalonCon qui eut lieu la même année, et le troisième qui brosse un utile tableau des quatre décennies d’activités d’Avalon Hill. Parallèlement, je vous rajoute une utile série de présentations vidéos réalisées par Legendary Tactics, qui revient en détail sur le riche parcours d’Avalon Hill (un huitième épisode à venir abordera le sujet de la fin d’Avalon Hill). Bonne lecture !

 

Avalon Hill : 40 ans de bons et loyaux services

The Avalon Hill Game Company, pionnière et fondatrice du jeu d’histoire, est peut être en train de disparaître de la scène, suite à ses difficultés financières. Le jeu d’histoire sur carte se restreint progressivement aux États-Unis et la chute d’Avalon Hill est un véritable choc psychologique pour tous les passionnés qui pratiquent les jeux d’histoire de longue date. Même s’il ne s’agit pas, nous l’espérons, d’une rubrique nécrologique, voici tout de même l’histoire de la grand-mère du « wargame ».

Les années 1950-1960

En 1952, un jeune homme d’une vingtaine d’années, Charles Roberts, crée un jeu pour s’entraîner durant son service militaire. Mettant un scène deux pays imaginaires, avec un armement d’après-guerre, des pions carrés et circulaires sur une carte quadrillée, ce sera Tactics. Il en vend 2 000, ce qui le décide en 1958 à créer une société dédiée à la conception de jeux de simulations, elle s’appellera Avalon Hill. Les trois premiers jeux édités en 1958 sont Gettysburg, Tactics II (une amélioration de son premier jeu) et Dispatcher (sur la gestion de compagnies ferroviaires). Jusqu’en 1963, 15 autres jeux seront publiés dont sept jeux d’histoire (U-Boat, Chancellorsville, D-Day, Civil War, Waterloo, Bismarck, Stalingrad). Les autres jeux concernent des simulations diverses, juridiques (Verdict) ou sportives (Footbal Strategy, Le Mans).

Fin 1963, suite à des difficultés financières — déjà —, Avalon Hill est racheté par Monarch Printing, et Tom Shaw est nommé directeur. Le rythme de production va se ralentir avec un maximum d’un ou deux jeux publiés par an. Le premier mai 1964 est lancé The General, le magazine maison qui présente les nouveaux jeux, propose des modifications de règles et des conseils de jeux. Avec sa rubriques petites annonces, il permet aux différents joueurs répartis à travers toute l’Amérique de se rendre compte qu’ils font parti d’un même groupe de fanatiques et qu’ils peuvent se regrouper en clubs ou jouer par correspondance. Les premiers ténors du hobby font leur apparition : Lou Zocchi, Gary Gigax, Jim Dunnigan, Don Greenwood, Ty Bomba, Al Nofi, Jack Green.

En 1965 est fondée l’Avalon Hill International Kriegspiel Society (AHIKS) qui regroupe des joueurs à travers le monde par correspondance ; à ce jour elle existe toujours. La plupart des jeux publiés durant cette période deviendront des classiques longuement joués, disputés aux cours de tournois et discutés dans de longs articles passionnés.

 

 

Pour plus d’informations sur Avalon Hill, voyez le site officiel et surtout cette page sur BoardGameGeek.

Les années 1970

Face au déferlement de nouveaux jeux, notamment les simulations de SPI, Avalon Hill va garder son calme en s’agrandissant tranquillement, Don Greenwood et Randall Reed sont embauchés en 1972. La compagnie réédite, en les modernisant, ses anciens produits : Anzio, Afrika Korps, Waterloo… et publie entre deux et quatre nouveaux jeux par an. Par exemple pour l’année 1974 : 1776, Alexander the Great, Panzer Leader et Third Reich ; pour l’année 1976 : Starship Troopers, Kingmaker et The Russian Campaign. Rapidement, AH va pratiquer une politique de rachat de jeux à succès comme France 40 de SPI, ou Fortress Europa et The Russian Campaign de Jedko Games (compagnie australienne), ou encore Wooden Ships & Iron Men de Battleline. Elle se contentera de rééditer les jeux, graphiquement et matériellement améliorés.

AH utilise également des concepteurs en Freelance comme John Prados pour Third Reich ou John Hill pour Squad Leader. Mais ce qui fait le profit d’AH est son exploitation de thèmes porteurs comme Starship Troopers, basé sur le roman de Heinlein Étoiles, garde à vous, ou Wooden Ships & Iron Men réédité en 1976 pour le bicentenaire de la déclaration d’indépendance des États-Unis. Sa stratégie est également basée sur des jeux familiaux et sportifs, mais plus complexes que les jeux de société classiques : Rail Baron, Basket-ball League, Outdoor Survival

Le plus gros succès de la décennie va être sans conteste Squad Leader (1977) et ses extensions immédiates Cross of Iron (1978) et Crescendo of Doom (1980). L’ensemble des trois jeux fournit sept cartes géomorphiques et la totalité des belligérants européens de la Seconde Guerre mondiale (sauf les Italiens), pour simuler toutes les actions tactiques du niveau de la compagnie, avec des règles subtiles et complètes, apprises par étapes.

Les années 1980

Au cours de la décennie 1980, Avalon Hill reste le premier producteur de jeux d’histoire à travers trois axes principaux.

Premièrement, la compagnie diversifie largement ses produits : extension des jeux de plateau « familiaux » comme Conquistador, Civilization, Britannia ou Kremlin pour les plus militaires, production de jeux de science-fiction et de jeux de rôle (rachat de Runequest, sortie de James Bond par Victory Games) et sortie régulière de jeux d’histoire classiques. Deuxièmement, elle continue sa politique de rachat/réédition de bons jeux d’autres firmes (OSG, Battleline, SPI). Troisièmement, elle se lance dans la production de jeux sur micro-ordinateurs. Un fait notable, AH est le seul producteur rééditant ses anciens jeux et garantissant sur le long terme leur disponibilité. Il s’est ainsi fait une spécialité d’éditeur de jeux sérieux, destinés à durer.

Parmi les grands classiques :
– au niveau stratégique : War & Peace et Empires in Arms sur la période napoléonienne, le second étant une réédition d’un jeu australien d’Australian Design Group ;
– côté opérationnel : Gettysburg, The Longest Day sur la campagne de Normandie, seul réel monstre publié par AH, Struggle of Nations et la réédition de Napoleon at Bay, deux jeux de Kevin Zucker. Également Panzergruppe Guderian, la réédition du célèbre jeu de SPI ou Flat Top, édité précédemment par Battleline.
– au niveau tactique, trois thèmes ressortent : des jeux contemporains comme Firepower et MBT conçus par Craig Taylor spécialiste de l’échelle, ou d’inspiration cinématographique comme Platoon ; des jeux de combats aériens tels Air Force, Dauntless et Sturmovik qui sont des rééditions de Battleline (éditeur des années 1970), Flight Leader et même des simulations d’opérations combinées comme Tac Air.

Enfin, la série Squad Leader est bouclée par GI, Anvil of Victory (1982) qui rajoute l’intégralité de l’armée américaine, mais il manque encore les Italiens et le Pacifique. GI modifie sensiblement l’ensemble des règles, préparant une refonte générale du système. En 1985 sort un classeur contenant la compilation de toutes les règles, revues par Mac Namara et Don Greenwood — les gourous de Squad — c’est Advanced Squad Leader (ASL) avec sa première extension Beyond Valor. Rapidement, les extensions vont se succéder pour arriver à couvrir aujourd’hui tout le théâtre européen, le désert et le Pacifique avec quasiment tous les protagonistes et une multitude de cartes.

AH explore enfin de nouveaux modèles de simulations. Le concept de jeux avec cartes découpées en zones et non en hex. est habilement exploité pour les batailles de la Seconde Guerre mondiale : Storm over Arhnem, Thunder at Cassino, Turning Point : Stalingrad. Un autre concept est le jeu avec cartes à jouer au lieu de pions, bien avant Magic et consorts : Up Front sur les combats tactiques en Europe 39-45, puis Banzaï pour le Pacifique. Les jeux en solitaire — proposés par tous les éditeurs à la même époque — sont également abordés : Patton’s Best et Raid on St Nazaire. Des jeux sur micro-ordinateurs sont proposés dès 1980, mais vu la puissance et les graphismes de l’époque, ils restent peu développés : B1, Midway, North Atlantic, etc.

Sur la décennie, Avalon Hill reste une compagnie largement dominante, avec notamment en 1975 à Baltimore, le lancement de la première édition d’Origins — la fameuse convention nationale. La société est assez conservatrice mais épanche son innovation au sein de Victory Games, fondée en 1982 avec certains transfuges de SPI (ndlr voir cet article).

 

 

 

 

 

NDLR : cet article est ouvert à tous, ne nécessitant pas d’abonnement pour être lu. Vos abonnements sont importants pour que la Gazette du wargamer puisse continuer d’évoluer tout en proposant aussi des articles en accès libre. Pour soutenir le site et son équipe, abonnez-vous.

 

Les années 1990

Durant les années 1990, Avalon Hill reste présent sur le créneau des jeux d’histoire, mais en essayant d’exploiter le filon de façon très commerciale. D’abord avec la série ASL qui s’étoffe et s’agrandit d’années en années avec le Pacifique et tous les pays mineurs. Un magazine bisannuel spécial est même publié, et des boîtes contenant des batailles historiques permettent de jouer de véritables campagnes comme la conquête du secteur des usines à Stalingrad avec Red Barricades.

Également et suivant sa vieille tactique, la compagnie propose la remise à neuf de certains grands succès en version moderne ou avancée : Advanced Civilization, Advanced Third Reich ou des suites, tel Rising Sun pour le Pacifique avec le même système que Third Reich. Dans l’idée d’attirer le grand public, la firme va éditer un bon nombre de jeux de plateaux, souvent excellents : Republic of Rome (ResPublica en français, édition Descartes), Black Beard (Barbe Noire en français, idem), History of the World, Colonial Diplomacy ou New World. Elle va aussi lancer une série de jeux simples en grandes boîtes sur l’histoire des États-Unis, baptisée Smithonian American History. Parmi les succès de cette décennie, on peut citer deux séries, sur la guerre de Sécession, et surtout sur le système mis en place par We the People, des jeux par zones, plutôt simples, mêlant politique et stratégie.

Enfin les jeux sur ordinateurs prennent une réelle importance au sein d’AH, au point de devenir une division à part entière. Cependant malgré l’adaptation réussie de quelques jeux de plateaux ou le rachat de série V for Victory (Operation Crusader, Stalingrad), les gros succès se font attendre.

Avalon Hill est ainsi la société qui a inventé le jeu d’histoire moderne et a su poursuivre sa marche tranquille à travers quatre décennies, là où tous les anciens ont disparus. Sa marque a toujours été une garantie : l’acheteur était sûr de la qualité de la simulation, soigneusement testée et conçue (pions épais, cartes cartonnées et colorées, règles simples ou à apprendre par étapes). Pratiquement, chaque jeu était destiné à devenir un classique. Le rachat d’Avalon Hill aujourd’hui marque probablement l’échec d’une reconversion, ou plus simplement un problème de gestion : les pertes importantes accumulées par les tentatives sur le marché informatique ne pouvaient en fait pas être couvertes par le marché du jeu sur carte, un domaine où Avalon Hill n’aura jamais démérité.

Luc OLIVIER

AVALON HILL VENDUE ! Hasbro se paye l’inventeur du jeu d’histoire

MÊME si elle était attendue depuis plusieurs semaines, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans l’univers de la simulation historique : Avalon Hill a été acheté par Hasbro, célèbre éditeur de jeux de société. Pour commenter cet évènement, l’équipe de VaeVictis vous propose de faire le point sur cette vente, un reportage à AvalonCon et un historique d’Avalon Hill.

Au début de l’été, le bruit a commencé à se propager sur internet : Avalon Hill était à vendre. Et, comme un coup de tonnerre dans un ciel de vacances, le 4 août précisément, une information officielle est venue confirmer cette rumeur : Monarch Avalon Inc (1) a décidé de vendre toute sa division jeux (Avalon Hill et Victory Games) à Hasbro, groupe spécialisé dans la diffusion de jeux de société « grand public » (Risk, Monopoly, les jeux MB, etc., pour ne parler que des jeux de société, mais Hasbro est également un géant du jouet). Le communiqué stipulait que la commercialisation de la plupart des jeux d’Avalon en instance de parution (dont le très attendu For the People) serait maintenue, ce qui a été le cas (voir notre rubrique « Nouveautés »).

Depuis cette date, une première série d’informations ont fait état d’un licenciement général de l’équipe d’Avalon Hill. Il se disait que les nouveaux propriétaires ne semblaient pas intéressés par des jeux dont la diffusion est incapable de franchir le cap des 25 000 exemplaires (au mieux). Autrement dit, les simulations historiques, fondement de la réputation d’Avalon Hill, semblaient bien devoir « passer à la trappe ». En fait, après quelques semaines de panique, les nouvelles sont plus rassurantes mais rien de certain n’a percé. Contacté par VaeVictis, Hasbro s’est dit très intéressé de continuer la parution, voire même de réaliser des adaptations informatiques de plusieurs jeux d’Avalon, comme Diplomacy. On reste tout de même dans l’expectative pour ce qui est des vrais jeux d’histoire, mais à la fin septembre, Avalon Hill est toujours là…

Si les disparitions récentes de World Wide Wargames (3W) et de Games Designer Workshop (GDW) avaient déjà eu de quoi inquiéter les amateurs de simulations historiques, cette vente d’Avalon Hill fait figure de véritable douche froide… Certes, avec le tassement continuel de sa production, cet éditeur avait cédé sa position de chef de file dans l’univers de la simulation historique à des éditeurs plus modestes mais aussi surtout plus dynamiques (quoique…). Mais, à force de voir les jeux du plus ancien éditeur de simulations historiques (2) continuer à trôner en nombre et en bonne place dans les rayons des magasins spécialisés, on avait presque fini par croire en la survie éternelle d’Avalon Hill. Après tout, pourrait-on imaginer voir un jour Ferrari rayé du paysage automobile ou Boeing disparaître des cieux ?

Ces dernières années, Avalon Hill avait exploré de nouvelles voies pour tenter de suivre l’évolution des goûts du public en matière de jeux de simulation. Il y eut bien sûr les jeux de rôle au début des années quatre-vingt (ex. : James Bond 007 ou rachat de Runequest). Plus récemment, on a vu se multiplier les simulations historiques intégrant judicieusement quelques éléments propres aux jeux de société (présentation très soignée, règles abordables, parties à plus de deux joueurs encouragées, etc.). On peut ici citer History of the World, Blackbeard, Britannia, Hannibal, Successors, etc.

Il y eut enfin de sérieux efforts accomplis pour présenter des simulations informatisées plus crédibles qu’auparavant. Pour cela, Avalon Hill a fait appel à la sous-traitance (Flight Commander 2, Over the Reich, Achtung Spitfire) ou a racheté la série à succès V for Victory (Operation Crusader, Stalingrad). Il a également puisé dans son (vaste) patrimoine pour proposer des adaptations informatisées plus ou moins réussis de quelques uns de ses jeux traditionnels (Kingmaker, Advanced Civilization, History of the World, etc.).

Ajoutons à cela qu’Avalon Hill présente une gamme assez importante de jeux de société à thème sportifs essentiellement, souvent plus sophistiqués que la moyenne habituellement proposée dans ce créneau. Destinés au marché américain et souvent non traduits, leur diffusion est demeurée relativement confidentielle dans les pays francophones. Il est d’ailleurs fort possible que ce sont surtout ces jeux qui intéressent le groupe Hasbro…

Mais en y regardant de plus près, il faut aussi reconnaître que ces diversifications ont trop souvent manqué leur cible prioritaire : la reconnaissance du public. Ainsi, du côté des simulations informatisées, les quelques jeux cités ci-dessus, quoi que valables, n’ont à vrai dire jamais connu un succès commercial significatif. Plus grave, bon nombre de projets ambitieux annoncés à grand renfort de promotion tapageuse n’ont jamais vu le jour, comme Beyond Squad Leader, ou ont débouché sur de cinglants fiascos techniques (Third Reich, Fifth Fleet).

Ajoutons à cela l’incapacité de produire, en leur temps, au moins un jeu de rôle majeur ou, plus récemment, un jeu de cartes « à collectionner » susceptible de connaître un gros et salvateur succès commercial pour définitivement se convaincre qu’Avalon Hill a sans doute manqué trop de rendez-vous cruciaux.

Mais, par dessus tout, la probable disparition d’Avalon Hill de l’univers des simulations historiques reflète la marginalisation apparemment inexorable des jeux utilisant les supports traditionnels du papier et du carton sur le toujours déterminant marché américain. La concurrence de simulations informatisées de plus en plus séduisantes et aptes à s’attirer une nouvelle et abondante clientèle n’est évidemment pas étrangère à cette situation critique… Sans leur grand frère aîné et près de vingt ans après la disparition du plus turbulent mais aussi peut être du plus génial d’entre eux (SPI), les éditeurs américains encore présents, GMT, The Gamers, Clash Of Arms, Decision Games ou encore XTR, pour ne citer que les « moins modestes », semblent n’avoir jamais été aussi esseulés qu’en cet été de 1998…

Stéphane MARTIN

 

1. Dont les activités de base demeurent essentiellement axées sur l’imprimerie.
2. Après avoir édité en 1952 et à compte d’auteur, une première simulation, Tactics, Charles Roberts fonde Avalon Hill en 1958.

COMMENTAIRE

Ajouter votre commentaire
Veuillez indiquer votre nom ici