Deux ans après From Warsaw to Paris, la jeune maison néerlandaise VR Designs poursuit la série Decisive Campaigns. Celle-ci nous avait laissé une impression globalement positive en choisissant de faire évoluer le moteur d’Advanced Tactics vers un système opérationnel classique en tours alternés traitant des combats de mai 1940 sur le front Ouest. Disons le tout de suite, avec Case Blue c’est une très bonne surprise qui attend les amateurs de wargames tant les progrès sont nombreux.
On pouvait s’attendre à une simple transposition du précédent volet au front de l’Est avec l’annonce de Case Blue (l’opération Blau étant le nom de code de l’offensive de l’Axe en 1942 visant les champs pétrolifères du Caucase et Stalingrad). La liste assez longue des « améliorations », telles qu’on les trouve habituellement lors des annonces mais qui sont parfois des vœux pieux, permet de constater que toutes les critiques formulées à l’égard de From Warsaw to Paris (voir notre test) ont été prises en compte par Victor Reijkersz, l’homme-orchestre à la fois designer et programmeur de VR Designs.
Mais une liste ne permet pas forcément de saisir l’énorme travail qui va bien au-delà d’une réponse aux désidératas des joueurs et offre une expérience ludique largement renouvelée et surtout bien plus complète.
Commençons par ce qui saute aux yeux dès le panneau de démarrage. Les scénarios sont à la fois plus nombreux et plus variés. En effet, les huit scénarios sont maintenant répartis en quatre catégories bien distinctes. La campagne principale couvre les deux mois initiaux (fin juin à début août 1942) de l’opération Blau avec toute une gamme de nouvelles règles stratégiques paramétrables mais aussi des variantes (dont le placement libre).
D’autres campagnes du même type couvrent les opérations précédant la campagne principale, c’est-à-dire à la fois l’opération Trappenjagd sur la péninsule de Kerch et l’offensive russe de mai vers Kharkov, deux versions de la contre-offensive soviétique Uranus mais aussi une campagne longue de juin 1942 à avril 1943. Il faut ajouter deux scénarios idéals pour découvrir le système n’intégrant pas les règles stratégiques et qui traitent des batailles de Voronezh (cf. screenshot en en-tête) et de Kharkov.
Tous ces scénarios sont pleinement jouables par les deux camps. Mais une perle ludique se cache sous l’appellation « linked scenario campaign » et place le joueur aux commandes de la 1ère Armée de Panzer depuis le franchissement du Don en juillet 1942 jusqu’à la « fin de la guerre à l’Est » en capturant Bakou.
Au long de quatre batailles de plus en plus tendues, le joueur va devoir remplir des objectifs assignés avec un ordre de bataille évoluant dynamiquement (les pertes, l’expérience et les renforts mais aussi les officiers subalternes étant sauvegardés d’une bataille sur l’autre). On touche ici à la philosophie de VR Designs : un réel souci d’historicité mais surtout une grande attention au plaisir de jouer.
L’un des reproches que j’avais formulé pour From Warsaw to Paris concernait son échelle. Partant d’un moteur orienté tactique, le système demandait au commandant d’un théâtre de conduire sur quelques semaines des opérations terrestres et aériennes dans des conditions fixées par le scénario. Le joueur pouvait en paramétrer certaines et acheter via un stock de points politiques des options (renforts, opérations aéroportées ou bombardement de terreur). C’était bien mais cela laissait le joueur à mi-chemin des responsabilités théoriques d’un tel échelon hiérarchique.
Avec Case Blue, les règles de campagnes sont dorénavant à la fois plus souples et plus exigeantes. Comme dans l’opus précédent, le joueur reçoit chaque tour un certain nombre de point de prestige (PP) en fonction de ses succès à remplir ses objectifs, points de prestige qui s’additionnent au stock de points politiques eux-mêmes dépensés pour acheter des options stratégiques.
Mais, nouveauté, la situation stratégique globale est dorénavant évaluée à chaque tour et cela se traduit par une modification à la fois aléatoire et scriptée des objectifs à prendre ou à conserver.
Mieux, le joueur peut également influencer cette perception stratégique en dépensant les PP pour convaincre le haut commandement de revoir ses plans. C’est très simple d’utilisation, directement gratifiant et surtout cela permet une grande rejouabilité des scénarios. A noter que pour simuler la pression du Haut Commandement sur le joueur, une option entraîne même son limogeage en cas de mauvais résultats (quand on atteint 0 point de prestige) !
Les objectifs initiaux de l’opération Fall Blau, le délai doit être respecté, sinon gare au limogeage (option)
Ici l’Axe a 55 points politiques, il lui en faudra 300 points pour tenter d‘éviter l’erreur stratégique de dilution des efforts en retirant Stalingrad de la liste des objectifs majeurs de l’offensive. Même avec les points glanés lors de l’avance initiale, cela demandera sans doute plusieurs mois d’efforts de persuasion sans autres dépenses probablement nécessaires !
Profitant de la possibilité offerte par le moteur de jeu depuis Advanced Tactics (voir notre test) d’associer des « régimes » dans un même camp afin de simuler différentes nations ou armées, Case Blue ajoute à la simple distinction des alliés de l’Axe dans l’OB (moral et remplacement dépendent de leur volonté de se battre qui dépend elle-même de la situation stratégique) une série de règles traitant de leur résistance à être commandé par l’Allemagne : au plus leur volonté de se battre augmente, au plus elles exigent de ne pas être subordonnées à des QG de la Wehrmacht.
Le joueur peut évidemment refuser de placer ses troupes sous un piètre commandement… mais l’OKH le sanctionnera en point de prestige ! C’est à nouveau une solution simple et élégante pour simuler cet aspect du front de l’Est sans fixer arbitrairement des limites historiques.
Concrètement, sur la campagne longue, le joueur de l’Axe pourra se retrouver devant le même dilemme consistant à confier aux armées roumaines ou italiennes le commandement de leurs unités galvanisées par les succès de l’été tout en sachant qu’elles manqueront de réactivité en cas de contre-offensive soviétique. Mais ici, contrairement à beaucoup de wargames, il sera responsable non seulement du choix mais aussi des conditions de ce choix.
A l’inverse, le joueur soviétique se verra régulièrement soumis aux aléas d’une armée en pleine reconstruction après les terribles pertes de 1941 et subira aléatoirement des pénalités en points d’action ou de préparation sur des formations plus ou moins larges. Même hasard pour l’obtention de partisans ou de miliciens, ou pour subir les rebellions caucasiennes…
La durée des scénarios justifie également l’introduction de règles de remplacement. Mais le joueur peut également créer de nouvelles unités ou en changer le type afin d’en modifier l’ordre de bataille : une division d’infanterie particulièrement expérimentée pourra ainsi être transformée en division motorisée et se voir adjoindre les troupes et équipements adéquats.
A une autre échelle cela peut également se traduire par la création d’une armée de réserve soviétique ou d’une force d’intervention rapide en cas d’urgence à partir des forces accumulées au niveau de l’OKH ou de la STAVKA.
Les spécificités du théâtre d’opération offrent également leur lot de « chrome » : traitement des particularités hydrographiques sur le mouvement, le ravitaillement, le combat ou leur possibilité de gel des fleuves ; quatre types de condition météorologique ; conversion des jauges ferroviaires ; importance des puits de pétrole du Caucase pour le ravitaillement soviétique et globalement traitement séparé des stocks de carburant.
Au niveau de l’utilisation des troupes elles-mêmes, les nouveautés sont moins significatives mais ajoutent réalisme et diversité : le ravitaillement aérien, les opérations navales et amphibies, la préparation des stocks de munitions d’artillerie et l’introduction de nouveaux matériels s’ajoutent aux déjà présentes opérations aéroportées et autres déplacements stratégiques.
Toujours au début de l’opération Fall Blau, les alliés mineurs de l’Axe sont encore dociles… Mais les roumains exigeront probablement bientôt plus de contrôle sur leurs troupes.
Les cartes d’actions stratégiques. Tout est possible même l’intervention de la Kriegsmarine !
Il en va différemment pour le commandement. Les changements sont profonds et s’harmonisent parfaitement avec la redéfinition de l’échelle stratégique. La structure hiérarchique complète draine dorénavant le ravitaillement. Les officiers en charge de ces quartiers généraux peuvent être limogés et remplacés par des personnages historiques plus compétents mais à un coût en points politiques qui peut être prohibitif pour les meilleurs.
Chaque QG a désormais un nombre important de carte d’actions qui différent selon l’échelon hiérarchique et qui peuvent être achetée avec des points de commandement s’accumulant chaque tour. Si certaines cartes sont communes à tous les commandants de corps/armée (bonus d’attaque, de défense, de points d’action, de retranchement, de reconnaissance, de moral), d’autres sont spécifiques (bonus d’artillerie, de marche forcée, de barrage d’artillerie, d’expérience, de combat blindé, etc).
De même, les commandants d’armée/front ont des bonus applicables aux formations subordonnées (bonus offensif, d’efficacité des états-majors, de moral ou même levée de troupes en urgence, etc ). Les coûts de ces cartes variant de 2 à 14, et contrairement à From Warsaw to Paris où le hasard était grand, leur utilisation demande donc plus de préparation mais permet aussi de véritable combinaisons.
Une autre critique portait sur l’aspect générique des unités sans doute hérité d’Advanced Tactics. Dans From Warsaw to Paris, les divisions d’infanterie ou de panzer allemandes se ressemblaient bien trop dans leur structure et leur équipement.
Dans Case Blue, la recherche historique a été mise à profit pour peaufiner des ordres de bataille sans doute discutables (l’extrême diversité des matériels et la grande quantité de formations indépendantes ont parfois été simplifié) mais qui tiennent largement la comparaison avec d’autres productions.
A noter que curieusement, et même si cela sera peut être corrigé dans la version finale, le manuel ne présente aucune bibliographie alors que l’historiographie de cette phase de la guerre a été particulièrement renouvelée ces dernières années.
Il reste enfin à saluer l’énorme travail de polissage de l’interface. Si l’amateur des productions VR Designs s’y retrouvera immédiatement et que le nouveau venu appréciera plus ou moins l’esthétique générale, tous devront admettre que, sauf à en modifier radicalement les fondements (comme le nombre importants de clics à effectuer compte tenu de l’impossibilité de sélectionner plusieurs unités en même temps), elle est particulièrement complète.
Le commandant du 51ème corps offre 74% de bonus de combat. Ces capacités personnelles en font un excellent meneur d’hommes (toutes les valeurs sont supérieures à 80 sauf l’organisation requise pour un commandant d’armée) mais il n’est pas suffisamment secondé (le ratio état-major/troupes est de 0.93). Il possède à ce moment 12 points de commandement et en reçoit 2 par tour. Un bonus d’attaque (12 PC) serait sans doute nécessaire pour affronter les russes retranchés mais ne pourra donc pas être réutilisé avant 6 tours…
Parmi les autres améliorations depuis From Warsaw to Paris, citons pêle-mêle la mise en surbrillance des unités d’une même formation (Corps / Armée et / ou division), des popups généralisés et qui permettent de quasiment se passer de la lecture du manuel, des menus déroulants informatifs (briefing, statistiques, ordre de bataille, rapports de tour) très clairs, un zoom à la molette offrant à chaque niveau des renseignements visuels adaptés, la possibilité d’accéder directement à une unité en cliquant sur son nom (y compris depuis l’écran d’OB).
A retenir également, et ce n’est pas négligeable sur certaines « vieilles machines » fréquentes chez les wargamers, que l’exécution du programme a été largement optimisé (tant en rapidité qu’en consommation du CPU).
L’éditeur de scénario qui avait disparu est à nouveau accessible directement dans l’écran d’option de chaque scénario. De même, Victor Reijkersz a remis les mains dans le cambouis et ajusté l’IA la rendant à la fois plus rapide et plus performante : il sera inutile de laisser des flancs ou des avant-gardes exposés sans crainte d’une contre-attaque efficace, ou même d’espérer boucler un encerclement sans réaction des défenseurs.
Évidemment, cette IA peut être paramétrée selon divers bonus mais aussi en augmentant la portée de ses calculs (au prix d’une allonge significative de la durée de son tour) ce qui en fait un adversaire à la hauteur. Le partenariat Matrix-Slitherine offre aussi toujours le très bon système PBEM++ qui permet de trouver facilement des partenaires en mode multijoueur et de gérer facilement plusieurs parties.
Ci-dessous, les trois niveaux de zoom sur le siège de Sébastopol. Les renseignements sont nombreux mais la lisibilité reste excellente grâce à une large palette colorée
Un ordre de bataille (OB) digne des « monster games » !
Derniers mots
En conclusion, il semble clair que les wargamers ont désormais une nouvelle série opérationnelle qui a magnifiquement maturé. Plus qu’une série d’améliorations ponctuelles, le jeu a gagné en profondeur et en cohérence. Les points forts, à savoir une historicité forte combinée à une grande marge de manœuvre opérationnelle et stratégique accordée au joueur, sont devenus de vrais atouts qui distinguent Decisive Campaigns des autres systèmes. Nous ne pouvons que souhaiter un bel avenir à cette série qui frappe un grand coup avec Case Blue !
- Un thème mythique du wargame et offrant des situations variées.
- Le joueur est constamment impliqué dans des choix multiples.
- Interface sans réel défaut.
- IA et moteur améliorés.
- Le retour de l’éditeur de scénarios.
- Parfois beaucoup de clics pour sélectionner les unités.
- Revers de la médaille, pour certains, les « gros » scénarios sont longs à jouer.
Type de jeu : wargame opérationnel en tours alternés.
Échelle : régiment – 2 jours/ tour – 10 Km/hex.
Date de sortie : le 16 juillet 2012.
Jeu édité en anglais uniquement par VR Design et Matrix Games. Version testée ne contenant pas tout le matériel documentaire de la version finale.
Site officiel : fiche chez Matrix, fiche sur Steam, site de VR Designs.
Chouette test, mais conversion des jauges ferroviaires, kesako ?
A vue de nez, je dirais que l’écartement des voies de chemin de fer allemand et soviétique étaient différentes et donc, il fallait pour les allemands les réaménager afin d’utiliser le réseau conquis… mais je peux me tromper
Oui oui c’est bien cela.
Ici avec une. On conversion automatique au bout de 4 tours cela peut gêner la logistique d’une offensive rapide…
Trés bonne analyse d’un jeu trés bien conçu et trés riche en subtilités tactiques et stratégiques. L’IA donne du fil à retordre. Les parties entre 2 joueurs devraient être intéressantes. Je n’ai pas bien compris le système PBEM. Doit on passer par le serveur Matrix si on veut sauvegarder une partie avant de cloturer un tour ?
Les parties multijoueurs se lancent et se gèrent à partir de la fenêtre dédiée du jeu. Tout est sauvegardé automatiquement sur le serveur de Matrix-Slitherine.
hmmm… j’ai pas l’impression que le PBEM++ dispense d’une sauvegarde en cours de jeu en cas de plantage/pause avant la cloture du tour.
Par contre, le mode secure (anti-triche) empêche une telle sauvegarde et oblige donc à jouer son tour d’une traite.
Les AAR fleurissent et confirment non seulement un futur hit mais aussi de très bons scénarios… sans compter ceux à venir.
sortie du patch 1.02
J’ai démarré une campagne sur le jeu. Que devient la 11ème armée allemande après la prise de Sébastopol. Historiquement, elle avait été envoyée dans le secteur de Léningrad après la prise du grand port de la mer Noire.
Vous devriez poser la question directement à Victor, il est très sympa et devrait vous répondre rapidement. Voir par là sur son blog pour le joindre : http://www.vrdesigns.nl/?page_id=2
Bertrand, merci de la réponse.