Lorsque j’ai entendu parler d’un jeu prenant pour thème la Guerre du Pacifique entre Japon et USA, avec l’ambition de traiter aussi bien les batailles terrestres que navales, le souvenir de nuits passées avec Pacific General dans les années 90 est immédiatement venu me titiller. Quand Bertrand m’a proposé d’en faire le test, peu de temps avant sa sortie effective, je lui ai inévitablement fait part d’une certaine déception, de ne pas y retrouver inclus ce qui m’avait initialement enchanté dans PacGen, à savoir le didacticiel et ses batailles mettant en scène le conflit sino-japonais, prélude à celui de la Seconde Guerre Mondiale.
Ce fut effectivement frustrant de retrouver avec Order of Battle – Pacific la substantifique moelle de ce qui faisait le charme d’un PacGen, cependant dépourvu de ces batailles si caractéristiques et originales. Conscients de cette carence et, il faut le noter, fortement encouragés par certains fans… le studio The Artistocrats a finalement décidé de faire de cet engagement entre l’Empire du Milieu et celui du Soleil Levant la toile de fond d’une première extension, nettement plus convaincante que le coup d’essai sur la Bataille d’Angleterre, extension substantielle mais payante.
Sorti il y a seulement quelques semaines, Morning Sun n’a pas pour objectif de révolutionner le gameplay du jeu de base mais plutôt d’en offrir une portion ragoûtante aux gourmands ayant déjà épuisé la campagne principale sous ses deux saveurs, japonaise et américaine. Bien entendu, depuis la parution initiale, le jeu a bénéficié de divers patches et améliorations évoquées dans nos colonnes et cette extension en tire partie, tout en ajoutant quelques détails intéressants.
En tout premier lieu, des unités chinoises historiques dont le caractère souvent hétéroclite ne manque pas de susciter la curiosité. Le wargamer averti reconnaîtra avec amusement des matériels russes, bien évidemment présents, du fait qu’après 1941 Staline craignait de voir les forces impériales japonaises envahir la Sibérie, menaçant ainsi l’Ours soviétique sur un second front.
En plus des unités de partisans ou milice chinoises, faites de bric et de broc (la Chine mit de côté tout au long du conflit, au nom de l’unité nationale, une guerre civile qui devait reprendre dès 1945), on remarque également la présence d’unités équipées de blindés italiens légers (essentiellement des chars mitrailleurs), ainsi que français, avec le fameux char Renault FT dont les modèles importés s’avèrent de précieux alliés dans ce conflit où la mobilité des troupes chinoise n’est pas un élément majeur.
Côté japonais diverses unités font leur apparition, surtout dans les airs où de nouveaux modèles de chasseurs et bombardiers sont disponibles. Au sol, la vedette incontestée de cette extension est un blindé lance-flammes redoutable contre l’infanterie adverse, le Sōkō Sagyō Ki. Autres curiosités, les unités montées et leurs fiers destriers dont la mobilité et la position surélevée fournit des troupes de choc parfaitement adaptées à la reconnaissance (ou à la traction de nouveaux obusiers), pour un coût modéré.
En plus de cet ordre de bataille chinois totalement inédit sur ce jeu (dont on notera au passage la souplesse évidente à ce niveau), on pourra également découvrir quelques nouveaux types de terrain dont l’impact sur la mobilité des troupes n’est pas négligeable. La Grande muraille est bien entendu représentée, constituant un obstacle infranchissable. Moins cosmétiques et cependant tout aussi fonctionnels, les plantations de riz viendront sensiblement pénaliser les troupes contraintes de s’y engager.
Cet aspect visuel du jeu constitue toujours l’un de ses attraits majeurs et force est d’admettre qu’avec cette extension, les concepteurs ont réalisé un excellent travail d’intégration, aussi bien pour les unités combattantes que pour représenter le caractère spécifique des champs de bataille chinois.
Les cartes sont magnifiquement modélisées et les grognards gardant en mémoire le vénérable Pacific General ou encore les autres rares wargames abordant ce théâtre d’opérations, tels que Steel Panthers World at War ou The Operational Art of War seront forcément admiratifs devant le travail accompli ; entre réalisme, fidélité topographique et intérêt tactique, le résultat est superbe.
La taille de ces cartes, en plus d’apporter un sel tactique non négligeable aux parties, confère également à ces dernières une caractéristique qui malheureusement pourra également être perçue par certains joueurs comme un inconvénient. En effet et bien que la quantité d’unités engagées demeure toujours contrainte dans des mesures très raisonnables, il n’en va pas de même en ce qui concerne la durée de certains scénarios. Au nombre de onze au total pour la campagne complète, la moyenne des tours pour ceux-ci oscille entre 25 et 50 !
Certes, l’intérêt tactique et la grande liberté laissée au joueur de choisir aussi bien les unités à impliquer selon la nature des objectifs à atteindre (ces derniers restent conformes à ceux présentés par le jeu original) que les voies d’engagement demeurent bien présents, mais il est clair que les plus longs scénarios risquent de décevoir les joueurs moins patients ou impliqués.
Donner ce genre d’argument comme étant un point négatif pour ce type de jeu s’apparente certainement à vouloir se faire l’avocat du diable… mais le fait est que démocratiser le wargame historique ne permet pas de s’affranchir d’une objectivité circonstancielle. Si vous aimez le réalisme qu’apporte ce genre de compromis entre fidélité historique et légèreté ludique, cette extension, bien plus encore que les interminables batailles navales du jeu de base devrait vous combler. Inutile de préciser que personnellement je me suis délecté de cette présentation laissant augurer des campagnes à venir fort enthousiasmantes.
L’extension, en dépit d’un niveau de finition très correct présente cependant quelques bugs mineurs pouvant parfois devenir irritant mais pas vraiment pénalisant durant les parties. En revanche, au moins deux aspects le sont nettement plus, bien que ne risquant pas de ruiner le jeu.
Le plus gênant étant le fait que sur certaines batailles, telle que Wuhan, où le briefing demande de comptabiliser certaines unités de partisans à détruire, le tableau récapitulatif permettant de tenir ce décompte ne se met à jour qu’après une quinzaine de tours et alors que les deux tiers desdites unités ont déjà été anéanties ! Difficile ainsi pour le joueur de comprendre qu’il s’attaque effectivement aux bonnes unités, même si ces dernières sont néanmoins correctement nommées. Il eut été plus judicieux de procéder comme le faisait Panzer General – Scorched Earth, en marquant les unités à détruire de façon visible sur la carte tactique.
Autre problème pouvant prêter à confusion, sur l’une des premières batailles, une erreur manifeste d’identification de l’une des villes objectifs peut induire, une nouvelle fois, le joueur en erreur. On le voit, tout ceci n’est pas très méchant mais méritera cependant d’être corrigé.