En vue de l’arrivée prochaine du second jeu du studio Every Single Soldier, voici la traduction d’une récente entrevue dans laquelle le concepteur de ce wargame très original, Johan Nagel, évoque certains aspects de cette suite et de l’évolution de ses mécanismes.

 

Slitherine – Nous avons le plaisir d’accueillir Mr Johan Nagel, game designer et développeur de Afghanistan ’11, à la tête de Every Single Soldier studio. Dans cette interview il nous expliquera comment Afghanistan ’11 s’appuie sur et innove, par rapport à son prédécesseur Vietnam ’65 (NDLR : voir cet article).

Il apparaît rapidement que ce nouveau jeu, désormais situé en Afghanistan, ne se présente pas comme un jeu de stratégie habituel. En quoi pensez-vous qu’il se démarque particulièrement des autres wargames disponibles sur le marché et pourquoi ?

Ce qui rend V65 et A11 uniques c’est le fait qu’au cœur même du jeu, nous avons associé l’aspect humain (ce que nous appelons le système Cœurs et Esprits) avec le système de soutien politique, l’un et l’autre intimement mêlés. Il est de nos jours simplement impossible de modéliser les conflits COIN (Counter Insurgency ou Contre-insurrection en français) en s’appuyant sur des méthodes de wargaming conventionnelles. Dans A11, chaque action entreprise aura un impact direct sur la façon dont les populations locales envisageront votre conduite des opérations mais également sur le soutien que vous recevrez de votre nation ; cet aspect politique, qui représente au final l’aune permettant de mesurer l’issue des actions anti-guérilla.

Parlez-nous de ce qui représenta les principaux défis à affronter lorsque vous avez commencé à concevoir A11 ?

Comme dans V65 la plus grosse difficulté fut de décider ce sur quoi nous allions faire l’impasse. Le modèle COIN est en perpétuelle évolution, avec tant de facettes et de nuances que nous aurions aimées inclure. Parmi lesquels un système de dialogue plus évolué avec les populations locales, la modélisation des désertions ou encore, la cartographie des points chauds pour l’IA des insurgents. Et bien d’autres choses encore. Un autre défi était de rendre justice au conflit en assurant la conformité des choses dans le contexte ; tout en restant conscient du fait qu’il s’agit d’une guerre actuellement en cours et donc, de ne pas manquer de respect aux personnels encore investis dans ce combat contre la terreur.

Le titre précédent, V65 a été extrêmement bien accueilli. Comment avez-vous développé ce second jeu sur son succès et quelles sont les nouvelles fonctionnalités introduites par A11 ?

Non seulement nous avons énormément appris du développement de V65 mais aussi, nous avons voulu ajouter à A11 le maximum d’éléments nous semblant nécessaires à la modélisation optimale des conflits COIN. En plus du passage à un terrain totalement en 3D et de l’ajout d’un mode campagne, nous avons aussi associé une multitude de couches au modèle. Parmi celles-ci, les plus importantes étant certainement la délégation aux troupes de l’armée régulière des opérations de sécurité, l’introduction d’élections pouvant changer le cour du jeu et aussi, le commerce clandestin de l’opium, dont les effets peuvent avoir une incidence directe sur le conflit.

 

N.B. : à voir sur YouTube et en français cette récente présentation du jeu par Sukhoi.

 

Pour plus d’informations sur le jeu, dont nous ne manquerons pas de vous reparler prochainement, voyez cette fiche sur Steam ou celle-ci chez l’éditeur.

L’Afghanistan présente une géographie complètement différente de celle du Vietnam. Comment cela est-il restitué dans le jeu et quelles sont les contraintes que cela impose ?

C’est un pays de montagnes et de déserts, avec très peu de végétation, donc comparé au Vietnam la différence est criante. Les montagnes représentant une telle caractéristique régionale emblématique, nous avons dû dans le jeu avoir recours à la 3D. Dans A11, les montagnes jouent un rôle central dans les prises de décisions, particulièrement du fait que les opérations aéroportées, élément majeur de V65 sont ici remplacées par les mouvements des véhicules au sol. Désormais le joueur doit non seulement naviguer entre ces obstacles majeurs mais surtout, composer avec le fait qu’ils créent des couloirs naturels entre eux imposant des choix de déploiements mais aussi, s’avérant propices aux embuscades, comme aux placements d’IED (engins explosifs improvisés).

L’une des fonctionnalités nouvelles est ce système d’élections ; comment cela fonctionne-t-il? Pouvez-vous nous détailler la chose ?

Dans A11 des élections sont annoncées périodiquement (généralement entre deux ou trois fois dans une partie standard de 60 tours) et le joueur doit opter pour un candidat à soutenir. À partir de là, la pendule commence à tourner. Suite à cette annonce, une case est utilisée pour comptabiliser le score Coeurs et Esprits de la population locale (NDLR : son opinion et inclinaison) et chaque événement pour les cinq tours suivants sont pris en compte dans un algorithme évaluant les choses et en faisant une moyenne, jusqu’à ce que le jour de l’élection soit atteint. Le cinquième jour, le résultat est calculé en additionnant la case de base à la moyenne pondérée et arrondie des événements, déterminant ainsi le résultat final. Donc pour résumer, lorsqu’une élection est annoncée, le joueur doit optimiser la construction d’infrastructures tout en minimisant ses pertes et dans le même temps, s’opposer à une offensive talibanne visant à influer négativement sur l’issue de l’élection. Les résultats d’élections ont des implications majeures, ce qui rend les cinq tours de préparation particulièrement intenses.

La guerre en Afghanistan est toujours en cours et par bien des aspects, demeure un sujet controversé. Pourquoi avoir choisi d’en faire le thème central d’un jeu de stratégie ?

Toute guerre est sujette à controverses par nature, celle d’Afghanistan d’autant plus qu’elle est effectivement encore en cours. Personnellement, j’ai toujours eu un grand intérêt pour les conflits de type COIN, ayant moi-même servi dans le bush sud-africain durant la guerre dans les années 80. Après avoir publié V65, la transition vers l’Afghanistan était presque devenue une évidence. J’ai suivi cette guerre attentivement. Le modèle utilisé dans V65 semblait parfaitement approprié et cela représentait une bonne opportunité de le faire évoluer. Je suis parfaitement conscient des sensibilités en jeu à propos de ce conflit et très respectueux dans mon interprétation. Néanmoins, il me semble qu’il y a ici matière à raconter les choses, à en rendre compte, et je m’efforce autant que faire se peut de le faire objectivement.