Alors que le 150e anniversaire de la guerre de 1870-71 bat son plein… Ou plutôt résonne faiblement dans un pays trop marqué par la crise sanitaire pour s’y pencher réellement (mais n’est-ce pas normal ?), je souhaite quand même indiquer une autre référence qui mérite qu’on s’y penche.
J’avais déjà présenté l’œuvre majeure de l’excellent et regretté historien François Roth sur la question. Toutefois, l’auteur est aussi revenu plus précisément sur le destin de l’Alsace-Lorraine de 1870 à nos jours dans un ouvrage publié en poche chez Tallandier pour moins de 9 euros mi 2019. Alors que les commémorations passent et qu’un jeu sur table est revenu récemment sur la question de cette guerre, en septembre dernier, on trouvera là l’histoire passionnante d’un « pays perdu » pour reprendre les mots de l’auteur.
Alsace-Lorraine ?
François Roth décrit et explique tout d’abord de main de maître les combats de 1870 en Alsace et en Lorraine et explique l’origine du terme même d’Alsace-Lorraine, en fait venu du jargon administratif allemand (Elsaß–Lothringen) servant à désigner les trois départements français annexés en 1871 (Haut et Bas-Rhin, Moselle). Un premier cliché tombe : toute la Lorraine ne devient pas allemande, ni même l’Alsace d’ailleurs. Le territoire de Belfort, brillamment défendu par Denfert-Rochereau, en est détaché et reste français. Tout au long de son livre, l’auteur s’attache à expliquer patiemment l’histoire de ce territoire mouvementé et détruit bon nombre d’idées reçues : il rappelle que la nouvelle frontière, qui n’est pas fermée entre les deux États et est facilement franchissable, explique la réalité du sentiment d’appartenance à la France des populations (plus nuancé qu’on le dit souvent) et revient sur sa situation dans l’Empire allemand. Les questions administratives, politiques, de société sont toutes évoquées, mais aussi la volonté française de « revanche ». Très connue, elle paraît acquise et marquer toute la période 1871-1914.
Un grand enjeu ?
François Roth montre très bien que la « revanche » n’est en fait pas un programme politique précis, plutôt un objectif lointain pour la plupart des Républicains. La phrase de Gambetta : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais » paraît bien plus appropriée à la réalité. La France indignée mais résignée, ne veut pas risquer une guerre juste pour ce territoire qui, il faut l’admettre, sort un peu des mémoires françaises vers 1900 malgré certains épisodes et des productions artistiques cocardières.
Si un regain de tension revient juste avant 1914, ce n’est pas un objectif de guerre principal quand débutent les combats. Après avoir dénoué tous ces fils, l’auteur raconte ensuite avec une grande justesse les combats de la Première Guerre mondiale en Alsace et en Moselle, revient sur les « malgré-nous » et explique la difficulté du retour de ce territoire à la France en 1919. Territoire où l’on parle bien peu français, où des Allemands – expulsés – se sont installés, et dont l’intégration à l’Empire allemand était en cours d’avancée. A tel point que, jusqu’à aujourd’hui, il reste des lois d’origine allemande ou des pratiques conservées d’avant le retour à la France, comme le Concordat (encore appliqué malgré la loi de 1905).
Peu considéré par Bismarck, ce territoire frontalier est pourtant remarqué par Guillaume II puis annexé très vite par l’Allemagne du Troisième Reich en 1940. Il connaît ses massacres, déportations, combats meurtriers (1944-45) et même l’unique vrai camp de concentration du territoire français, le Struthof. L’auteur explique et décrit tout ceci avec la neutralité de l’historien. Il analyse les identités alsacienne et mosellane sans jamais céder aux simplifications réductrices et les replace dans leur complexité frontalière. D’ailleurs, il montre aussi que malgré près de 50 ans d’association dans la même entité politique, elles n’ont pas fusionné pour donner un sentiment d’être « Alsacien-Lorrain ». Ce terme qui continue d’être employé un peu trop abusivement en donne pourtant l’impression dans la « France de l’intérieur » (soit en dehors de ces territoires) comme elle peut être appelée.
Tout ceci en 224 pages dans un très beau style. Un grand livre, en somme.
Fiche chez l’éditeur. Mes articles sur le sujet sur mon site Web.