Si la thématique des titres HPS séduit d’emblée par sa variété, la pratique régulière de ces jeux peut, sans qu’il soit aisé de le réaliser, induire certaines aberrations mentales. Comme cette pathologie dont le nom scientifique m’échappe, qui fait qu’une personne ressent en permanence la sensation de revivre certains épisodes du passé ou encore, éprouve la troublante impression d’évoluer dans un monde parallèle. A trop avoir fréquenté lesdits jeux ces derniers temps, il m’arrive de croire que celui que je viens d’installer a été programmé en 1989. Mais… est-ce vraiment une impression ?
Quelle idée saugrenue, à l’ère du gigahertz et des pixel shaders, que de commercialiser un logiciel de jeu utilisant des graphismes 24 bits ! Si vous aussi vous souhaitez connaître et apprécier la différence entre un rendu 24 et 32 bits, fut-il 2D, concentrez-vous sur l’observation des captures d’écran ici présentées. La seule justification d’un tel choix par l’éditeur, serait que tout le matériel graphique nécessaire, support pour un tel logiciel, eut été conçu à une époque ancienne, probablement quelque part au début des années quatre-vingt-dix (1900…). De là à penser que Punic Wars n’est que le recyclage d’un projet issu de la même période, il n’y a qu’un pas que je n’hésiterai aucunement à franchir. Quel que soit l’intérêt pédagogique ou ludique de ce titre, on ne peut que déplorer un tel passéisme commercialement assumé. Essayons, péniblement, je l’admet, d’en faire abstraction l’espace d’un test et voyons ce que l’éditeur peut nous proposer -non pas offrir car évidemment, le tarif, quant à lui, a bien évolué avec son temps- pour nous aider à oublier les anachronismes techniques.
Petit rappel historique, pour permettre aux moins studieux pendant leurs cours d’histoire, de se remettre dans l’ambiance. Rome en l’an 264 avant Jésus Christ. L’empire n’est encore qu’une république souhaitant affirmer son emprise sur le bassin méditerranéen. S’opposant à cette volonté hégémonique, les carthaginois, autre puissance économique (maritime) et militaire de l’époque, vont faire valoir leurs propres visées expansionnistes en s’engageant, contre Rome, dans une guerre farouche. Premier point de friction, la Sicile. Plaque tournante commerciale, alors partiellement sous contrôle des anciens phéniciens ; ces carthaginois que les romains nomment Punici. Ce vocable donnera son nom historique à la série de trois conflits mettant face à face, pendant plus d’un siècle, les deux civilisations dominantes du monde connu.
Ces « guerres puniques » s’achèveront par la victoire écrasante des romains, dans tous les sens du terme, en 146 avant JC. Ceux-ci allant jusqu’à faire recouvrir des sables du désert la ville capitale de leurs ennemis humiliés. Vouant aux gémonies le nom même de leur souverain, Hanni-Baal Barca. L’ironie de l’histoire fera que ce dernier demeurera légendaire, à l’inverse de son vainqueur (Scipio), tandis que la ville mythique renaîtra de ses cendres, rebâtie par ses propres destructeurs !
Dans le jeu édité par les studios HPS, la relation -quasiment exhaustive- de ces engagements armés est déclinée tout au long d’une série de scenarii minutieusement développés (il est bien question ici de scenarii et non de développement technique… comme expliqué en préambule…). La série de titres déclinés sous la dénomination d’Ancient Warfare comprend actuellement trois modules : Punic Wars, Gallic Wars et Alexandrian Wars. Celui qui nous intéresse aujourd’hui vient récemment de faire l’objet d’une mise à jour (version 1.05) mais aussi de la publication de deux packs d’expansion gratuits, comprenant respectivement dix-sept et vingt-trois scenarii additionnels, gratuitement téléchargeables sur le site de l’éditeur.
Au total, après mise à jour complète, le joueur se retrouve avec pas moins de soixante-huit batailles (incluant un scénario de didacticiel, moyennement documenté). Une quantité honorable, même pour un jeu HPS auquel ne manque, comme c’est presque toujours le cas, qu’une véritable campagne. Vous ne pourrez jouer ici qu’une succession de batailles étalées parfois sur plusieurs jours, chaque tour représentant quinze minutes de temps réel, sans aucun lien entre elles que la chronologie historique, ce qui n’est déjà pas si mal.
Comme je le laissais entendre précédemment, le bénéfice apporté par l’unique scénario du didacticiel, complété d’un guide de démarrage au format PDF, comme l’ensemble de la documentation, assez chiche, ne permettra pas réellement de mettre les joueurs le pied à l’étrier. Aucune information concrète sur le déroulement de cette courte bataille (une quinzaine de tours) mais plutôt un résumé succinct, des divers aspects se rapportant aux règles que vous devrez approfondir en étudiant le manuel de jeu. La longueur des parties proposées varie largement, entre dix et soixante-douze tours pour la plus imposante, vous donnant l’opportunité d’expérimenter -presque- in situ, le sens de l’expression « victoire à la Pyrrhus ».
Les autres options de jeu concernent uniquement les parties par e-mail, avec un découpage assez classique des tours mais offrant tout de même l’opportunité, pour chaque participant, de revoir l’action adverse. En effet, le système utilisé pour les parties solo en local ou par correspondance, n’est pas une alternance de tours complets mais un WEGO en trois phases. C’est à dire qu’un joueur déplace ses pions, puis passe la main à l’adversaire qui en fait autant et enfin, l’action globale proprement dite est résolue, dans une phase de combat, s’il y a lieu. Inconvénient, le nombre d’échange de fichiers en mode par correspondance est plus important. Mais avec des parties se déroulant en moyenne sur une trentaine de tours, cela reste praticable.
L’interface et la carte paraissent très laides. La représentation des unités également. Cela n’est pas imputable directement aux graphistes, qui ont fait du travail fort correct mais bien à la définition sur 24 bits des images et icônes utilisées. Un choix inopportun et malheureux. Le jeu offre trois modes d’affichage, l’un en 3D supposé plus attractif (sic) tandis que les deux autres, en 2D plus ou moins éloignés, devraient permettre de mieux apprécier l’évolution globale du champ de bataille. Compte tenu du nombre parfois très important d’unités, du peu de clarté (pour le moins…) et de qualité de l’affichage 3D, c’est celui qui sera probablement le plus utilisé.
Pour donner un exemple, la bataille d’Asculum opposant les armées de Pyrrhus aux légions romaines, représente à l’échelle d’un affichage en 1280 x 1024, une largeur équivalant pratiquement à un écran et demi. La capture ci-dessus est éloquente quant à l’aspect proposé par la vue 2D éloignée. C’est parfaitement lisible mais peu engageant pour le néophyte non passionné ou moyennement motivé. Cette apparente rusticité se double de règles simples mais nombreuses, riches et parfois délicates à mémoriser, tant le nombre de facteurs à prendre en compte simultanément, associé aux conditions de victoire et aux impératifs de temps et de mobilité, pourront intimider le débutant mais également, dépasser le vétéran trop peu concentré.
A noter, au répertoire des bons points a attribuer aux concepteurs, quelques détails habituellement négligés par les éditions HPS. Ainsi, le fichier d’introduction (Getting started) se lance normalement au démarrage du jeu. Les fichiers d’aide au format DOC, facilement imprimables, sont bien présents dans le répertoire et pour finir, jolie cerise sur un gâteau qui en avait bien besoin, le jeu lui-même est utilisable sans que la présence du CD soit requise en permanence dans le lecteur optique ! Bel effort qu’il convient de saluer à sa juste valeur. Merci, monsieur HPS. Tant que j’y pense, il est toutefois bon de préciser que Punic Wars n’est pas une création John Tiller, comme le sont pratiquement tous les titres du catalogue. Il s’agit ici d’un jeu programmé par Paul Bruffell.
Le système de jeu est très simple. Sur une carte modélisant le champ de bataille historique avec plus ou moins de précision (que je n’ai pu personnellement apprécier mais peu importe), vos unités sont réparties sur un calque d’hexagones (20m chacun). En prenant en compte le terrain, le temps imparti et le brouillard de guerre (total ou partiel), vous devrez les déplacer une à une (déplacements point à point possibles) afin d’accomplir vos objectifs, consistant à défendre des positions ou à les capturer, selon le camp choisi (missions d’évacuation incluses).
Vous bougez vos pions en activant les commandants d’unités (lorsque cette option est choisie dans les préférences). Chacun possède des points permettant de le faire selon une suite d’activations déterminées par le scénario. Sans ces unités de commandement, vos troupes sont pratiquement inutiles et incontrôlables ! Vous disposez de toutes les armes disponibles à l’époque considérée. Cela va du glaive au pilum pour les fantassins, des archers aux balistes, en passant par la cavalerie légère ou lourde, avec ses fameux éléphants de combat, surtout utiles en tant qu’atout psychologique. Le niveau de moral est ici prépondérant, comme il l’était en ces temps reculés où les mythes, les légendes, le disputaient aux croyances religieuses diverses mais indissociables de toutes activités humaines, guerres comprises. L’état globale du moral de vos armées sera donc un facteur déterminant dans la gestion de chaque partie. L’un de ces éléments à ne surtout pas négliger car s’il advient que sa valeur passe en dessous de la barre fatidique des 33%, c’en sera quasiment fini de vos rêves de grandeur. Adieu le triomphe romain, bonjour la roche tarpéienne !
Les autres facteurs déterminants pour envisager une victoire raisonnable, sans pertes démesurées, sont nombreux mais bien identifiés par la documentation (exclusivement au format électronique, je le rappelle). Les formations figurent en bonne place. Toute la gamme des positionnements tactiques envisageables par un commandant lors de ces batailles antiques est modélisée. Que ce soit pour l’infanterie, en ligne, en carré, en colonne ou en coin ; pour la cavalerie, les alignements sont identiques, avec une option supplémentaire pour les éclaireurs de cavalerie légère, à savoir le cercle cantabrien. Toutes ces postures offensives, défensives ou de déplacement, sont visualisées directement lorsque la représentation 3D est choisie mais ce n’est alors pas forcément très clair, certaines cartes étant extrêmement (et joliment) boisées ; une option permet cependant de distinguer les combattants masqués par les éléments du décor.
Bien plus pratique mais moins flatteur pour l’œil, le mode 2D offre de bien meilleures informations, plus rapidement. Cela demande néanmoins de mémoriser et de prêter attention aux diverses informations et icônes spécifiques à chaque état. Qu’il s’agisse de formation, d’orientation (également extrêmement importante), de moral, de fatigue ou plus simplement, de catégorie d’unité. Les types de cavalerie sont par exemple de trois genres différents, légère, moyenne ou lourde. Une erreur à ce niveau se paye cash !
L’ergonomie sur la carte est bonne, avec de nombreux indicateurs et témoins visuels, permettant de suivre et contrôler l’état de ses troupes, tout comme leur évolution sur le terrain lors des diverses manœuvres. Ce jeu, comme tous les simulateurs de combats antiques de type wargame, est un casse-tête de mouvements et de positionnements. La maîtrise des différents facteurs tactiques y est fondamentale mais sans une bonne vision globale des forces et faiblesses de chaque acteur, comme des paramètres extérieurs (terrain, moral, fatigue), impossible d’envisager des résultats probants. Le facteur chance est peu déterminant, même si les effets psychologiques comme une charge d’éléphants, une volée de baliste bien placée ou encore la mort d’un général peuvent, à tout moment, favoriser l’un des camps. Ces « facteurs chance », seule une bonne compréhension du potentiel tactique de chaque unité, de ses aptitudes au déplacement ou de sa capacité à soutenir des assauts, pourra vous permettre de les voir jouer en votre faveur de manière plus fréquente que le simple hasard ne pourra le faire.
L’appréhension des mécanismes de combat de l’époque est très différente de celle en jeu dans des batailles plus modernes. Le titre de HPS rend parfaitement bien cette sensation. On y perçois clairement la valeur des commandants et on comprend pourquoi certaines batailles, mettant en opposition des armées aux forces apparemment disproportionnées ont finalement vu l’emporter le camp supposé être le plus faible. Les possibilités d’embuscade, de tir en surplomb, les mouvements de diversion ou les attaques feintes, pour attirer à soi certaines unités de réserve ennemies, amoindrissant alors les capacités de réaction de l’adversaire, sont parfaitement envisageables. Voilà les paramètres qui justifient, à eux seuls et selon mon appréciation, une bonne note pour un si vilain petit canard.
Reste que l’IA ne sera pas nécessairement le meilleur stratège possible, à même de mettre en valeur votre propre potentiel de tacticien militaire. Très correcte dans les parties que j’ai pu tester, elle commet -trop- souvent des erreurs qui ne pardonnent pas. Il arrive que ses choix tactiques se révèlent totalement aberrants. Lancer des charges d’éléphants sur une poignée de tirailleurs isolés, alors qu’une grosse masse de fantassins constitue la menace évidente, laisse au manœuvrier consciencieux l’impression de parfois perdre son temps. Mais ce n’est pas ce qui devrait décourager les joueurs moyens car bien souvent, malgré ses bévues, vous devrez vous employer pour obtenir malgré tout une simple partie nulle !
Toutefois ne comptez surtout pas sur l’IA pour vous mâcher le travail. Ce serait une grave erreur, surtout au début, lorsque vous ne maîtrisez pas encore complètement les arcanes du système. Deux défaites consécutives, d’entrée de jeu (il est vrai, avec le camp le plus délicat à jouer) m’ont vite convaincu que l’expérience passée (et lointaine) sur des jeux comme les Grandes batailles d’Hannibal ou de César, ne serait pas suffisante.
Une lecture du manuel, fort bien conçu et présenté (index cliquable) énumérant les capacités précises de chaque type d’unité (valeur : régulier, élite, vétéran, etc.), détaillant les formules de résolution des combats, la liste des raccourcis clavier ou les pénalités appliquées en fonction des terrains occupés, sera absolument indispensable pour gagner. On pourra également se référer opportunément à une présentation des questions fréquemment posées ou encore, à un petit guide de quelques pages, bien nommé « How to win » (comment l’emporter) ! On regrettera toutefois l’absence d’un glossaire ainsi que, surtout, d’une quelconque mise en perspective historique, détaillant le background des batailles simulées. Ce genre de détail ne vous restera cependant pas totalement inconnu, puisque l’écran de choix des scenarii résume succinctement les paramètres de base, pour chaque partie.
Un dernier mot à propos de l’éditeur de scenarii proposé avec le jeu. Bien que ne permettant pas de créer de nouvelles cartes (encore un classique absurde estampillé HPS), il est sensé autoriser la conception de batailles reprenant celles déjà existantes. Malheureusement, qu’il s’agisse d’un bug ou d’un problème de compatibilité avec un élément logiciel présent sur ma configuration, il me fut impossible de le démarrer sans geler l’exécution des tâches. La gestion de la mémoire semble être ici en cause. Curieux problème sur un jeu HPS déjà patché. Peut-être associé à mes pilotes vidéo anciens (et plus mis à jour par ATI) ? Prudence donc si vous envisagez la création de vos propres scenarii !
Conclusion
Ne seraient-ce les erreurs techniques grotesques, certaines habituelles chez HPS, comme le fait de ne pouvoir redimensionner et déplacer la fenêtre de jeu ou des graphismes absolument indignes, le verdict aurait pu être meilleur. Quelques lacunes au niveau de l’IA, des bugs plus ou moins gênants ou encore l’absence d’une documentation plus conséquente, d’un background historique moins parcimonieux, voilà les principaux défauts de ce ludiciel. L’aspect visuel jouera sans aucun doutes un rôle extrêmement préjudiciable à sa diffusion. Cela est d’autant plus regrettable que le thème abordé se révèle spécialement propice à la réflexion stratégique. Trop peu abordé, il n’en ravira que d’autant les passionnés d’histoire antique. Relativement classique mais cependant original dans ses mécanismes, il constitue une excellente approche pour qui désire découvrir cette période riche en faits d’armes prestigieux. Quel dommage, une fois de plus, que l’aspect technique vienne en grande partie gâcher le potentiel ludique ! Les Great Battles Series d’Interactive Magic se faisant de plus en plus rares sur le marché de l’occasion, ce premier volet de la série Ancient Warfare séduira sans doutes le public à la recherche de wargames sur cette époque. Il s’agit bien là d’une véritable simulation. Amateurs avertis… n’hésitez pas !
- Un niveau de jeu digne d’une simulation.
- Une base de scenarii très riche et variée (situations stratégiques diverses).
- Possibilité de jouer tous les camps (romains ou « barbares »).
- Logiciel relativement stable et agréable à utiliser.
- Laid ! Vraiment très laid.
- Éditeur apparemment inutilisable (problème local ?).
- Certains scenarii buggés et injouables (rares, fort heureusement !).
- Documentation perfectible.
- IA parfois relativement faiblarde.
Site officiel – Patch + modules d’expansion gratuits
Date de sortie : février 2007
Studio – Éditeur : HPS Simulations
Prix éditeur : 49,95 $.
Version testée : Finale anglaise patchée 1,05 – Athlon X2 5600/RAM 2 Go/Radeon X1950 Pro 512 Mo. Pas de version française prévue.
Configuration minimale conseillée par l’éditeur : Windows XP, Windows 2000, Windows ME. Pentium 1Ghz ou équivalent AMD. 256 Mo RAM. Carte vidéo avec 64 Mo RAM. Lecteur CD-ROM (uniquement pour l’installation). Espace disque libre : 300 Mo (Chez moi : 411 Mo (patch + 2 packs d’expansion)). Carte son.
NDLR : article initialement paru sur Cyberstratège en 2009.
je commence a être fatigué de ces développeurs qui ne font strictement aucun effort pour rendre leur jeux plus agréable à regarder. C’est important aussi la lisibilité et le confort visuel.
Les joueurs devraient être plus exigeant la dessus.
Je partage cette opinion concernant l’exigence des joueurs, que l’on pourrait d’ailleurs transposer à d’autres domaines. Ce qu’il faut cependant retenir ici c’est le fait que ce type de jeu aborde un sujet unique dans l’univers informatique. Ce n’est certes pas une excuse suffisante mais ça peut raisonnablement justifier un achat :) Curieusement, j’ai envie de défendre ce jeu (particulièrement celui-la) pour valoriser le fait qu’il exploite un thème totalement délaissé par la majorité des studios. Par ailleurs, je constate après coup que j’aurais probablement dû insister davantage sur l’intérêt purement ludique, bien présent, de ce titre. Bref, si le thème vous intéresse un tant soit peu, montrez-vous indulgent et tentez le coup. Ce sera certainement difficile au début mais je pense que vous ne le regretterez pas ;)