Barbarossa, le livre événement
Paru en août dernier, le monumental Barbarossa de Jean Lopez est un pavé qui renverse bon nombre de certitudes sur la campagne de 1941. Compte rendu de cette somme de 900 pages à lire absolument.
L’un des principaux bienfaits du confinement a été pour moi d’oser enfin me plonger dans la lecture de Barbarossa, monument de 900 pages qui m’effrayait, à la fois par son ampleur et par une posture de dynamiteur de vérités tout faites. Tant de pages pour nous réapprendre la guerre à l’Est, que pouvait-on bien raconter encore qu’on ne savait déjà ? Autant le dire tout de suite, on ressort totalement ébranlé par le fantastique travail réalisé par Jean Lopez et son complice Lasha Otkhmezuri. Et je ne parle pas là de quelques mythes ou anecdotes inconnues qui auraient été déterrés dans les archives, Barbarossa est une remise en cause globale et profonde de tout ce que nous connaissions sur la guerre à l’Est, depuis son origine au cœur du pangermanisme (et dans l’esprit d’Adolf Hitler) à l’échec final et inéluctable au moment de la contre-offensive soviétique devant Moscou, au travers d’une fresque d’une densité et d’un niveau d’analyse renversant.
En véritables ogres, les auteurs s’attaquent aux origines profondes et anciennes de l’opération Barbarossa, aux racines même du nazisme, pour nous emporter sur toute la dynamique et la volonté d’expansion et de conquête des terres à l’Est, au travers du long chemin qui engage l’Allemagne dans la guerre. La 1re partie, consacrée ainsi à l’incroyable périple diplomatique qui mène jusqu’au pacte germano-soviétique d’août 1939 est riche d’analyses nouvelles, essentiellement autour des motivations de Staline.
Le reste de l’ouvrage est à l’avenant : l’incompréhension par Staline du véritable dessein d’Hitler qui amène à la surprise stratégique et son refus d’accepter comme argent comptant les innombrables avertissements, la sous-estimation de la puissance industrielle et militaire soviétique par les stratèges allemands, la quasi-défaite pourtant, par incompétence opérationnelle et faille du système bolchévique, de l’armée rouge qui est détruite pratiquement deux fois en six mois, l’incroyable amateurisme logistique allemand et surtout la responsabilité de ce haut commandement allemand dans la conduite des opérations et l’échec de Barbarossa, bien loin du mythe associé aux erreurs du « caporal Hitler ».
Une guerre de titans entre deux systèmes impitoyables, menés par des états-majors aveugles et ineptes… Et une guerre, une vraie celle-là, qui est la mère de toutes les guerres pourrait-on dire, tant l’affrontement à l’Est atteint des proportions uniques dans l’histoire, de par la volonté exterminatrice de Hitler. Jean Lopez insiste sur le projet nazi d’annexion de l’espace vital à l’Est et sa mise en œuvre, qui bloque toute création d’États vassaux, Ukraine en premier lieu, qui auraient été les meilleurs alliés de l’Allemagne contre le système soviétique. Projet très largement suivi au demeurant par l’ensemble des généraux allemands, malgré des décennies de dénis après-guerre. Au contraire, une part significative de l’énergie de la Wehrmacht est allouée au massacre des juifs soviétiques, alors que les prisonniers de l’armée rouge sont sciemment abandonnés pour mourir de faim dans des proportions apocalyptiques. Les différents chapitres sont entrecoupés de coups de projecteur sur des massacres commis en URSS, détaillant la chaîne de commandement ou les complicités locales.
Et malgré cette somme remarquablement écrite, on en redemande, sur les aspects diplomatiques en premier lieu. Pour l’Axe, relation avec les alliés roumains et hongrois, échec de l’alliance avec le Japon ; pour Staline, paranoïa du système communiste et relation ambiguës avec l’Angleterre et les États-Unis. Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri nous livrent un ouvrage de référence, passionnant et qui réalise l’exploit, malgré 80 ans d’écart et des milliers d’ouvrages, de nous faire redécouvrir Barbarossa et la Seconde Guerre mondiale. Je termine avec cette citation : « Les Allemands n’ont pas manqué Moscou d’un cheveu mais d’une année-lumière. Ils n’avaient ni les effectifs ni le moral pour y parvenir. » On comprend enfin, à la lecture de ce livre événement, les raisons profondes et systémiques de cet échec.
Théophile Monnier
Barbarossa : 1941, la guerre absolue, édité chez Passés composés. A découvrir également du même auteur Stalingrad : la bataille au bord du gouffre.
Tout à fait d’accord avec Théophile Monnier. C’est une relecture complète de cette guerre absolue et totale. J’insiste sur le fait qu’aucun soldat de la Wehrmacht n’est épargné dans sa responsabilité partagée de l’élimination massive des juifs, des prisonniers soviétiques, mais aussi d’une très grande partie de la population des zones soviétiques occupées…. Effrayant!!
Bonjour,
Concernant la généralisation des responsabilités à l’ensemble de la Wehrmacht, je ne suis pas d’accord du tout. En faisant cela vous transposé le contexte de l’époque à celle d’aujourd’hui. Hors ni moi, ni vous, devront le faire, au risque de tomber dans une mauvaise réécriture de l’histoire. C’est ce qui se passe actuellement dans notre société par le biais de média peu scrupuleux et intéressé et par des groupuscules de gens en manque de repère chronologique, certainement par faute de culturation suffisante.
Les vainqueurs écrivent l’histoire qu’il faut retenir, alors ne nous comportons pas en vainqueur mais en observateur avisé et instruit afin d’éviter, que cela ne se reproduise, même si l’actualité actuel me fait penser que nous sommes mal partie.
cordialement
Je viens de le commencer, c’est un sacré pavé, très dense, mais tout y est passionnant :-)
Merci pour ce conseil de lecture, rien qu’au poids on est servi :-)