Nous avons déjà dans les colonnes de la Gazette du Wargamer parlé de plusieurs « warteaux », néologisme permettant de définir des jeux d’histoire simple d’accès, aux mécanismes mais surtout aux matériels proches des jeux de plateaux : Mémoire’44, Conflict of Heroes, Birth of America, etc… Les deux premiers, en particulier, partagent un même background « Seconde Guerre mondiale » et une déclinaison d’extensions et de modules élargissant l’expérience de jeu. Depuis quelques semaines, un nouveau concurrent s’inscrit sur ce créneau : Heroes of Normandie.
Il propose d’étendre le choix des joueurs souhaitant s’initier au jeu d’histoire sans figurines, simuler simplement des combats épiques que l’on qualifie d’escarmouches ou simplement s’affronter dans un univers ludique immersif à travers des mécanismes originaux. Il nous semble donc intéressant de proposer non pas un simple test de ce dernier produit (même si nous lui accorderons une attention particulière) mais une mise en perspective des mécanismes, matériels et évolution, une analyse comparative voire un guide d’achat. En somme, une bataille de wargames !
Mécaniques de jeu
Commençons par ce qui fait la qualité la plus déterminante d’un jeu, sa profondeur tactique et stratégique et donc sa durée de vie : le moteur de jeu. Pour le novice, il correspond aux « règles » qui souvent effraient par leur quantité et leur densité, car nécessitant un apprentissage plus ou moins long. Pour le wargamer confirmé, il s’agit du « caractère » du jeu qui déterminera à la fois sa jouabilité et son historicité. Avant de procéder par ordre d’ancienneté à une analyse comparative détaillée, remarquons que chacun des 3 produits a réussi un travail de rédaction adapté à deux publics en associant à une description exhaustive des termes et mécanismes (souvent abondamment illustrés) des notes de conception justifiant ces choix.
Mémoire ’44 est avant tout un jeu de probabilité car son moteur est centré sur l’usage d’un deck de cartes et de dés. Les premières régulent l’activation, les déplacements et de nombreux événements. Les seconds simulent les combats : chaque face (d’un nombre plus ou moins important de dés selon le tireur et le terrain) indique un type d’unité touchée. C’est à la fois l’atout et le défaut de ce système. La chance est omniprésente. Le débutant cherchera d’abord à maximiser l’effet des dés en frappant fort et en usant les forces de l’adversaire. Mais le joueur confirmé, à la manière d’un joueur de cartes, élaborera une stratégie en optimisant sa « main » (parfois sur plusieurs tours), mais aussi en s’emparant des éléments de terrain qui feront basculer les probabilités en sa faveur.
Or, si la victoire s’appuie ici sur une analyse du terrain, des forces et faiblesses de chaque adversaire comme dans tout jeu d’histoire, elle fait souvent peu de cas de leur historicité et des tactiques militaires standards. Aucune règle de C3 en dehors de quelques évocations dans les cartes d’événements. En contrepartie, le caractère abstrait des échelles de jeu et l’usage des cartes de commandement donne un tempo très variable qui améliore la rejouabilité et permet des retournements de situation captivants. La durée de jeu n’est pas fixée mais liée à l’accumulation de points de victoire principalement liés aux pertes infligées à l’ennemie mais aussi souvent au contrôle d’emplacements. Les parties sont donc en général assez courtes ce qui correspond bien à une pratique occasionnelle ou au jeu de club… mais aussi à la compétition puisque la communauté Mémoire’44 est extrêmement active (y compris sur PC) et organise régulièrement des tournois. Des trois jeux, c’est indéniablement le plus simple d’accès. Les nombreuses règles optionnelles offertes par les extensions ne raidissent pas la courbe d’apprentissage.
Conflict of Heroes se veut une simulation et le terme de warteau n’est d’ailleurs pas vraiment adapté à un design qui s’apparente aux jeux d’histoire avec figurines les plus exigeants. A première vue, c’est d’ailleurs un wargame classique avec pions aux nombreuses indications numériques, cartes hexagonales et règles très denses. Ces pions sont leur cœur du système de jeu, ils permettent de représentés les caractéristiques d’unités de combat de la Seconde Guerre mondiale : puissance de feu antipersonnel et antichar, cadence de tir, portée, capacité de déplacement, et potentiel de défense. Cependant, un choix radical permet le tour de force de limiter ces informations à un nombre raisonnable tout en traitant les spécificités de chaque unité et matériel. Ainsi, les véhicules sont traités de ce point de vue comme les unités d’infanterie : pas de valeur de blindage. De la même manière, la question complexe du C3 est traitée de manière abstraite sans céder à la cohérence car l’échelle est parfaitement équilibrée. Les engagements sont limités dans le temps (en général 5 tours) et correspondent aux affrontements en eux-mêmes. Les effectifs sont assez faibles : on manipule rarement plus d’une dizaine de pions. Ainsi, on évacue la question du contrôle hiérarchique ou de la communication et avec les points de commandements, on simule la capacité d’un camp à concentrer ses efforts sur une situation précise pour en modifier le « cours normal ».
En clair, toutes les actions sont historiquement réalistes et correspondent à la probabilité moyenne. Seules les actions exceptionnelles sont réalisables via un stock de points de commandements et un nombre limité de cartes (rarement plus de deux par tour) : avancer plus vite, tirer mieux, ravir l’initiative à son adversaire, faire intervenir des armes lourdes, etc… Comme le stock de points de commandement diminue avec chaque perte subie, leur gestion est décisive. Ainsi, on constate souvent (avec satisfaction ?) qu’il est difficile de retourner des situations d’infériorité numérique. En effet, même si « passer » est toujours une option, le système d’activation et plus encore celui de points de commandement favorise le camp le plus nombreux et le tempo de jeu se calquera souvent sur la recherche de cette supériorité.
L’autre particularité du système réside dans son alternance constante d’action individualisée : Il ne s’agit pas seulement d’activer une unité puis de passer la main à l’adversaire mais de choisir en permanence quelle action sera effectuée par quelle unité. Toute action dépense un pool fixé par défaut à 7 points. Se déplacer d’un hexagone coutera par exemple 1 PA pour une unité de fusilier mais 2 PA pour un binôme de mitrailleur, et un véhicule chenillé bénéficiera d’un bonus d’un hexagone gratuit. Ouvrir le feu, coutera 2 PA au mitrailleur mais pourra monter jusqu’à 5 PA pour les T-34 en 1941. Les spécificités des forces en présence et même leur évolution durant la guerre sont donc simplement traitées. La courbe d’apprentissage peut s’avérer un peu raide au début pour les joueurs ne connaissant rien à l’histoire militaire. Même élégance dans la gestion des dommages : deux réserves de pions (l’un pour l’infanterie, l’autre pour les véhicules) offrent en cas de « touché », une large gamme de résultats modifiant les caractéristiques de l’unité atteinte… qui n’est détruite qu’après l’accumulation de deux marqueurs de dommages… ou le tirage du seul marqueur de destruction immédiate ! A l’inverse de Mémoire’44, les tactiques militaires classiques correspondent donc aux résultats optimums mais le joueur peut faire intervenir ses points de commandement et ses cartes pour augmenter encore la tension et parfois faire basculer les situations les plus extrêmes. Les conditions fixées par les scénarios sont particulièrement importantes pour assurer des parties équilibrées mais la rejouabilité est bonne.
Heroes of Normandie est officiellement un « wargame hollywoodien ». S’il tire en effet son inspiration de cette vision de la guerre qui consiste à rendre spectaculaire et fun les combats de la seconde guerre mondiale, il doit aussi beaucoup aux jeux d’histoire avec figurines. Les créateurs reconnaissent d’ailleurs avoir conçu leur « heroes system tactical scale » pour augmenter l’ergonomie de ces jeux qui restent lourds à manipuler tout en en maximisant l’effet visuel. Le premier choix de conception consiste en une surface de jeu en damier et non pas en hexagones. Si elle peut paraître plus accessible, elle introduit pourtant des distorsions dans les déplacements (les obliques étant plus longues que les axes orthogonaux) et le rendu des éléments de terrain. Cependant, le choix d’une échelle adaptée en limite les inconvénients. Une unité se déplacera rarement de plus de 3 ou 4 cases. Elle n’aura pas à se préoccuper de portée (tant qu’elle est inférieure à 7 cases).
Le second choix consiste à visualiser l’ensemble des informations nécessaires aux mécanismes de jeu directement sur les plateaux, marqueurs et pions. Ces derniers matérialisent les unités de combat et sont de grande dimension. Ils représentent pour l’essentiel des demi-groupes d’infanterie vues de dessus et indiquent par une série de valeurs numériques et de symboles les valeurs de tirs (anti-personnels, anti-véhicules et anti-chars) et de défense, la capacité de déplacement ainsi qu’une gamme de compétences plus ou moins large. Les « héros » et les véhicules sont là pour élargir l’éventail des ordres de bataille finalement assez réaliste et d’ailleurs subtilement régulés par un système de points de force (comme dans les jeux avec figurines) et de réglettes (correspondant plus ou moins à des pelotons) afin d’éviter les forces trop déséquilibrées. Pour autant, on ne fuit pas la fantaisie puisque les références du genre sont ici figurées par leur avatar de carton : « Clint » et « Oddball » ont des visages bien connus.
Dans le même ordre d’idée, le système de jeu favorise l’attaque : on meurt vite ! Il faut donc saisir l’initiative et optimiser ses atouts. Pour se faire, chaque tour est décomposé en trois phases. Dans la première, chaque joueur distribuera un nombre de cubes d’activation numérotés (et au moins un leurre) face cachée correspondant aux points de commandements déterminés par son OB. Dans la seconde, chaque joueur activera alternativement l’unité dotée du marqueur « 1 », puis « 2 », etc… et pouvant pour chacune soit combattre, soit se déplacer (avec quelques exceptions permettant de faire les deux notamment pour les armes à haute cadence de tir). Les combats sont simples : on compare une valeur de défense et de feu et on lance un dé 6… Mais pour les tirs de suppression, les corps-à-corps, et les tirs contre les blindés, la démarche est à chaque fois différentes !
Bref, une grande simplicité initiale mais pas mal d’exceptions. Cependant, pas de vraies règles de commandement ou de moral. Exit, une fois de plus la question délicate du C3.
La phase principale est donc exclusivement consacrée à la manœuvre et au combat sans temps morts. Enfin, dans la troisième et dernière phase, chaque joueur déplacera toutes les unités n’ayant pas reçu de cube. L’initiative bascule automatiquement (sauf exceptions) à chaque tour. De plus, durant ces trois phases, chaque joueur pourra utiliser jusqu’à 4 cartes qui modifie largement les situations « normales ». Il y est même fortement encouragé puisqu’il reconstitue automatiquement sa main à la fin de chaque tour !
Si ce n’était pas suffisant pour encourager un gameplay agressif et un tempo soutenu, de nombreux scénarios introduisent des objectifs géographiques à contrôler et certains offrent même des bonus (points de commandements supplémentaires, caisses de munitions, etc). La durée de jeu est courte car le nombre de tours n’est jamais supérieur à 8 et que les troupes sont assez peu nombreuses. Les parties sont néanmoins pleines de rebondissements parfois loufoques, et favorisent l’imagination. L’immersion narrative est évidente et on est rapidement incité à utiliser le système de budget pour créer ses propres scénarios. La rejouabilité est donc excellente d’autant plus que la variété des troupes augmente constamment au rythme d’extensions très typées.
Évolution du système – Durée de vie – Adaptation numérique
La durée de vie d’un wargame dépend de la rejouabilité de ses scénarios, donc de ses mécanismes décrits ci-dessus, mais aussi du travail d’édition consistant à renouveler son matériel. Ainsi apparaissent des séries, dispendieuses pour le passionné mais qui permettent de pérenniser un produit. Les trois jeux étudiés présentent de ce point de vue de nombreuses similitudes mais surtout des démarches éditorial différentes.
Mémoire ’44 se démarque d’abord par son ampleur. Non seulement le système permet de créer facilement des scénarios (le logiciel permet de standardiser leur présentation) qui se comptent aujourd’hui par centaines (le site officiel les offrant librement à la consultation) mais les extensions se sont multipliés (voir articles M’44 : l’Equipment Pack et M’44 : état des lieux). Or même avec la totalité du matériel (nouvelles unités, taille de plateaux et set de cartes), le système reste simple et la plupart des affrontements restent des jeux à somme nul où les rapports de force sont facilement évaluables. Avec un peu d’expérience on peut facilement évaluer l’équilibre d’un pool d’unité avec un terrain de jeu et des conditions de victoires. On peut ensuite (ou comme préalable) s’amuser à enrober le tout d’un contexte historique. On peut même grâce au format Overlord passer au jeu par équipe.
Ainsi la dernière extension D-Day offre (au prix d’un investissement matériel conséquent) une expérience ludique unique. Hormis les extensions de matériel (Front de l’est, Méditerranée, Pacifique, composante aérienne, guerre urbaine, armes spécialisées) l’autre originalité réside dans la dimension narrative intégré aux systèmes de campagnes (deux volumes ont été publiés à ce jours contenant 23 campagnes, mais il existe aussi plusieurs réalisations d’amateurs gratuitement téléchargeables ici). La qualité du suivi de l’éditeur Days of Wonder est ici à souligner ainsi que le soutien via une large communauté mais il faut aussi signaler que certaines extensions comme l’Air Pack sont aujourd’hui épuisées et qu’elles le resteront probablement.
Conflict of Heroes malgré un réel succès critique et sa relative jeunesse n’a pas les mêmes ambitions éditoriales. Après un démarrage semblant opter pour la production d’extension (Le prix de l’Honneur sur la campagne de Pologne) à partir d’une boite de base (Le Réveil de l’Ours ou Orage d’Acier), Academy Games a dorénavant opté pour une série de boites stand-alone partageant un même système de règles stabilisé en V2.1 et consacré à un théâtre spécifique… Jusqu’à ce qu’un module solo très prometteur propose une autre dimension de jeu. Pourtant le rythme très lent de sortie de ces opus, s’il témoigne des exigences qualitatives d’Uwe Eickert, laisse aussi une marge de surprises non négligeables sur l’évolution du système.
A ce jour, seul Guadalcanal sur les combats d’infanterie dans les îles du Pacifique est officiellement confirmé. Reste que par la nature même de ce système, le nombre de scénarios est finalement assez réduit. Il faut cependant lui reconnaitre l’avantage d’une option multijoueur sur plusieurs scénarios : chaque joueur d’un même camp contrôlant alors une portion de ses forces.
Heroes of Normandie relève de deux phénomènes éditoriaux plus ou moins récents. Le premier que l’on qualifie parfois d’Ameritrash est le succès de jeu de plateau au thème fort et au matériel abondant, typique des productions d’outre-Atlantique sur le marché européen depuis quelques années. Le second de plus en plus important et diversifié consiste en l’utilisation des plates-formes de financement participative pour concrétiser les projets de création ne trouvant pas toujours leur public sur le marché francophone classique. Ainsi nos deux frenchies Yann et Clem ont créé Devil Pig Games pour accéder à Kickstarter et à un public réellement international.
Le succès fut au rendez-vous avec plus de 500% de financement initial et une deuxième campagne pour le cross-over entre HoN et l’univers décalée d’Achtung Cthulhu (rejeton monstrueux de l’univers de Lovecraft et d’une uchronie Seconde Guerre mondiale) sobrement baptisé Shadows over Normandie. Chaque campagne est évidemment dotée d’exclusivités généralement constituées d’unités supplémentaires historiquement ou cinématographiquement cohérentes. Ainsi à ce jour, à côté des planches de la 4ème division d’infanterie US et de la Panzer Lehr de la boîte de base, on trouvera des unités allemandes de forteresse, une section mécanisée de la LSSAH, des résistants, mais aussi les rangers du capitaine Miller et même les supers héros de Guardian Chronicles ! A cela, il faut ajouter aussi de nouvelles cartes (plages, villages, rivière, etc…)… et des tonnes d’autres projets !
Ajoutons encore pour les lecteurs-joueurs uniquement informatisé que chacun de ces jeux a ou aura une adaptation numérique. Mémoire ’44 Online propose deux options en pay-to-play, soit en ligne sur le site de l’éditeur, soit via Steam. Elles sont fiables et très sobres mais n’offrent pas tous les formats du jeu de plateau et se limitent donc à de simples duels… L’adaptation de Conflict of Heroes (voir cet article) tente au contraire d’aller plus loin grâce à un éditeur de scénario et à quelques extensions et à un rendu visuel en 3D. Elle offre aussi la possibilité de sélectionner certaines règles et de modifier ainsi la mécanique de jeu. Quant à l’adaptation de Heroes of Normandie, on ne sait pas encore grand-chose mais on peut au moins affirmer qu’elle bénéficiera du multisupport (PC, iOS, Android) et d’un puissant éditeur de scénarios.
Avis critique sur le gameplay
Puisque ce dossier a l’ambition de définir « ce que valent » ces trois jeux, je terminerais donc par un avis certes subjectif mais qui devrait également apporter un éclairage supplémentaire sur leurs atouts et leurs faiblesses respectives.
Mémoire’44 est un énorme succès ludique et il ne faut pas dédaigner ce que cela veut dire en termes de suivi éditorial, de facilité à trouver des joueurs ou des événements afférents. Vous pourrez également expérimenter différents niveaux de jeux grâce à sa pente d’apprentissage et un style de jeu très doux, mais aussi grâce à ses formats modulables (multijoueur, modes campagnes, format overlord). Vous pourrez même comparer vos compétences puisque la compétition classée existe via la coupe de France ou la version numérique. Malgré une approche initiale « familiale », le public visé est donc très large car Mémoire’44 n’est ni un jeu de figurine, ni un wargame classique, ni un simple jeu de plateau ce qui lui a permis de franchir les frontières de ces mondes parfois clivés. Vous apprécierez également la qualité du matériel que ce soit celle des composants qui supporteront bien le choc de nombreuses parties, ou celle des règles sans ambigüités ni errata en cascades. Tout cela a néanmoins un coût et l’ensemble de la gamme fera un joli trou dans votre budget (le coût dépasse les 500 €) proportionnel à l’énorme place qu’il occupera dans vos étagères !
Cela ne veut pour autant rien dire sur la qualité réelle du gameplay comparé à d’autres jeux. Le hasard reste grand et parfois frustrant d’autant plus pour ceux qui chercheraient à optimiser des tactiques venus du jeu d’histoire. Comme je l’ai rappelé dans l’analyse des mécanismes, les joueurs calculateurs seront presque toujours récompensés et finalement le « fun » apparent inspiré par le matériel et l’immersion voulu par les créateurs de scénarios et de campagnes s’estompent rapidement devant un gameplay assez peu interactif et un tempo de joueurs d’échec. Évidemment libre à vous de ne pas tomber dans ce « travers » et apprécier la possibilité d’initier femmes, enfant et rétifs au monde du jeu de stratégie historique avec ce produit qui fête sans broncher ses 10 ans d’existence.
Conflict of Heroes est d’abord pour moi un système de jeu qui réussit le tour de force de fusionner une grande rigueur simulationniste à un gameplay extrêmement fluide. Il est ainsi possible d’y jouer avec de complets néophytes au bout de quelques minutes et sur les mêmes scénarios de passer de grands moments de tactiques auprès de joueurs vétérans, scénarios généralement suffisamment court pour être jouer en 1 ou 2 heures. Le matériel est superbe et renforce encore cette impression de sérieux et de maitrise du sujet qui ressort de la lecture et de l’apprentissage des règles. C’est indéniablement un des grands moments de ma vie de wargamer au côté des World In Flames, de la série des Grandes Batailles de Clash of Arms, des jeux de Kevin Zucker ou Columbia Games. Son succès critique est déjà reconnu et il le doit aussi au principal défaut de son créateur Uwe Eickert à savoir son exigence à ne jamais éditer de jeux qui n’auraient pas été longuement testés ! Il est finalement représentatif de notre marché de niche dont il constitue cependant par ses mécanismes originaux une ouverture vers les jeux de plateau.
Heroes of Normandie me laisse plus circonspect d’abord par sa jeunesse et le faible nombre de parties testées mais aussi par des impressions contrastées. J’ai mis du temps à les identifier. HoN est un jeu séduisant, à l’esthétique et aux références accrocheuses en adéquation avec des mécanismes privilégiant les coups d’éclats, la rapidité et l’interactivité. Pourtant, comme le rappelle Simone Donnini qui produit l’adaptation vidéo du jeu c’est d’abord un fantastique jouet. Or, j’ai eu l’impression de retrouver les sensations qui m’habitaient quand enfant, j’accompagnais le destin de mes affrontements de figurines Airfix d’une narration arbitraire. Je m’explique. Si le système de jeu récompense évidemment la réflexion, il offre également une telle variété de situation aléatoire (à commencer par le simple D6 pour les combats) que l’on est souvent frustré.
De plus le cadre « multivers » sera très probablement pour certains, au hasard pour les rôlistes dans l’âme, un atout supplémentaire mais pour moi, la possibilité de voir sur la même surface de jeu, un « Wittman » et un « Clint » à côté de « zombies » et « d’adorateur des grands anciens » frise l’indigestion. S’il faut reconnaitre qu’abondance de biens ne nuit pas, on tombe peut-être ici dans l’excès. Les campagnes Kickstarter ont, en quelques mois seulement, accumulé un matériel déjà pléthorique et une communauté dévouée. Et le planning prévisionnel (voir cette brève) est impressionnant ! Pourtant, ce même matériel qu’il faut trier longuement au moindre scénario à budget, ces plateaux et ces pions individuellement très beaux mais saturant rapidement la discrimination visuelle, cette règle qui multiplie les cas particuliers et les icônes très colorées ont paradoxalement suscité la lourdeur là où j’aurais du ressentir simplicité et efficacité. Ce sentiment est encore renforcé par l’extrême létalité des mécanismes qui est aléatoirement compensée ou augmentée par les très nombreux tirages de cartes. Les règles incitent d’ailleurs les joueurs à choisir au moins 40 cartes parmi les 76 d’un deck par « armée » avant chaque partie. En clair, on peut le faire au hasard mais on peut aussi tomber sur le syndrome deckbuilding à la « Magic » que je fuis comme la peste sur ce genre de jeu.
Autre exemple, le système de cubes d’activation constitue un réel intérêt ludique (à base de « double-guessing ») quand le nombre d’ordre à donner est limité, mais il s’avère laborieux voire peu utile dans le cas contraire. Difficile dans ces conditions de s’attacher à ses unités qui incitent pourtant à une forte immersion à la fois historique et fictive. Bien sur une partie de ces remarques s’estompe avec une meilleure connaissance des ordres de bataille et un bon calibrage des scénarios. L’équilibrage est d’ailleurs subtilement soutenu par un système de limitations des combinaisons de tuiles par code de couleur. L’histoire de Heroes of Normandie me donne en définitive l’impression d’un jeu muri sur de très longues années mais où les concepteurs ont ajouté de « bonnes idées » plus qu’ils n’en ont retiré. Au final, beaucoup y trouveront leur compte car ce jeu est très riche et accessible, et je lui prédis – ce n’est pas difficile aux vues des campagnes Kickstarter – un bel avenir. Paradoxalement, j’attends avec impatience l’adaptation PC de Slitherine qui devrait faire disparaitre une partie de ces critiques !
Quel bilan pour cette bataille de wargames ?
Ces trois jeux partagent de nombreux points communs matériels et ludiques mais on peut d’abord les distinguer par leur public ciblé. En simplifiant, Mémoire 44 et Heroes of Normandie sont plus simples d’accès. Le premier a cependant un meilleur gain en profondeur de jeu au fil de l’expérience acquise. Conflict of Heroes est plus exigeant que les deux autres que ce soit pour maîtriser une historicité plus grande ou un système plus interactif. Mais évidemment ce dernier est plus gratifiant car si le hasard n’y est pas moins présent que dans les deux concurrents, le joueur apprendra à en réduire les effets indésirables.
L’autre aspect déterminant pour les évaluer est qu’ils se présentent comme des « systèmes » déclinés en extensions plus ou moins nombreuses. Ici encore Mémoire 44 et Heroes of Normandie ont une gamme très étendue. Toutefois Mémoire 44 proposera une grande variété de contenus là où HoN se contente de multiplier les unités, lieux et univers. Quant à Conflict of Heroes il proposera lui d’ici peu un nouveau module solo qui devrait faire date.
Objectivement tout induit donc le podium suivant : Médaille d’or : Mémoire 44 – Médaille d’Argent : Heroes of Normandie – Médaille de bronze : Conflict of Heroes (avec mention coup de Coeur ! ).
Annexe : récapitulatif des caractéristiques de chaque jeu
Mémoire 44 | Conflict of Heroes | Heroes of Normandie | |
Contexte historique (de la boite de base) | Front de l’ouest 1944-45 | Front de l’est 1941-42 | Normandie 1944 |
Échelle spatio-temporelle | Abstraite. | 1 tour = quelques minutes ; 1 hex = quelques dizaines de mètres. | 1 tour = quelques secondes; 1 case = quelques mètres. |
Échelle des unités | 1 figurine = une unité de taille abstraite mais de type défini (infanterie, blindé, artillerie, etc…). | 1 pion = 1 groupe de combat, 1 véhicule, une arme de soutien, un obstacle, etc… | 1 pion = ½ groupe de combat, 1 véhicule, voire 1 homme. |
Mécanismes | |||
Activation des unités | Chaque joueur joue alternativement 1 carte de commandement activant un nombre définie d’unités sur certaines sections et éventuellement des cartes d’événements. | Chaque joueur effectue alternativement une action. | Chaque joueur attribue simultanément un certain nombre de cube puis active alternativement 1 unité et la déplace ou la fait tirer et éventuellement des cartes d’événements. |
Déplacement | 0, 1, 2 ou 3 hexagones selon le type d’unité et de terrain. | Chaque unité dépense un nombre de point d’action spécifique au type de terrain. | Chaque unité a un potentiel de déplacement. |
Combat | Des lancers de dés spéciaux indiquent les pertes infligées. | Les unités ont des valeurs d’attaque et de défense. Si VA + modif ≥ VD + modif = touché (tirage d’un marqueur). | Les unités ont des valeurs d’attaque et de défense. Si VA + modif ≥ VD + modif = 1 perte pour l’infanterie ou 1 dégât pour les véhicules. |
C3 (commandement, contrôle, communication) | Abstrait (relatif au nombre de cartes de commandement). | Intégré à un pool de Points de Commandement utilisable pour différents types d’action et l’usage de cartes d’action et d’événement. | Intégré dans un Ordre de Bataille et un nombre proportionnel d’ordres représentés par de gros compteurs en bois placés en double aveugle dans une phase initiale d’ordre. |
Matériel | |||
Surface de jeu (toutes en carton fort représentant un terrain en vue de dessus) | 1 plateau hexagonal double-face 13×9 et des plateaux d’autres formats pour certaines options de jeu. Tous sont découpés en trois sections. De très nombreuses tuiles de terrain à superposer au plateau. | Des plateaux hexagonaux géomorphiques. | Des plateaux carrés quadrillés double–face et des caches de bâtiments ou d’obstacles variés. |
Pièces de jeu | Des figurines assez fidèles historiquement, des D6, un deck de cartes, quelques marqueurs. | Des pions, deux D6, un deck de cartes. | Des pions de grandes dimensions, autant de sets de D6, de cubes de commandements, de deck de cartes que d’ « armée ». |
Prix (de la boite de base) | 55 € | 70 € | 55 € |
Magnifique présentation et la version PC de Heroes of Normandie est annoncé chez Matrix ce 01/10/2015
Ces systèmes sont interessant. mais on est loin de la qualité d’un jeu comme ASL. La reference du combat tactique. Aprés c’est vrai que c’est complexe mais tellement mieux…..
Bref, ces jeux ne sont pas l’extase non plus.
Tres intéressant, très construit et argumenté : une vision posée et intelligente soutenue par une évidente maitrise des fondamentaux du wargame.excellent. Merci ;)