Il y a quelques semaines maintenant, le microcosme de la communauté Combat Mission a été surpris par l’annonce inopinée de la sortie prochaine de Combat Mission – Cold War. Revenons sur cet évènement prometteur pour les amateurs de cette série de référence.
La mèche avait été vendue par un site de presse spécialisée, Wargamer.com, manifestement mis dans la confidence, peut-être pour la dernière fois.
Probablement comme beaucoup, le premier réflexe a été de vérifier calendrier pour s’assurer que le 1er avril n’était pas arrivé plus tôt cette année. Le forum de Battlefront était, comme de coutume, plutôt peu loquace et c’est sur le serveur Discord non officiel que les fans discutaient dans une ambiance électrique.
Au fil des échanges, il s’est avéré que les confirmations étaient données par un des développeurs, dit “IICptMillerII” lui-même. Sautant sur l’occasion, une petite interview lui était proposée et il a étendu l’invitation aux deux autres développeurs du titre : Bil Hardenberger et Warren “The_Capt”.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, nous pouvons vous proposer, en exclusivité francophone, de lever un coin du voile sur la genèse de ce Combat Mission – Cold War.
Claude : qu’est-ce qui vous a poussé à lancer ce projet ?
Warren :
Et bien j’ai grandi dans les années 70/80, je me suis engagé en 88, juste à la fin de la guerre froide, et mes premiers jeux sur ordinateur ont été Mech Brigade et North Atlantic ’86 de SSI. Alors que pour beaucoup de jeunes joueurs c’est de l’histoire ancienne, pour nous, c’était un futur proche.
Bil a servi en plein milieu de tout cela, nous avons donc tous les deux un lien avec cette période, qui jusqu’à récemment était peu traitée dans les wargames et n’avait pas de titre CM. Bil et moi cherchions à percer dans le domaine de la conception de jeux depuis des années et avions fait quelques tentatives (ratées), j’étais assez occupé à la fin des années 2000 donc je n’avais pas beaucoup de temps, mais en 2013 les choses se sont calmées et nous avons décidé de faire la suggestion à Battlefront.
Cela reposait en grande partie sur la réputation de Bil au sein de la communauté. Lorsque nous avons fait notre proposition, nous nous attendions à un « non » poli, mais Battlefront nous a surpris avec un « peut-être » catégorique. Nous avons tout d’abord dû effectuer de sérieuses recherches, puis revenir vers Battlefront pour démontrer que nous étions, d’une part, déterminés et, d’autre part, que nous avions une bonne idée des besoins. Nous avons donc fait beaucoup de recherches et élaboré les TO&E initiaux, les conceptions de campagne et, plus important encore, déterminé la portée et l’échelle du jeu. Après cela, nous sommes restés au ralenti pendant un certain nombre d’années, car Battlefront avait des priorités plus importantes, mais soudain, au début de 2020, Steve nous a appelés pour que nous nous tenions prêts à agir. Je ne sais pas si c’était juste notre tour ou si l’intérêt pour cette époque a quelque peu augmenté, mais la progression depuis lors jusqu’à aujourd’hui a été très excitante.
Pour plus d’informations sur Combat Mission – Cold War, dont la date de sortie n’est pas encore connue, voyez ces captures d’écrans, et cette fiche sur Steam, celle-ci chez Slitherine, ou cette page chez Battlefront.
Bil :
J’ai servi de 1979 à 1992, donc en pleine guerre froide, jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique et un peu après. C’est une époque dont je suis nostalgique, une époque où nous devions nous concentrer sur une « vraie menace » plutôt que sur la menace obscure et controversée du « terrorisme » sur laquelle nous nous sommes concentrés au cours des vingt dernières années ou plus. C’était une époque de tactiques conventionnelles, et nous avions un véritable adversaire de choix, auquel nous pouvions nous mesurer.
Warren et moi avions tenté quelques autres projets de wargames, l’un d’entre eux en particulier était le projet toujours en cours Legends of the Blitzkrieg avec Panther Games dans leur moteur Command Ops… mais comme il présentait trop de problèmes techniques qui ne pouvaient être résolus sans une refonte complète du moteur de jeu (en raison de notre désir de faire passer l’échelle des unités de la compagnie aux pelotons), il a dû être remisé.
Mais ensuite, Warren et moi nous sommes mis à penser qu’un jeu sur la guerre froide avec le moteur Combat Mission pourrait être quelque chose de vraiment spécial. Donc en 2013 nous avons approché Steve et Charles et avons présenté notre plan initial.
Ils ont aimé, et accepté, mais nous on dit qu’il faudrait attendre la sortie de Combat Mission – Shock Force 2, qui n’est arrivé que fin 2018, donc tu comprends notre problème : encore une fois, nous avons mis en pause le développement et nous avons attendu… et attendu. Puis, avec la sortie de Shock Force 2, Warren et moi avons réécrit notre cahier des charges pour Combat Mission – Cold War et avons à nouveau approché Steve et Charles pour développer ce jeu.
C’est en 2019 que nous avons à nouveau fait notre présentation à Battlefront et que le développement a vraiment démarré en 2020… ce qui, comme tu le sais maintenant, nous a menés à aujourd’hui, avec la sortie du jeu dans quelques mois à peine.
Miller :
Je pense que Bil et Warren sont les mieux placés pour répondre à cette question, mais j’ajouterais que c’est un jeu que moi-même et d’autres personnes avons souhaité depuis tellement longtemps. CM – Black Sea et CM – Shock Force 2 (voir cet article) ont permis de poser les fondations nécessaires à la réalisation de Combat Mission – Cold War. Avec le développement et la sortie de ces deux titres, la voie était ouverte.
Claude : avez-vous une anecdote à nous raconter sur le développement du projet ?
Warren :
Pour moi, il y en a deux qui me viennent à l’esprit :
Tout d’abord, il y a eu l’appel de Battlefront (Steve), à la fin de l’été dernier, annonçant 1) que nous étions prêts et 2) que nous avions un calendrier très serré. Après avoir été en mode » slow burn » pendant longtemps, découvrir soudainement que tous les week-ends étaient perdus entre septembre et mars a été pour le moins déstabilisant. L’astuce a consisté à former rapidement une équipe de base et à la répartir sur autant de lignes d’effort que possible. Plutôt que de faire des cartes, puis de l’intelligence artificielle, puis des tests et des modifications, nous avons fini par faire les trois simultanément. L’autre élément clé était de pouvoir prendre des décisions à notre niveau. Battlefront a été remarquable en nous fournissant des personnes et des ressources, puis en restant à l’écart. Nous étions libres de prendre des décisions de conception très rapidement, ce qui a considérablement réduit les cycles et les frais généraux.
Deuxièmement, l’annonce de Slitherine sur Twitch le 16 février. J’étais à la maison en train de terminer une carte de campagne soviétique et soudain, Internet s’est mis à diffuser des informations sur lesquelles nous travaillions depuis des mois (des années pour Bil et moi) en petit groupe. Les canaux de discussion étaient en pleine effervescence pendant que j’étais assis là à placer des objets de décoration, c’était surréaliste.
Bil :
C’est en septembre 2020 que nous avons reçu notre toute première Alpha pour ce jeu. Avant cela, nous faisions des tonnes de recherches et de travail sur le TOE, la recherche de cartes, la planification de la campagne, etc, principalement l’organisation et la planification du contenu. Penses-y… Nous étions en septembre, nous venions de recevoir notre première version Alpha, et nous en étions peut-être à l’Alpha 2 lorsque nous avons reçu un e-mail de Steve disant en substance : « Que pensez-vous d’une sortie en décembre ? »
Eh bien…. après de longs échanges et d’autres développements, nous avons finalement opté pour le premier trimestre de 2021. Ce doit être un temps record pour le développement d’un titre de la série Combat Mission.
Miller :
En fait, j’en ai une bonne ! Ma participation initiale au projet a été un peu un accident : tard dans la nuit, j’ai remarqué un projet de manuel pour un jeu Combat Mission inédit dans le service de partage de fichiers des bêta-testeurs. Curieux, je l’ai ouvert et j’ai été immédiatement surpris de voir des véhicules de l’ère de la guerre froide qui n’avaient jamais été modélisés dans CM auparavant. J’ai envoyé un courriel demandant à aider de quelque manière que ce soit, et j’ai été ajouté à la très petite équipe de bêta-testeurs le jour suivant.
Un mois plus tard, Bil et Warren m’ont ajouté à l’équipe de développement officielle, en tant que partenaire à part entière. Je crois que parfois on a juste de la chance !
Claude : quelle est votre fonctionnalité favorite ?
Warren :
Ma fonctionnalité favorite est celle qui mène directement à mon expérience de jeu préférée : l’équilibrage des forces dans ce jeu est merveilleux et, qui plus est, presque entièrement naturelle.
Dès la première version Alpha, nous avons eu l’impression que les États-Unis et les Soviétiques étaient incroyablement bien équilibrés dans la période que nous avons choisie. Les premières batailles ressemblaient beaucoup plus à celles de CMBN (ou même de CMBO) en ce qui concerne l’équilibre des forces. Cette fonctionnalité ouvre la porte à mes expériences de jeu préférées : les micro-récits de guerre. Ce sont ces petites actions au sein d’une grande bataille qui me marquent le plus ; lorsque l’issue ne tient qu’à un fil et que tu dois rallier les équipages des véhicules pour qu’ils tiennent le coup une minute de plus.
Chaque titre de CM offre cela, mais lorsque les forces sont finement équilibrées, il est tellement plus facile pour ces situations d’émerger naturellement.
Bil :
Il y a quelques nouvelles fonctionnalités dans ce titre qui sont impressionnantes, mais l’inclusion d’une période de plusieurs années (1979 – 1982) dans le jeu de base et l’inclusion du terrain ouest-allemand et du terrain d’entraînement de l’armée américaine au National Training Center (NTC) sont mes préférés. Cela permet d’expérimenter un scénario en 1982, puis d’essayer exactement la même configuration en 1979… les différences sont incroyablement cool.
Mais je pense que ce jeu offre la parité des forces impliquées. Lors d’une partie d’un scénario développé par MikeyD au début de l’Alpha, où une force américaine équipée de chars M-60A2 et d’un peloton d’infanterie tente d’arrêter une horde de Soviétiques en train de déferler, j’ai été choqué de découvrir, premièrement, à quel point ce char était inefficace et, deuxièmement, à quel point le matériel soviétique était efficace, en particulier le BMP-1. Méfiez-vous de ceux-là, ce sont des adversaires très dangereux dans cet opus.
Miller :
Il y a beaucoup de possibilités, mais celle qui vient immédiatement à l’esprit est le DPICM et les munitions à fragmentation pour l’artillerie et les avions, respectivement.
Il s’agit d’une fonctionnalité demandée depuis très longtemps dans les titres modernes, et il est fantastique de la voir modélisée dans un titre Combat Mission, et de voir ses effets sur le champ de bataille. Les DPICM et les armes à sous-munitions sont un système d’armes essentiel pour la période de la guerre froide que nous couvrons également. C’était un multiplicateur de force crucial pour les États-Unis, donnant à leur artillerie précise et rapide un moyen fiable d’attaquer les formations blindées massives. Les Soviétiques bénéficient des mêmes avantages, mais principalement grâce aux armes à sous-munitions déployées par avion. C’est un bouleversement tactique certain.
Ce n’est peut-être pas une fonctionnalité, mais j’aime aussi voir tout le matériel soviétique exposé. Voir des chars emblématiques tels que le T-64A et le T-80B modélisés dans un jeu de CM est un plaisir pour les yeux, et regarder leurs formations tactiques massives mener des assauts, soutenues par beaucoup d’artillerie, est tout un spectacle. Je pense que Combat Mission – Cold War fait un très bon travail pour restituer un sentiment d’échelle convaincant, plus que les titres précédents ne l’ont fait dans le passé.
Ajoutes à cela la parité des forces, le fait que les États-Unis et les Soviétiques sont fondamentalement égaux (dans de nombreux cas, les Soviétiques sont en fait supérieurs) et le résultat final est que les joueurs auront enfin un titre Combat Mission moderne où les États-Unis ne sont pas dominants sur toute la ligne. En fait, j’irais même jusqu’à dire que les Soviétiques volent la vedette. À mon avis, ils sont les plus intéressants à incarner et sont terrifiants à affronter.
Claude : que voudriez-vous dire en particulier à nos lecteurs ?
Warren :
J’espère sincèrement qu’ils auront autant de plaisir à jouer au jeu que nous en avons eu à le créer.
Et c’est un privilège d’avoir pu apporter, ne serait-ce qu’à quelques personnes, un peu de plaisir et de joie dans ce qui a été une période assez sombre.
Bil :
J’espère que tout le monde prendra autant de plaisir à jouer à ce jeu que nous en avons pris à le mettre au point. Ce fut un travail passionné (beaucoup de travail) et c’est tellement satisfaisant de voir la réaction après l’annonce du 16 février.
Lorsque vous aurez enfin le jeu, lancez le scénario « Between Two Fahrbahns » et laissez-vous emporter !
Miller :
Combat Mission – Cold War est un titre exceptionnel. Non seulement il apporte des véhicules et des équipements jamais vus auparavant dans le monde de CM, mais il apporte également de toutes nouvelles fonctionnalités.
Qui plus est, il a été développé en 8 mois environ. Comme Bil l’a mentionné, la première alpha n’a pas été disponible avant septembre 2020. Je pense que de nombreux adeptes de longue date de Battlefront seront surpris et encouragés par ce développement rapide.
Et pour ajouter à cela, nous sommes conscients comme tout le monde du potentiel d’expansion que ce titre apporte. Aucun détail à ce sujet pour l’instant, mais je peux dire que des extensions de contenu sont prévues, et que les joueurs n’auront pas à attendre aussi longtemps que par le passé avec d’autres titres de CM pour lesdites extensions.
Derniers mots
Permettez-moi de compléter ce billet par la vidéo ci-contre que Miller a créé pour l’occasion.
Pour conclure, je tiens à remercier chaleureusement Bil, Miller et Warren pour leur candeur et leur enthousiasme communicatif. C’est une période qui a baigné mon enfance et j’ai hâte de pouvoir m’y replonger, avec une certaine nostalgie aussi, par le moteur de jeu de Combat Mission.
Et au-delà du thème et des fonctionnalités de ce nouvel opus, je suis plutôt intrigué par ce qui me semble être une nouvelle approche par Battlefront : celle de déléguer à un maître d’œuvre, en l’occurrence une équipe de passionnés compétents, la réalisation d’un titre auquel sont alloués des moyens humains et techniques. Le résultat semble être un temps de développement optimisé et un thème qui n’aurait pas forcément été une priorité sans l’impulsion initiale de ce duo de passionnés, qui a eu l’opportunité d’agrandir l’équipe et de diriger le projet comme ils l’entendaient. Est-ce une tendance qui naît ou une exception ?
N’hésitez pas à poster vos éventuelles remarques ou questions à destination des développeurs, et je me ferai un plaisir de les relayer vers eux. Claude Janssen. Out.
NDLR : cet article est ouvert à tous, ne nécessitant pas d’abonnement pour être lu. Vos abonnements sont importants pour que la Gazette du wargamer puisse continuer d’évoluer tout en proposant aussi des articles en accès libre. Pour soutenir le site et son équipe, abonnez-vous.
Je subodore une sortie imminente !
Sur le forum officiel, Elvis poste :
« (…)We’d hate to ruin your weekend but since it’s very close we’re not going to slow anything down. »
(Nous ne voudrions pas gâcher ton week-end mais comme il est tout proche, nous n’allons pas faire traîner les choses)
https://community.battlefront.com/topic/138366-pre-orders-for-combat-mission-cold-war-are-now-open/?do=findComment&comment=1866856
Et de fait !
Ceux qui ont précommandé ont reçu le mail pour télécharger le jeu :
https://community.battlefront.com/topic/139025-just-received-an-email-its-on/