Dimitri Amilakvari, un prince combattant

Publié à la fin de l’été chez Lemme Edit, Dimitri Amilakvari. Un prince combattant de Jean-Paul Huet est l’une de ces bonnes biographies faisant le récit de personnages peu connus en dehors de quelques cercles d’initiés, mais dont l’existence méritait bien qu’on s’y attarde. Non pas qu’il y ait des vies inintéressantes en soi, mais tout le monde n’a pas été l’un des premiers à suivre le général de Gaulle, n’a pas combattu pour la France libre ni n’a été décoré de l’ordre de la Libération avant de tomber au combat à la tête de ses hommes !

Un récit chronologique

Le personnage dont il s’agit est issu d’une lignée princière géorgienne, chassée de Russie par la guerre civile et l’installation des Bolcheviks au pouvoir. L’auteur retrace son existence dans un récrit purement chronologique, qui nous mène du Caucase à la bataille d’El-Alamein. C’est du reste bien adapté à ce type d’ouvrage. S’il n’est pas historien de formation, Jean-Paul Huet a fait un vrai travail de recherche de sources, utilement complétées par des témoignages pas souvent cités et une bibliographie à toute épreuve. Par ailleurs ancien officier, sa connaissance du monde militaire, marqué encore par des mots et traditions séculaires, est aussi appréciée.

Il nous raconte donc son arrivée en France, sa formation militaire et son engagement dans la Légion étrangère, en 1926. L’homme est ensuite de tous les combats de la France puis de la France Libre : « pacification » du Maroc, campagne de Norvège et refus de la défaite de 1940. Suivant dès le début le général de Gaulle, il accumule les décorations, les citations et monte en grade au fil de ses nombreuses campagnes en Afrique où il combat les Italiens et les Allemands. Il croise d’importants personnages comme le général Koenig ou Pierre Messmer, qu’on redécouvre aussi à travers sa vie. Témoignages et nombreuses photos agrémentent très bien un récit aisé à lire et plaisant. Volontairement court (un peu moins de 200 pages), le livre se concentre sur la vie du personnage et renvoie à des utiles ouvrages sur les faits plus généraux. Le lecteur n’est toutefois pas perdu.

Un vide comblé

Un certain vide est aussi comblé. Courageux jusqu’à la témérité, récompensé et ayant donné sa vie à son pays d’adoption, ce prince géorgien n’avait jusque-là pas fait l’objet d’un ouvrage sérieux. Sa vie permet pourtant de relire l’histoire de France. Au travers des yeux d’un réfugié s’étant parfaitement intégré, malgré la douleur, et ayant fait le choix de la fidélité absolue à son pays d’accueil et à une certaine idée de la France pour reprendre les mots de Charles de Gaulle. Soit, là, de refus de l’inacceptable.

On revoit toutes les difficultés de la France libre, ses erreurs et ses succès au fil des pages qui ne masquent pas les défauts du personnage, dur et très (trop ?) exigeant. De plus, savoir que son frère, lui aussi militaire, a suivi Pétain (et mourut dans les rangs de la LVF) nous renvoie aussi à tant de familles déchirées par la défaite de juin 1940 et ayant suivi des voies opposées. La mémoire non plus n’est pas absente. Tué lors de la seconde bataille d’El-Alamein (octobre 1942), il est pleuré et regretté par ses camarades. Légende au sein de la Légion étrangère, il a aussi donné son nom à une promotion de Saint-Cyr et inspire l’armée française jusqu’à nos jours, comme il a suscité des commentaires élogieux de ses ennemis. C’est le grand mérite de cet ouvrage que de le tirer de l’oubli.

Quelques regrets

On regrettera tout de même l’absence de cartes qui auraient permis de mieux localiser les faits étudiés, surtout dans des théâtres d’opération peu connus comme l’Afrique Orientale Italienne. De plus, plus de distance critique envers les témoignages et le personnage lui-même n’aurait pas été inintéressante, pour le replacer dans un contexte plus général et analyser ses erreurs. On sent que l’auteur a fait corps avec son personnage, peut-être un peu trop parfois. Enfin, ses relations avec sa famille et notamment son frère auraient mérité de plus longs développements. Comment a-t-il vécu le fait qu’il soit resté fidèle à Vichy ? Se sont-ils écrit ? Il y a là un aspect important mais trop peu étudié à mon sens. Le fait que ce frère ait combattu le communisme en URSS est important au regard de son histoire personnelle : celle d’une famille chassée de son pays du fait de l’opposition à cette idéologie. Ceci dit, l’ouvrage reste essentiel et les gains engrangés lors de sa vente aideront les légionnaires d’aujourd’hui car l’auteur reverse ses droits aux œuvres sociales de la Légion, une belle marque de respect pour ces étrangers se battant pour la France, voire lui donnant leur vie.

A voir également la fiche suivante sur le site Web du Musée de l’Ordre de la Libération : Les compagnons de la Libération : Dimitri AMILAKVARI

 

Dimitri Amilakvari, un prince combattant - Lemme Edit

  1. Merci beaucoup de cette recension. Vous avez entièrement raison pour les cartes. Concernant les relations avec son frère, il n’existe aucun écrit entre les deux. Comme je l’ai écrit dans l’ouvrage, Amilak n’écrivait pas. Je n’ai rien trouvé dans les archives sur le regard porté sur cet engagement, que ce soit de la part du « prince combattant » ou des personnes qui l’ont cotôyé. Il n’en parlait pas.

    • Merci beaucoup pour votre éclairage. Je me demande si ce silence des sources ne signifie pas quelque chose : une certaine gêne par exemple ? Le fait que ceux qui l’ont côtoyé ne l’aient a priori pas évoqué est aussi digne d’intérêt. Peut-être serait-ce intéressant de le rajouter dans les futures éditions de votre très bon livre…

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