Les années et les extensions passent et, avec elles, Europa Universalis IV, tel un bon vin, se bonifie. Nous accueillons cette fois Mandate of Heaven, 10e DLC majeur pour le jeu. Ce « mandat du ciel » nous propose principalement des ajouts pour l’empire de Chine, mais aussi pour le Japon, à côté de nouveautés plus générales. Notons aussi l’arrivée du patch 1.20, dont nous avons parlé récemment. Pour ce qui est du reste, voyons cela dès à présent et je dissipe le suspens : nous sommes en présence d’un contenu de grande qualité et conséquent.
Soyez l’Empereur de Chine
Le premier aspect totalement retravaillé concerne l’empire de Chine, incarné par la dynastie Ming en début de partie. C’est un ensemble territorial déjà vaste et puissant quand commence le jeu, et il dispose désormais de ses mécaniques propres. Le joueur a tout en main pour transformer l’essai et devenir une pièce incontournable de l’échiquier mondial.
Ainsi, à l’instar de la papauté et du Saint Empire Romain Germanique, une interface permet de prendre des décisions pour l’ensemble de l’empire. S’il se fait respecter de ses voisins et si sa situation intérieure est stable, le joueur va donc gagner des points de mandats et de méritocratie, qui symbolisent l’efficace appareil administratif de la Chine. Une fois les points suffisamment hauts (s’ils sont bas, attendez-vous à bon nombre de malus), des décisions peuvent être prises pour l’ensemble de l’empire, qui le renforcent. Si celles-ci sont définitives, on peut aussi, parallèlement, utiliser sa méritocratie pour promulguer de décrets tous les dix ans. Ils sont très variés et permettent un bon ajustement suivant les politiques que l’on mène : augmentation temporaire des recettes des impôts, meilleure longévité des navires, plus grande combativité des troupes etc.
Ainsi, un joueur en pleine guerre ou exploration navale saura choisir celui qui lui convient le mieux. Cela permet de se spécialiser et pourrait être étendu à d’autres puissances dans le jeu : à côté du système d’édits provinciaux, ils offrent une grande variété d’ajustements.
De plus, l’empire du milieu doit veiller à imposer un tribut à ses voisins. C’est-à-dire qu’ils restent indépendants mais versent chaque année de l’or, des points de puissance ou des troupes, suivant leur puissance et le choix du joueur. Plus vous avez de tributaires, et plus vous serez puissant, même s’il faudra surveiller les guerres entre eux ou contre des puissances extérieures. N’y prendre pas garde peut signifier perdre peu à peu le contrôle sur un ensemble géographique très vaste et difficile à tenir.
Ce système d’ailleurs nécessite d’augmenter ses points de mandats et de concentrer son expansion vers une zone en particulier, en laissant les autres libres, mais devant payer un tribut. La plupart des petites puissances, impossibles à toutes conquérir, accepteront en effet facilement de devenir tributaires par la voie diplomatique, mais d’autres seulement après une guerre victorieuse. Imposer le tribut est d’ailleurs un nouveau casus belli.
Il faudra aussi prendre garde à, comme pour les colonies, la volonté de liberté des tributaires. Si la puissance chinoise se fait lointaine et / ou les pays concernés trop puissants, ils peuvent vouloir stopper leurs paiements. Heureusement, on peut agir sur cette donnée assez facilement et, au besoin, recourir à la force.
Ces nouvelles mécaniques permettent une partie très intéressante avec la Chine. Si elle accumule un retard technologique assez grand au départ, car les institutions introduites par Rights of Man (voir cet article) se déploient à partir de l’Europe et mettent longtemps à arriver… Ce retard se résorbe aussi assez facilement en milieu de partie.
Une Chine bien gérée devient très riche, accumule des points facilement grâce aux tributaires et conseillers, et peut même voir à son tour des institutions apparaître chez elle, ce qui m’est arrivé (manufactures). On se retrouve ensuite avec une très grande puissance, qui peut tenir tête aux Européens et sans problème se constituer un empire colonial et une flotte. D’ailleurs, divers évènements permettent de refuser le repli sur soi du pays et de s’orienter vers des contacts avec les Européens. On aurait quand même aimé encore plus de possibilités, notamment en milieu et fin de partie, pour réformer encore la Chine et accéder à de nouvelles évolutions. Aussi mieux gérer les changements de dynasties et le nom du pays, car les Ming laissèrent la place aux Qing. En l’état, les parties sont tout de même très plaisantes et je cherche la petite bête.
Enfin, notons la possibilité pour les nations confucianistes, dont la Chine, de faire le choix d’intégrer d’autres religions à la leur, totalement, plutôt que de convertir province par province. C’est un processus long et qui peut être déstabilisateur, mais au final bien utile, d’autant qu’il permet d’accéder à des bonus, différents suivant les religions intégrées.
Devenez le Shogun du Japon
Il en va de même pour le Japon : il a été totalement repensé. Alors que commence le jeu, il est divisé en de très nombreux clans et les îles qui le forment ne sont pas unies. La carte est très travaillée et les provinces sont nombreuses, qui donnent un niveau de détail assez impressionnant pour un jeu du genre. Cela se rapproche de l’Allemagne du Saint Empire, elle aussi très fouillée. Là, comme la Chine, le tout a été revu et le joueur peut arriver, à partir d’un clan, à former un Japon uni. Au cours de mes parties j’ai pu voir l’IA y parvenir, comme pour le Royaume-Uni et la Russie d’ailleurs, ce qui arrivait moins il y a quelques années.
Ce qui est intéressant est de jouer la puissance qui contrôle Kyoto, la vraie capitale du Japon de l’époque, là où Edo (Tokyo) n’est pas encore la ville que l’on connaît. Ladite puissance est le siège du Shogun, à qui les autres seigneurs (Daimyos) doivent obéissance et respect… En fait, en termes de jeu, selon un mode proche des tributaires de la Chine ou des colonies des autres pays. On peut donc interagir avec eux par le biais de diverses commandes qui influent sur votre autorité et leur obéissance. Il est même possible de forcer certains d’entre eux à commettre le fameux suicide (seppuku) si vous êtes irrité par leur comportement à votre égard.
Sans parler des guerres qui, ultimement, permettent de voir un clan dominer les autres et parvenir à créer un Japon centralisé, qui profite de nouvelles ambitions et devient bien plus riche que des provinces divisées. La tâche peut être de longue haleine et varie en difficulté suivant les parties. On peut aussi craindre une Chine très expansionniste, ce qui arriva historiquement car elle tenta d’envahir le Japon à l’époque de la dynastie Yuan mongole, certes avant la période couverte par le jeu.
Là encore, l’unification atteinte, il devient possible de remplir ses caisses plus facilement et de rattraper son retard technologique. Ainsi que de se lancer à la conquête de puissances assez faibles du côté de la Mandchourie et, pourquoi pas, de se tailler un empire colonial du côté du Pacifique ou du Kamchatka.
Évidemment, dans les deux cas, il vaut mieux être intéressé par l’histoire du Japon et de la Chine pour apprécier pleinement cette extension. L’ambiance graphique des deux entités est d’ailleurs très plaisante, même si tout n’est pas gratuit, hélas.
Deux livres pour y voir un peu plus clair : Histoire du Japon médiéval de Pierre-François Souyri et Histoire de la Chine de John K. Fairbank. Nul doute que les joueurs des deux pays concernés seront ravis du choix des développeurs en tout cas…
Revue des ajouts généraux
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’autres ajouts. Expédions rapidement de nouveaux raccourcis pour les actions diplomatiques, sur le mode de l’interface générale de construction des bâtiments, qui avait été repensé dans les extensions précédentes, avec une grande efficacité. Là c’est le cas aussi et l’on perd moins de temps en clics inutiles et parfois frustrants pour parvenir à ce que l’on souhaite. Bref, un bon point sur lequel je ne m’attarderai pas.
Par contre, à côté, on trouve un système d’âges (ou ères) et d’âges d’or. Ainsi, l’ensemble de la partie est découpé en quatre âges : des découvertes, de la Réforme, de l’absolutisme et des révolutions. Chaque âge inclut des objectifs à réaliser par le joueur, comme contrôler tel nœud de commerce, convertir tant de provinces, etc. Une fois accomplis, ils permettent de générer des points de splendeur que les joueurs peuvent dépenser. Ils donnent des avantages uniques et qui durent jusqu’à ce qu’on passe à l’âge suivant.
Par exemple, lors de l’ère de la Réforme, on peut choisir de débloquer un avantage de résistance à celle-ci. Cela symbolise en partie le mouvement de la Contre-Réforme. De plus, certains sont accessibles uniquement à des puissances incontournables des ères concernées. C’est par exemple le cas du Portugal lors de la première ère. Pays important lors des grandes découvertes, il a un avantage unique en termes de colonisation dans le jeu. Les Ottomans, dont c’est l’heure de gloire en 1453 avec la prise de Constantinople, disposent eux aussi d’un accomplissement de ce style.
Une fois certaines conditions requises, on peut donc entrer dans un « âge d’or » limité dans le temps, et qui donne de très importants bonus. On pense bien sûr à l’Espagne et son « siglo de oro », qui couvre le XVIe et une partie du XVIIe siècle. Ce fut une période brillante pour ce pays dont les armes, les lettres et les arts furent exaltés à un niveau très important, avant que la France de l’absolutisme puis des Lumières, pour reprendre le titre d’un livre de Joël Cornette, ne prenne le relais. Sans transformer radicalement les parties, on prend plaisir à encore renforcer son État à travers ce système plaisant et utile.
Je trouve tout de même certains bonus assez mal pensés, et il faudra voir si cela ne déséquilibre pas trop le jeu à la longue, en ayant tendance à renforcer encore des pays déjà puissants. A voir, car on peut moduler bon nombre d’options et les nombreux patchs ont tout de même bien optimisé le jeu depuis toutes ces années.