Disponible depuis quelques jours seulement, la version de démonstration pour Jagged Alliance – Back in Action devrait susciter bien des controverses. Prévue pour une commercialisation dans les semaines à venir, cette révision du célèbre jeu de rôle, gestion d’escouades et stratégie, proposant ce qui reste à ce jour un moteur de combats tactiques en tours alternés d’une qualité rarement égalée, suscitait déjà les polémiques depuis plusieurs mois (lire nos précédents articles sur le sujet).
La sortie de cette démo ne risque pas de calmer la virulence des critiques et encore moins, d’apaiser le besoin de renouveau ainsi que l’enthousiasme éveillés par l’annonce d’un remake. Autant le dire clairement, cet article arrive en réaction après quelques dizaines de minutes passées sur cette version de découverte, supposée donner envie d’en voir davantage aux fans sceptiques. Le résultat est aussi clair que la vision omnisciente offerte par l’écran tactique, sur lequel tous vos ennemis apparaissent immédiatement.
Tout débute pour le mieux, avec un didacticiel un peu longuet (pour le vétéran de Jagged Alliance, en tous cas) mais assez bien réalisé. Complet et clair, les actions s’y enchaînent aisément : contrôle de l’unique caméra, déplacement des personnages et combats. Pas grands reproches à adresser ici, si ce n’est que d’emblée, ce qui s’avérera effectivement comme étant l’un des défauts principaux du gameplay, saute aux yeux d’un randonneur de Metavira. L’amplitude du zoom arrière, trop réduite, pose un gros problème, tout comme la gestion de caméra dirigée au clavier, selon un mode propre aux jeux d’action (W.A.S.D.), ce qui en un sens peut paraître agréable car évitant des mouvements involontaires avec la souris.
Dans les faits cela ralentira les réactions du joueur, constituant à l’épreuve des combats en temps réel (rapidement ingérables) un handicap supplémentaire ; ils seront nombreux ! Autre souci avec la caméra, le fait qu’il lui manque à l’usage un axe de rotation. En plus des mouvements latéraux et longitudinaux, un déplacement en inclinaison dans le plan vertical devrait compléter le zoom ; ce n’est malheureusement pas le cas.
Les choses sérieuses commencent avec l’unique scénario proposé. Transposition en 3D de l’une des missions solo présentes dans Jagged Alliance 2, il vous met d’emblée en situation difficile. Trop difficile pour donner envie au néophyte. Vos quatre mercenaires y sont opposés à une tripotée de vilains surarmés. Le système Plan & Go découvert dans le didacticiel, couplé aux options de pause automatique sur événements, y est supposé vous donner la possibilité de contre-balancer l’adversité. Autre élément censé vous permettre d’y parvenir tout en vous amusant (sic), le fait qu’il n’existe aucun brouillard de guerre.
Autant j’avoue avoir été séduit par le Plan & Go, réminiscence agréable d’un jeu comme Soldiers at War de SSI paru dans les années 90, autant cet aspect du game design consistant à ôter l’un des fondements du gameplay de référence m’a totalement sidéré. Le modèle de préparation des actions initié avec un appui sur la barre d’espacement s’avère pourtant être une réussite. Facile d’emploi, extrêmement intuitif et clair, son utilisation en combat sombre dans le néant presque complet, la faute à une I.A. tactique consternante, aussi bien côté alliés qu’ennemis.
Qu’il faille gérer chaque mercenaire individuellement n’est pas un problème. C’était le cas, de tout temps, avec Jagged Alliance, en tours alternés… Le système de Sirtech proposait des moyens élégants, efficaces, pour aider le joueur à s’en accommoder. Disparues les indications visuelles de détection ; les déplacements automatiques de caméra vers l’action adverse, les indices auditifs et autres mises en surbrillance des lignes de visée. Si ce dernier élément subsiste pour les ennemis, rien d’autre que l’expérimentation ; souvent mortelle pour votre merc. confronté à des adversaires dotés de perceptions surhumaines ; ne permet d’avoir une appréciation claire des situations.
Pire ! vos hommes sont totalement incapables de réagir à quoi que ce soit sans que vous ne leur en ayez au préalable donné l’ordre. Si encore la pause automatique sur événements donnait entière satisfaction, il serait permis d’espérer s’en sortir. Autant dire que ce n’est pas le cas. Parfois cela fonctionne mais rien ici n’est inscrit dans le marbre.
Visuellement parlant, ce titre propose un écran tactique et des zones de jeu agréables. Les cartes semblent respecter l’idée générale du Grand ancien, ce qui plaira certainement. La musique et les bruitages paraissent corrects mais sans plus. Exit également les gimmicks sonores propres à chaque mercenaire. On ne retrouve en tous cas pas l’ambiance mise en place avec la série originelle, qui jouait sur un aspect visuellement décalé du réalisme, certains diront cartoonesque.
Qu’on aime ou pas, cette approche représentait une marque de fabrique propre aux jeux Sirtech, participant indiscutablement du charme diffus offert par cette série. Tout cela est absent de ce remake, ainsi que le souligne l’impression de vide laissée par l’affichage des inventaires. Le soin du détail des anciens Jagged Alliance manque cruellement. Même si globalement les sensations offertes ici ne sont pas désagréables, on y retrouve davantage la patte de jeux comme Shadow Company, voire Silent Storm. Ce n’est pas foncièrement une mauvaise chose, à ceci près que ça ne semble pas coller avec l’idée que les fans peuvent se faire d’une reprise de leurs titres fétiches.
Ainsi que je le disais en préambule, les Jagged Alliance demeurent à ce jour quasiment inégalés. Leur suprématie reste prégnante par l’ampleur des campagnes proposées, leur écriture comme leur mise en perspective au travers de cartes cohérentes, plaisantes à jouer. Ce qu’on pourrait qualifier de Level design. Quant au moteur de combat tactique, sa richesse fut rarement atteinte. Seuls quelques titres assez peu connus car peu vendus, tels que Wages of War, Shadow Company ou Soldiers at War, pour ne citer que les plus réussis dans leur globalité, restent relativement mémorables. Sans oublier l’autre série à succès que fut X-Com, dans un style très différent.
Pour résumer, si vous étiez comme moi tenté par ce Jagged Alliance – Back in action, au vu de cette démo que je vous conseille néanmoins de télécharger (d’autant que, pour une fois, sa taille reste raisonnable), j’avoue que malgré un a priori initialement favorable je ne conseillerai pas l’achat du produit à venir. A contrario, si tant est que ce type de jeu vous inspire et que vous ne connaissez pas ses modèles, je vous inviterai plutôt à rechercher les quelques boîtes d’occasion subsistant encore sur eBay ou bien, à en acquérir la version numérique proposée sans D.R.M. (c’est important, de nos jours…) sur Good Old Games (vous trouverez sur Good Old Games l’intégralité de la série Jagged Alliance ; y compris Wildfire, un mod devenu extension). Votre temps et votre argent y seront bien mieux employés.
NDLR : article initialement paru sur Cyberstratège.