L’arrivée en masse sur tablettes des séries Civil War Battles, Panzer Campaigns et Modern Campaigns fait de John Tiller Software l’éditeur de wargames le mieux représenté sur les mobiles à large écran, autrement peu enclins à accueillir de « vrais » jeux de guerre. Cela mérite bien une salve d’accueil, que nous dédierons à la série des Panzer Campaigns pour rester dans le très classique. Car à l’évidence, les jeux de Tiller ne sont pas venus au monde pour renouveler le genre. On les imagine tout droit sortis d’une boîte cadeau préparée avec amour il y a une dizaine d’années, puis oubliée dans un hangar postal de province. Il est temps pour vous de l’ouvrir et d’humer ce parfum rassurant d’autrefois, synonyme de qualité.
Parent pauvre
La série des Panzer Campaigns Touch de John Tiller Software (JTS) rassemble déjà quatre opus d’une quinzaine de scénarios chacun, tirés des Panzer Campaigns sur PC :
- Kharkov ’42 : L’offensive russe du printemps 1942 pour reprendre Kharkov est rapidement suivie d’une contre-attaque de la Wehrmacht qui fera près de 250 000 prisonniers. Marquée par le va-et-vient de l’initiative, cette campagne est jouable tantôt du côté soviétique, tantôt du côté de l’Axe.
- Tunisia ’43 : Les scénarios proposés, dont le tiers sont en fait des scénarios d’appropriation, s’enchaînent sur trois cartes du désert tunisien. On y retrace la course pour Tunis (nov.-déc. 1942), l’offensive allemande sur la passe de Kasserine (février 1943) et le retrait de l’Axe d’Afrique du Nord (avril-mai 1943), tous vécus du point de vue de l’Axe.
- Bulge ’44 : Le projecteur est cette fois dirigé sur le dernier effort allemand pour changer le cours de la guerre, en refaisant aux Alliés le coup des Ardennes. Les scénarios couvrent les semaines les plus intenses de l’opération, lancée le 16 décembre 1944 par le jeune commandant Peiper.
- Market-Garden ’44 : La plus récente campagne de la série (sortie en mai 2014) relate les déboires des forces parachutistes britanno-américaines chargées de s’emparer d’un pont sur le Rhin à la hauteur d’Arnhem, une petite ville jusque-là tranquille des Pays-Bas. On y conduit surtout les forces allemandes, mais aussi les Alliés dans quelques scénarios.
Chaque hexagone couvre 1 km et les tours s’étalent sur 2 heures. À cette échelle, qualifiée de « grand tactique », l’unité de base est la compagnie d’infanterie et le bataillon de blindés. En termes de jeu, on s’occupe essentiellement d’aller au contact pour en découdre, sur des cartes plutôt grandes qui pourraient donner lieu à de belles campagnes endiablées.
Sauf que… la série Touch est plus modeste que sa grande sœur PC. D’abord, on ne trouve, sur tablettes, aucun des longs scénarios de campagne qui font la marque des Panzer Campaigns. Le nombre de scénarios individuels y est réduit du tiers par rapport au PC, et les engagements sont restreints à des portions congrues de la carte. À preuve, tous les chapelets d’hexagones sombres que vous pouvez discerner sur les captures d’écran sont impassables. Sous ce régime minceur, le fil des événements paraît forcément discontinu.
Malgré tout, on trouve dans la série quelques éléments qui flirtent avec l’opérationnel, par exemple le transport ferroviaire ou aéroporté, ou cette possibilité de basculer entre la formation de combat (normal mode), qui ralentit considérablement les déplacements, et la formation en colonne (travel mode), plus rapide mais nettement plus vulnérable au feu ennemi. Le jeu permet aussi les reconnaissances en profondeur, via une mission aérienne ou grâce à l’attribution de l’ordre recon mission à une unité habilitée. Mais c’est surtout avec la version PC que vous pourrez exploiter le plein potentiel de ces facilités militaires (voir l’encadré ci-contre).
À l’école du « presser-glisser »
Pour plusieurs d’entre vous, amateurs d’appareils Android ou iOS, ce sera votre première rencontre avec un jeu de guerre à l’ancienne, reconnaissable au couple hexagones–tour par tour, aux symboles OTAN, à une interface laborieuse et à une ambiance générale peu amène. Mais rassurez-vous, si vous êtes en quête d’un outil d’initiation au jeu de stratégie réaliste, vous êtes à bonne enseigne.
Commencez par télécharger la démo gratuite Panzer Campaigns: Panzer. Il s’agit d’un assez long tutoriel en 12 leçons et 5 récapitulatifs. Il vous enseignera comment manipuler les unités pour les faire bouger, tirer et assaillir l’ennemi. Pour ces actions de base, la conversion au format tablette est parfaitement réussie :
- tapez simplement l’unité pour la sélectionner et voir, dans le panneau de gauche, ses principales caractéristiques ;
- pressez l’unité pour la mettre en mode de tir (les cibles à portée s’affichent en surbrillance) ;
- pressez l’unité et glissez-la sur un hexagone ami ou neutre pour la déplacer ;
- pressez l’unité et glissez-la sur un ennemi adjacent pour lancer un assaut.
Tous ces ordres coûtent des points d’action (appelés movement points), dont il faut systématiquement surveiller le solde, car une unité ayant épuisé son potentiel d’action se défendra mal durant le tour de l’adversaire. En particulier, réservez une quantité minimale de ces points si vous prévoyez de revenir en formation de combat à la fin d’un déplacement en colonne, ce type de réorganisation ayant lui aussi un coût.
J’imagine que, comme moi, vous tâtonnerez un moment avant de comprendre que certains terrains, sous certaines météos, tolèrent très peu d’effectifs, même sur route. C’est particulièrement le cas dans les espaces enneigés de Market Garden ’44. Il faut alors déplacer les unités une à une et faire en sorte qu’elles ne s’empilent jamais, sauf au moment de l’attaque. Dommage que le jeu ne donne pas à l’avance les coûts de déplacement et les limites d’empilement.
Les plus curieux consulteront avec profit l’aide en ligne, qui s’avère détaillée. Votre principal problème sera de mémoriser l’usage des 24 boutons de la barre d’outils (toolbar) affichée en permanence en haut de l’écran. Heureusement, moins de la moitié d’entre eux sont d’usage fréquent (voir le tableau ci-dessous). Cela dit, s’il y a un élément de l’interface qui accuse le caractère rétro du moteur de jeu, c’est bien la bouillie de pixels qui habille ces boutons.
Les boutons les plus utiles
• Longs scénarios couvrant tout ou partie de la campagne (durée de plus de 300 tours dans certains cas !).
• Possibilité de jouer les scénarios à partir de l’un ou l’autre des deux camps.
• Sauvegarde des parties en cours et chargement de parties sauvegardées.
• Jeu multijoueurs par courriel, réseau local et chaise tournante.
• Possibilité de vérifier le rapport de force avant un assaut.
• Différentes options d’affichage, dont l’indispensable outil montrant tous les hexagones visibles à partir de n’importe quel point de la carte.
• Possibilité d’annuler l’action en cours.
• Nombreuses options modifiables permettant d’ajuster le gameplay à sa convenance.
Mécanismes pas bêtes
Plus important que la précision des ordres de bataille, on sent bien les écarts de performance entre les différents types d’unités tant pour les mouvements que pour les tirs et les assauts. Vous en viendrez assez tôt à surveiller les capacités de vos différents chars contre des cibles blindées ou humaines, en pressant le dessin de l’unité dans le panneau de gauche pour faire apparaître sa fiche technique. Ne manquez pas de vérifier la portée de l’arme que vous manœuvrez, car certains chars tirent à 2 hexagones de distance (comme le Panzer IVf), parfois à 3 hexagones (Panzer VIe).
Par contre, n’espérez pas apprendre quoi que ce soit sur les unités adverses, dont il est impossible de voir les fiches techniques. La faute en revient au brouillard de guerre, très dense, qui n’est pas désactivable dans les versions Touch. Même après deux ou trois assauts contre un ennemi adjacent, vous n’aurez aucune information sur le nombre de véhicules, canons ou hommes qui lui restent. Seule solution : jouez un scénario du côté adverse (si la série en contient) et prenez des notes !
La gestion de l’artillerie est adéquate, notamment avec la prise en compte du temps de déploiement des canons, pouvant nécessiter quelques tours. Les artilleurs doivent souvent attendre qu’une unité de leur régiment voit la cible avant de pouvoir l’acquérir. De leur côté, les troupes du génie font leur boulot habituel de déminage et de construction/destruction de ponts, et semblent à peine gênés par les ennemis adjacents qui leur tirent dessus. On se serait attendu à ce qu’ils aient besoin de la couverture de leurs collègues pour conserver leur efficacité, mais passons ce détail.
Une belle qualité des Panzer Campaigns réside dans la vivacité des tirs de réaction (gérés par l’IA) que les ennemis à portée, y compris l’artillerie éloignée, effectuent contre vos unités qui se déplacent ou qui tirent. Et ils ne s’en privent pas, pas plus que vos propres unités d’ailleurs pendant le tour de l’adversaire.
Il ne faut donc pas hésiter à placer plusieurs de vos formations autour de l’ennemi en vue de le rosser de tous côtés dès qu’il osera remuer le nez. Cela répartit un peu l’initiative entre les deux camps et contribue à la sensation d’affronter un adversaire actif et intelligent. Car, soulignons-le, le jeu sur tablettes n’autorise aucun échange multijoueurs.
Une lacune de taille
Comme dans tout jeu de guerre qui se respecte, les mouvements sont automatiquement stoppés lorsqu’on vient au contact de l’ennemi, à moins que celui-ci ne soit démoralisé (broken) ou n’appartienne au commandement (headquarters). Chaque unité exerce ainsi une « zone de contrôle » couvrant les 6 hexagones qui l’entourent. Cela empêche notamment l’attaquant de se faufiler entre les unités ennemies pour semer la pagaille derrière la ligne de front.
Une fois qu’on s’est « collé » à l’ennemi, on ne peut poursuivre sa route que si on s’en éloigne d’au moins 1 hexagone vers un terrain ami ou neutre. Il devient donc facile de ralentir une armée complète simplement en semant quelques cailloux sur son chemin, de surcroît si les routes sont rares et les passages, étroits.
Dans la grande majorité des wargames, ce frein aux élans offensifs est compensé par un mécanisme approprié, le plus souvent par la retraite, en état de choc, de l’unité attaquée sur une distance variable ou encore par sa reddition pure et simple au-delà d’un certain seuil de pertes. Et si l’unité battue n’est pas en mesure de retraiter, elle s’autodétruit. Grâce à ce type de mécanismes, l’attaquant parvient assez aisément à percer les points faibles de la défense ennemie. L’équilibre du gameplay est alors préservé.
Or, Panzer Campaigns Touch commet son gros péché ici : les unités ne se démoralisent à peu près jamais (broken) et ne se rendent pas en bloc. Elles ne font que se désorganiser (disrupted) après un pilonnage de quelques tours et, à partir de là, elles encaissent les pertes, toujours en maintenant leur zone de contrôle au même titre que les unités fraîches. Les faire reculer alors ? Oui, mais ce sera seulement d’un hexagone à la fois, et encore, à la condition qu’elles aient un espace adéquat derrière elle (ami et passable), sinon elles campent sur place et se battent jusqu’à la dernière cartouche. Même les PC (headquarters) peuvent s’avérer indélogeables !
Le meilleur moyen de parer ce défaut de conception — qui malheureusement est assumé par les développeurs — est d’éviter les encerclements et d’orienter les assauts de manière à pousser l’ennemi en bord de route.
Victoire quand viendras-tu ?
Dans ce contexte, ne vous surprenez pas de ne pas atteindre les cases-objectifs dans les temps impartis. Les conditions de victoire sont d’ailleurs assez exigeantes et ne concèdent souvent qu’une égalité ou une victoire mineure là où on anticipait une victoire ferme. La cause serait à chercher du côté de l’efficacité des combats : trop de pertes chez soi et pas assez chez l’adversaire, sachant que les véhicules rapportent dix fois plus que les hommes.
Il vous revient donc de peaufiner vos tactiques pour faire grimper le ratio pertes ennemies/amies. Vous aurez plus de chances de briller si vous parvenez à contourner les poches de résistance, mais cette option est peu praticable en raison de l’étroitesse des champs de bataille proposés sur tablettes, où il faut presque toujours faire son chemin dans les goulots.
Hors-d’œuvres goûteux
Au final, pas de surprise, l’offre en contenu est plus maigre sur tablettes que sur PC. Des fonctionnalités d’importance ont été rognées : pas d’adversaires humains, pas de sauvegarde/chargement de parties (sauf la partie en cours) et cantonnement des scénarios à un seul camp.
Mais ce bridage est en cohérence avec le petit prix du produit : environ 3 $ le jeu, contre une quarantaine de dollars pour la version PC. Bien sûr, on peut se demander pourquoi les jeux PC de John Tiller Software ou du cousin HPS Simulations restent globalement si chers. Chaque jeu d’une même série est en fait un lot de scénarios vendus au prix fort, et l’éditeur n’accorde aucun rabais sur l’achat d’une série complète. Mais c’est un autre débat…
En somme, les Panzer Campaigns Touch sont une belle occasion pour les propriétaires de tablettes de se familiariser avec tout un pan de l’univers des wargames. Ils apprendront les rudiments de la guerre et pourront s’approprier le contexte propre à chaque campagne, notamment en ce qui concerne les performances comparées des unités en présence, les contraintes posées par la géographie et les défis tactiques relevés par les protagonistes de l’époque.
John Tiller Software a choisi d’offrir des versions édulcorées, mais représentatives, de ses jeux en vue d’attirer une nouvelle clientèle vers sa gamme PC (voir l’ensemble du catalogue de JTS en annexe). Je fais le vœu, en retour, qu’un éventuel succès de sa démarche amène l’éditeur à refondre l’interface de ses jeux, pour procurer aux joueurs un réel confort tout en profondeur. C’est le destin manifeste des œuvres de John Tiller, qui tarde sensiblement à se concrétiser…
- Bonne historicité.
- Vivacité des tirs de réaction gérés par l’IA.
- Interface légèrement améliorée par rapport à la version PC.
- Il était temps que les wargames classiques arrivent sur les tablettes.
- Scénarios tronqués.
- Mauvais réglage des seuils de démoralisation.
- Manque d’information sur les possibilités des unités (LoS, aire de mouvement, etc.).
- Zones de contrôle pesantes.
- Absence de multijoueurs.
Date de sortie : septembre 2013 pour le premier Panzer Campaigns Touch.
Éditeur / Studio : John Tiller Software
Site officiel : www.johntillersoftware.com
Prix : environ 3 $ (ou 2.20 €) – Une démo gratuite est aussi disponible.
N.B. : jeux compatibles Android, Kindle et iPad, tests réalisés avec un iPad Air 128 Go. A lire en complément notre test de PzC Touch – Tunisia ’43 et éventuellement notre précédent article sur les débuts de cette série : Panzer Campaigns… du bout des doigts.
Annexe : la part du catalogue de John Tiller sur tablettes