Poursuivons avec intérêt la découverte de la belle collection « Figures de Nouvelle-Aquitaine » des éditions Memoring. L’ouvrage d’aujourd’hui revient sur le destin pas forcément si connu du baron Haussmann, que l’on rattache à juste titre à Paris… En oubliant souvent son itinéraire antérieur et postérieur.
Les débuts d’un aménageur
C’est donc à un parcours de vie intéressant qu’invitent Pierre Brana et Joelle Dusseau, qui décrivent la naissance et l’ascension de Georges-Eugène Haussmann, issu d’une vieille famille protestante, minorité religieuse qui donna de grands hommes d’État à la France du XIXe siècle, comme le ministre Guizot.
Après des études de droit, le jeune homme choisit la carrière préfectorale et progresse lentement sous la monarchie de Juillet à laquelle il prête serment. Replacées dans une perspective longue, ces années apparaissent quand même comme importantes. Sous-préfet à Nérac pendant sept ans à partir de 1832, il s’y révèle déjà un grand aménageur, la petite ville lui devant des routes, des ponts et des écoles. Les auteurs insistent bien sur ces temps de formation et sur le portrait du personnage, plus complexe qu’on ne le croit. C’est un bourreau de travail génial, mais brutal. Il est intelligent mais sans grande culture, au service de l’État dans un rôle aussi de représentation, mais sans réel attrait pour les mondanités… Ces traits se retrouvent tout au long de sa carrière, d’abord assez morne.
Il végète ainsi pendant de nombreuses années dans le sud-ouest, notamment à Blaye après Nérac, avant que la révolution de 1848 n’amène de grands changements dans sa vie. Lui qui est déjà d’âge mûr pour l’époque (il est né en 1809), orléaniste assez convaincu… Comprend que le nouveau président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, élu triomphalement en décembre 1848 peut le faire progresser. Il change donc d’allégeance, comme tant de gens de ce siècle tourmenté. Songeons qu’un Victor Hugo qui termine comme républicain a commencé par chanter les louanges de Charles X lors de son sacre en 1825 !
Un pari(s) réussi
Les auteurs décrivent bien cette ascension, la manière dont il se lie à un chef de l’État qui, opposé à l’Assemblée, cherche des soutiens. À partir de ce moment, celui qui se dit dévoué « au prince » (on parle de plus en plus de prince-président) connaît une progression rapide. Nommé dans l’Yonne en 1850, il passe à la prestigieuse préfecture de Gironde en novembre 1851. Perçu comme un pilier capable de maintenir l’ordre dans une région qui peut s’agiter, notamment Bordeaux, il fait partie de ceux qui tiennent le pays après le coup d’État du 2 décembre 1851. Si sa gestion de la grande métropole dans ces semaines troublées n’est finalement pas si exemplaire que cela, il va bientôt se rattraper.
Il sait ainsi que Louis-Napoléon, qui hésite à rétablir l’Empire, va venir dans sa région à la fin de l’année 1852, car il visite une France qu’il connaît mal (il a vécu en exil ou en prison une grande partie de sa vie). La réception qu’il lui organise est ainsi très soignée et réussie. Le discours prononcé à cette occasion par le futur empereur, dans une ambiance déjà très impériale, est ainsi une franche réussite qui l’aide à vaincre ses derniers scrupules. Haussmann compte donc pour beaucoup dans le passage aux aigles. Il doit ensuite attendre six mois pour qu’arrive la grande œuvre de sa vie. Déçu de son préfet de la Seine, l’ancien nom du département de Paris, Napoléon III le remplace en 1853 par Haussmann, dont il connaît la fermeté, la capacité de travail et le goût qu’il partage avec lui pour l’aménagement. Il souhaite en effet faire de Paris une ville moderne et assainie, loin du cloaque décrit par, encore et toujours, Hugo (voir ce discours).
On comprend bien que la volonté vient du souverain et qu’Haussmann y obéit. Néanmoins, toutes ses réalisations dans la capitale portent aussi sa patte ainsi que celles de ses collaborateurs qu’on retrouve au fil des pages. Les auteurs expliquent bien le coût et les difficultés de l’ouvrage, réalisé à marche forcée par un préfet efficace, mais brusque. Les critiques fusent et sont décrites, des poètes pleurant le vieux Paris à la plume acéré de Jules Ferry, transformant les Contes fantastiques d’Hoffmann en Comptes fantastiques d’Haussmann. Le soutien du chef de l’État apparaît essentiel et est bien expliqué, comme le choix de se séparer d’Haussmann en 1870. Alors que le régime se libéralise, cet homme d’ordre représente trop les débuts du régime et les « affaires » pour être gardé.
Après la préfecture de la Seine
Toutefois, Pierre Brana et Joelle Dusseau rappellent bien qu’Haussmann n’a jamais été personnellement corrompu et que son travail a été une des grandes réalisations du régime. Celui-ci terminé avec la guerre de 1870, la dernière partie du livre n’est pas la moins intéressante.
Resté fidèle à Napoléon III, Haussmann, peu soutenu par la IIIe République, a des ennuis d’argent, tente des affaires en France et à l’étranger, sans grand succès, avant de réussir à stabiliser ses finances. Il est aussi un temps député bonapartiste de Corse, ce qui est peu connu, et le récit de ces années est passionnant. Le devenir des grands noms du Second Empire après celui-ci constitue en effet un aspect pas toujours très décrit, ce qu’on apprécie ici.
Ses dernières années passées à Cestas, soit un retour dans le sud-ouest, et ses ultimes combats comme la rédaction de ses mémoires terminent l’ouvrage, ainsi que les polémiques autour de son nom et les hommages rendus par des adversaires politiques, ce qui ne laisse pas d’étonner. On aurait toutefois aimé que la mémoire de son œuvre jusqu’à nos jours donne lieu à quelques pages, comme la propagation de ses principes hors de Paris. D’autres villes comme Lyon ou Montpellier (cf. L’haussmannisme montpelliérain) ont ainsi connu en partie l’haussmannisation, y compris après 1870.
Pour le reste, il s’agit d’un bon fascicule, permettant de faire rapidement le point sur un personnage important du XIXe siècle, replacé dans sa complexité. On pourra compléter la lecture par la biographie plus conséquente de Michel Carmona parue en 2000 chez Fayard.