Déjà autrice d’un beau fascicule sur Aliénor d’Aquitaine, la médiéviste Marie Fauré continue l’exploration des figures princières, ducales et royales ayant marqué l’Aquitaine au Moyen-Age. Cette fois, le personnage étudié est Edouard de Woodstock, plus connu sous son surnom de « Prince Noir » (Black Prince), sobriquet à l’origine incertaine mais qui ferait peut-être référence au côté sombre de l’âme de celui qui passe généralement pour avoir été un personnage violent, ayant semé la désolation dans un territoire alors très convoité… En pleine guerre de Cent Ans !
L’héritier de la couronne d’Angleterre
Comme toujours, la vérité est bien différente. Le premier chapitre de l’ouvrage retrace donc la vie du fils et héritier d’Edouard III d’Angleterre, bien connu pour avoir réclamé la succession de la couronne de France dans un moment d’incertitude, ce qui est à l’origine d’une série de conflits nommés par la suite « guerre de Cent Ans ». Dès le début, l’auteure prend soin de replacer les choses dans son contexte et d’expliquer ces événements complexes, en évitant les anachronismes douteux. Nul ne pouvait prévoir à l’époque la fin de cette guerre. Toutefois, dans cette époque particulière, le fils du roi est amené à jouer un rôle particulier. Excellent homme de guerre, qui participe à la bataille de Crécy, il est en effet nommé lieutenant du roi en Gascogne, territoire très disputé entre les deux couronnes et dont le roi d’Angleterre, descendant de seigneurs français, est également le duc et, à ce titre vassal du roi de France.
Cette pyramide vassalique complexe est très bien retracée et expliquée. En revanche, la vie de l’héritier, représentant de son père, mais aussi bon stratège et tacticien ayant beaucoup combattu les Français, est retracée assez rapidement. Pourtant, cela est aussi dû au silence des sources, qui entoure bien des aspects privés du personnage qui reste inconnus. On comprend quand même qu’il a été un excellent homme de guerre et, qu’à la fin de sa vie, il est nommé prince d’Aquitaine. Son père a obtenu l’ascendant sur les Valois et reçu la région en pleine propriété, prélude à des évolutions futures. Néanmoins, empêtré dans des affaires de succession en Espagne, malade, le prince noir meurt en Angleterre en 1376 sans avoir hérité. Peu de temps après, la France, dénonce les traités précédents et, à l’aide de Du Guesclin, détruit le bel édifice aquitain monté patiemment tout au long de la vie du personnage. La guerre entre dans une nouvelle phase qu’il ne verra pas.
Un prince de son temps
La suite constitue véritablement le cœur de l’ouvrage. Plus thématique, elle explore les différents aspects de la vie du prince : chef de guerre, chevalier et prince. À l’aide d’utiles cartes et d’une iconographie intéressante (notamment le fameux gisant représentant Woodstock en armure), l’autrice retrace de manière très claire son existence. Edouard de Woodstock, plus que l’image laissée par Shakespeare, est finalement un homme de son temps. « Prince noir » qui dévaste les terres de ses adversaires français et y sème la mort, il ne fait qu’appliquer les règles de la guerre de son époque, et excelle dans ces « chevauchées » destinées à amoindrir le potentiel économique de l’ennemi. Par ailleurs, il est aussi un chevalier reconnu, qui vit selon les règles de l’aristocratie de son temps et se comporte de manière très courtoise avec les gens de son rang, qui méprisent les combattants à pied… Ce qui ne l’empêche pas de recourir aux fameux archers gallois ! L’être humain est plein de contradictions et c’est justement à l’historien d’en rendre compte, ce qui est ici le cas.
On comprend également la difficulté que représentent les mots « français » et « anglais » pour la compréhension de l’époque. Si les sentiments nationaux émergent justement avec la guerre de Cent Ans, cela est long et reste confus. De plus, le personnage a vécu au début et pas à la fin, qui ouvre sur la Renaissance. Enfin, la vision du XIXe siècle d’un occupant terrifiant ayant mis en coupe réglée des territoires « français », si elle explique pourquoi le prince noir est peu étudié et peu considéré en France… Ne résiste pas à l’analyse historique. Marie Fauré rappelle bien que sa famille, les Plantagenêt, est d’origine française, comme sa mère, qu’elle parle une forme de français, que la guerre n’avait rien d’inéluctable, que la fidélité vassalique n’est pas comparable avec le sentiment national tel que nous le connaissons, etc. Ainsi, le prince est populaire auprès de plus d’un seigneur gascon, beaucoup soutiennent la couronne anglaise, se battent à ses côtés… Tout en se sentant plus volontiers « gascons » que « français » ou même « anglais » d’ailleurs. C’est le grand mérite de ce petit fascicule que de rappeler cela clairement et de manière plaisante à lire. Une utile bibliographie tant en français qu’en anglais complète l’ouvrage et donne au lecteur l’envie d’en savoir plus sur cette période passionnante.