Disponible depuis le mois dernier, le fascicule de la collection Illustoria des éditions Lemme consacré à L’Empire des conquérants mongols (XIIe-XIIIe siècles) constitue une excellente synthèse sur un sujet fascinant et peu connu en Europe occidentale. Il a été écrit par l’historien confirmé Iaroslav Lebedynsky, spécialiste des peuples des steppes d’Europe orientale et d’Asie. J’ai découvert cet auteur avec son excellent ouvrage de 2004 consacré aux cosaques ukrainiens (éditions Errance) et c’est donc non sans joie que je me suis précipité sur ce petit ouvrage de 132 pages, richement illustré.
Le récit des conquêtes
Le propos de l’auteur est organisé en deux temps. Une première partie revient sur le récit des conquêtes mongoles en lui-même. L’auteur prend soin d’expliquer les origines puis la lente ascension du chef Temüjin à la fin du XIIe siècle, bientôt connu sous son titre de Gengis Khan. Il raconte ensuite comment il unifie les tribus mongoles et se lance dans des conquêtes ultérieures qui vont le porter très loin de la zone historique de peuplement des Mongols. Le contexte est toujours très important pour comprendre les faits, mais là encore plus, car ces événements sont très peu familiers au lectorat d’Europe occidentale, à part quelques spécialistes. Cela nécessite donc un temps d’adaptation et de « s’accrocher » les vingt premières pages, à la fois de ce fait, mais aussi car les acteurs et les événements sont très nombreux. Une fois cette étape passée, il est plus simple de suivre les événements, d’autant que l’ouvrage propose de très utiles cartes en couleur.
Pour qui découvre les conquérants mongols, on est frappé de constater leur formidable extension qui les conduit en Chine, dans le monde musulman, aux portes de l’Inde et jusqu’en Europe centrale ! Jouant sur la division de leurs ennemis, un système avancé de poste, une dynamique de conquête qu’ils théorisent peu à peu et sur l’intégration des peuples conquis à leur armée, ils ne s’arrêtent qu’en Hongrie et sur l’Adriatique, avant de repartir sans qu’on sache bien pourquoi. Le fait de découvrir que ces peuples ont eu maille à partir avec les plus grandes puissances de leur époque, ont balayé les plus fortes armées de leurs temps et ont été en contact avec les souverains d’alors est impressionnant. Même Louis IX de France est concerné, ce qui peut étonner. Malgré le peu de pages, l’auteur embrasse tout ce phénomène avant d’expliquer son long repli à la fin de sa démonstration, même si le livre est centré sur deux siècles.
La machine de guerre mongole
La seconde partie permet de mieux comprendre les raisons de ce formidable succès. Les armes, les tactiques et stratégies des Mongols sont expliquées, ainsi que leur rapport à la religion. Un remarquable chapitre est consacré à « l’idéologie » de guerre mongole et Iaroslav Lebedynsky rappelle fort justement que Gengis Khan n’a pas fait de plan de conquête préétabli qui l’aurait mené dans des régions qu’il ne connaissait de toute façon pas à la base. On comprend que les choses sont plus le fait des circonstances auxquelles les conquérants se sont adaptés et qu’ils ont théorisées par la suite. Mais cet aspect théorique montre que ces gens certes frustes ne sont pas des « barbares » stupides. Capables de réfléchir sur leurs conquêtes, dotés d’un alphabet, de monnaies, de communications et d’une immense adaptabilité aux territoires et peuples rencontrés, ils ont su l’emporter dans la plupart des cas. Utilisant avec une grande habileté la ruse, les stratagèmes, conduisant leurs ennemis dans des pièges, ils ont également pu se servir des techniques et troupes des peuples au fur et à mesure conquis. Rapidement, les Mongols au sens strict du terme sont en effet minoritaires dans leurs armées. Ils n’hésitent pas à déguiser des prisonniers avec leurs vêtements pour faire peur, à utiliser de la pyrotechnie et des machines de sièges pourtant inconnues dans les steppes. Formidables cavaliers, ils restent bien entendu célèbres pour leur archerie et leurs encerclements à cheval, qui ne deviennent obsolètes qu’avec la généralisation des armes à feu.
Conclusion
Si l’empire unitaire se brise après quelques générations, il donne naissance à des structures étatiques qui ne sont plus nomades et perdurent parfois des siècles. Une dynastie d’origine mongole règne ainsi un siècle sur la Chine (les Yuan), et c’est un empereur « mongol » que rencontre Marco Polo, Koubilaï Khan. Dans les steppes d’Europe Orientale les descendants mongols et turco-mongols tiennent tête aux Russes jusqu’à la fin de l’époque moderne (conquête du Khanat de Crimée en 1783) et le dernier État avec un descendant direct de Gengis Khan ne prend fin en Asie centrale qu’en 1876 (Kokand) ! Inutile de dire qu’ils ont marqué Asie et Europe bien longtemps après la mort de Gengis Khan et c’est le grand mérite de ce livre de le faire comprendre. Un ouvrage conseillé, qui fait une bonne synthèse en utilisant à la fois des classiques incontournables comme l’ouvrage de 1939 de René Grousset sur la question, et des productions plus contemporaines. On pourra le compléter avec Les empires nomades de Gérard Chaliand que j’avais brièvement présenté en 2017.
La fiche du livre chez l’éditeur.
Dans les wargames le sujet est peu courant, le numéro 88 de Paper Wars a toutefois proposé il y a quelques temps un jeu jouable en solo sur ce thème.