Paru en octobre dernier dans un format « beau livre » bien adapté au propos, Propaganda Hitler – Du « sauveur » au monstre, les 1000 visages du Führer d’Emmanuel Thiébot offre une plongée très documentée dans l’univers de la propagande nazie d’une part, et de la contre-propagande alliée au sujet d’Hitler d’autre part. De plus, d’autres angles de vue sont aussi présents ; des ouvrages ou des dessins satiriques de particuliers par exemple. Ce sont bel et bien les différentes visions du dictateur qui occupent le propos. De prime abord, on pourrait penser que le sujet est éculé et qu’il s’agit d’un énième ouvrage sur le chancelier allemand. Toutefois, dès les premières pages, le lecteur se rend vite compte qu’il a un excellent travail dans les mains.
Le livre fonctionne par parties et chapitres thématiques, qui reviennent sur l’un ou l’autre aspect de la personnalité d’Hitler et / ou du régime nazi. Il s’agit d’un travail conséquent qui expose un nombre très important d’œuvres de propagande pour ou contre le personnage, regroupées par grands domaines, agrémentées de nombreux commentaires. C’est là un point capital : l’édition de sources sans critique d’un professionnel est toujours périlleuse. Si elles ne sont pas replacées dans leur contexte et analysées, elles peuvent donner lieu à bien des interprétations fausses. Or, Emmanuel Thiébot est historien au mémorial de Caen et connaît bien son propos. Il explique tout d’abord comment la documentation a été rassemblée et quels choix ont été faits, parmi des pièces en nombre pléthorique.
La vision des nazis
En premier lieu, le livre revient longuement sur la vision nazie d’Hitler et de sa politique. C’est toute la machine propagandiste du parti à la croix gammée qui est expliquée, à travers de nombreux et variés documents : photo, affiches, dessins, objets publicitaires, réclames et autres chansons. À la fois du temps où le parti cherchait à conquérir le pouvoir, puis de 1933 à 1945. L’évolution chronologico-thématique est bien visible au fil des pages. De plus, les photographies des sources sont de grande qualité, ce qui les rend lisibles et accessibles et le commentaire de l’auteur les éclaire bien, sans être pesant. Si l’objet-livre est assez lourd et peu maniable, c’est à ce prix que l’on a dans les mains une somme sans précédent sur une question qu’on croyait épuisée. Même un connaisseur dénichera de nombreuses représentations qu’il ne connaissait pas forcément, tant le dictateur a fait l’objet de productions diverses et variées. L’entrée dans le sujet est donc très concrète et donne une matière formidable pour comprendre les mécaniques de la manipulation des foules de ce parti puis État-parti criminel.
L’entourage du führer n’est pas oublié quand il permet de comprendre comment le chancelier est mis en scène et pourquoi. Il remet utilement en perspective les choix politiques et sociétaux faits à l’époque. Les documents choisis reviennent aussi bien sur le volet intérieur qu’extérieur du régime totalitaire, montrent comment il s’en prend à ses ennemis et déverse des louanges sur ses alliés comme l’Italie. Quelques encarts et renvois à des œuvres complètent utilement le propos, d’autant plus que l’ouvrage a le grand mérite de ne pas donner la parole qu’à la production allemande.
Quand les autres s’en mêlent
En effet, la propagande qui dénonce Hitler, ainsi que les productions de neutres et même de particuliers qui l’évoquent constituent l’autre grande présence dans le livre. On découvre avec joie bon nombre de cartes postales et de dessins qui se moquent du maître de l’Allemagne, ainsi que des extraits d’œuvres littéraires et cinématographiques. Aux côtés des bien connus The great dictator de Chaplin ou de La bête est morte de Calvo on aperçoit, par exemple, d’étonnants photomontages de Fernandel et de Michel Simon en potentiels Hitler et Goering au cinéma… Le film n’ayant finalement pas été tourné.
La machine de guerre occidentale n’est pas oubliée et la dénonciation britannique, française ou américaine du personnage occupe une belle place, avec ce qui est critiqué (le caractère violent, menteur, fourbe…), et comment on critique (animalisation, caricature, accentuation de certains traits…). L’auteur prend également soin d’insérer des affiches et autres productions soviétiques, différentes du reste des Alliés, mais également de pays souvent peu représentés comme les Pays-Bas ou l’Afrique du Sud. Presque toute la galaxie s’étant opposée de près ou de loin à l’Allemagne nazie est ainsi représentée, ainsi que des photos d’ouvrages d’anti ou pro-Hitler.
Emmanuel Thiébot n’oublie en effet pas de dire que certains écrivains, cinéastes voire hommes politiques ont été admirateurs du dictateur, en prenant soin de replacer leur admiration dans leur contexte (avant ou après 1939 ?), d’expliquer l’évolution ultérieure des auteurs, plusieurs fois passés à une critique négative après s’être rendu compte qui le despote était vraiment. En bref, il s’agit d’un travail qui convoque de nombreuses voix et points de vue. On aurait aimé que la vision de certains pays comme le Japon (si représentations il y a eu) soit plus évoquée, que la mémoire de ces faits ait pu être davantage traitée (l’immédiat après-guerre est présent dans le livre), mais il ne s’agit que de critiques de détail.
Je recommande particulièrement cet ouvrage aux collègues enseignant l’histoire contemporaine dans le supérieur ainsi que ceux d’histoire-géographie du primaire et du secondaire. Ils y trouveront d’intéressantes références pour leurs cours et autres TD.
Fiche du livre chez Dunod (un extrait du livre y est consultable en PDF).