Édité par HPS, éditeur jusque là dédié à des jeux aussi extrêmement précis qu’austères, tels que Tigers on the Prowl et Panthers in the Shadows, Panzer Campaigns : Smolensk ’41 a pour sujet, évidemment, l’attaque allemande sur Smolensk en juillet 1941, dans les premières semaines de l’opération Barbarossa.
NDLR : article anciennement publié dans Cyberstratège en 2000. Une version Gold nettement améliorée est disponible depuis décembre 2017.
A cette époque, les blindés du Groupe d’armée Centre, après avoir percé les défenses frontalières soviétiques, foncent sur Moscou : Smolensk sera la première grande bataille de la campagne, car les soviétiques ont puy rassembler des réserves, dont les fameux T-34 et KV qui occasionnent une mauvaise surprise aux tankistes allemands !
C’est presque durant un mois (du 7 juillet à début août) que près d’une centaine de divisions s’affrontent là, les Allemands réussissant finalement à prendre la ville, à encercler les Soviétiques restants et à reprendre leur route. Mais stratégiquement, les Soviétiques ont gagné, essentiellement du temps, et l’avance allemande va être arrêtée devant Moscou deux mois plus tard…
Battleground revisité
L’auteur est John Tiller, qui a réalisé auparavant chez Talonsoft les séries Battleground et Front de l’Est. D’ailleurs les graphismes et l’interface du jeu rappellent très fortement ceux des Battleground ! Le niveau des graphismes est moyen, et nettement inférieur à Front de l’Est par exemple, mais ce n’est pas l’essentiel dans ce type de jeu. Les effets sonores (bruitages et tirs) sont corrects mais peu variés.
Les habitués des jeux de Talonsoft se retrouveront très vite en terrain connu, l’interface et les menus étant quasi-similaires : vues en 2D type jeu sur carte ou 3D avec icônes (malheureusement fort laides…), barre d’informations des unités sur le côté, fonctions de mises en valeur des unités selon leurs divers statuts ou leur appartenance dans l’organigramme, fenêtres pop-ups de résultats de tir, etc.
L’échelle retenue est celle du bataillon pour les unités, avec des hex d’un km et des tours de 2 heures : il s’agit donc d’un jeu opérationnel, mais à une échelle assez fine, et sans prise en compte de facteurs stratégiques, par opposition à Operational Art of War par exemple.
Le jeu est livré sans manuel imprimé, mais ceux-ci existent sur le CD sous forme de quatre documents Word, avec au total plus de 130 pages (en anglais), qui décrivent précisément tous les mécanismes de combat, ce qui est assez rare de nos jours pour être signalé. L’aide en ligne Windows est quant à elle limitée à l’explication des menus et fonctions.
Un système de jeu simple… mais précis
Deux modes de jeu sont proposés : en tour continu (comme dans Front de l’Est, le joueur déplace et fait tirer ses unités dans l’ordre qu’il veut, avec des tirs défensifs « automatiques »), ou par « phases » (comme dans Battleground) : mouvement, tirs défensifs, tirs offensifs, assauts. Le mode « continu » est plus facile et agréable à jouer, mais les puristes trouveront des avantages au système par phase, qui représente mieux les contraintes temporelles – impossible alors de détruire une position ennemie grâce au tir de quelques unités, puis de faire foncer les autres !
Les unités sont décrites par leur type, leur effectif (en hommes, canons ou véhicules), leur moral (de A – Élite à F = Très mauvais) et des valeurs numériques pour leurs puissance d’attaque et de défense, leur potentiel de mouvement et leur niveau de fatigue. C’est une représentation abstraite (chaque arme n’est pas précisément décrite) mais prenant en compte les qualités des matériels. Par exemple les Panzer III ont une force d’attaque de 10 et une défense de 16, alors que les T-34 ont 16 en attaque et 28 en défense !
Le système de jeu est simple : les points de mouvements des unités servent à la fois à se déplacer et à tirer (comme dans Front de l’Est). Un mécanisme ingénieux est celui du mode de transport : une unité est soit en « formation de route » (infanterie montée sur camions, chars en colonne, canons attelés), auquel cas elle se déplace vite, mais combat très mal et est très vulnérable aux bombardements, soit en « formation de combat », qui réduit les capacités de mouvement – pas trop pour les chars, mais l’infanterie ne se déplace plus alors que de un hex ou deux. Lors d’un scénario, il faut donc, pour avancer rapidement, laisser les unités le plus longtemps possible en mode Transport, mais en cas de rencontre avec l’ennemi c’est rapidement un massacre. Ce système rend bien les différences entre unités blindées et mécanisées, toujours mobiles, et les unités d’infanterie très lentes une fois déployées.
Le système de combat est le point fort du jeu : les tirs (hors bombardement) se font en général à 1 hex (logique vu l’échelle), et l’effet est résolu en fonction de la puissance de feu, de la qualité des troupes, du terrain et des fortifications. Les pertes sont calculées en hommes ou véhicules, en « fatigue » accumulée, et déclenchent des tests de moral qui, si ils sont ratés, entraînent d’abord la désorganisation (valeur de combat diminuée de moitié), puis le « cassage » du moral : l’unité devient inapte à combattre. Les combats sont assez meurtriers et surtout très épuisants pour les troupes, mais les résultats sont globalement cohérents, pas de résultats bizarres comme dans TOAoW par exemple… On remarque entre autre que c’est l’artillerie qui cause le plus de pertes, comme dans la réalité, et c’est plutôt rare dans un jeu !
Le concept de « fatigue » est crucial, puisque l’accumulation de fatigue fait baisser le moral, ce qui augmente donc les chances de rater les tests de moral … Il faut donc, comme dans la réalité, faire « tourner » les troupes au front pour leur permettre de se reposer, à défaut de quoi on se retrouvera avec des zombies, totalement inefficaces.
En plus des tirs, il est possible de réaliser des assauts directement sur les hex occupés par l’ennemi – c’est en fait le seul moyen pour l’infanterie d’attaquer les blindés et de façon générale de prendre des objectifs. Les assauts entraînent automatiquement la désorganisation ou le « cassage » des perdants, et permettent de terminer des unités affaiblies et même de les capturer. Comble du raffinement, une règle spéciale d’armes combinées prend en compte la proportion relative de blindés et de fantassins, la puissance maximale étant atteinte lorsque chaque blindé est accompagné de dix hommes !
Outre le combat terrestre classique et les bombardements d’artillerie, les soutiens aériens sont présents sous forme de bombardiers et d’avions de reconnaissance (très utiles), et des règles spécifiques permettent les opérations de génie (fortifications d’hexagone, déminage et pose de ponts mobiles) et les largages aéroportés.
Le commandement est aussi pris en compte, mais essentiellement pour déterminer le ravitaillement et les chances de ralliement des troupes désorganisées : il n’intervient malheureusement pas sur les capacités de manoeuvre ou de combat des unités, et c’est bien l seul point qui pourrait être amélioré. Enfin, comme dans la série Battleground, des règles optionnelles sont proposées, allant toutes dans le sens d’un plus grand réalisme : dispersion des tirs sur toutes les unités d’un hex, contre-batterie, etc.). Mention spéciale pour l’option « résultats alternatifs » qui, pour chaque combat, donnent le résultat moyenné de deux résolutions, option parfaite pour limiter les effets du hasard dans le jeu à deux.
Blitzkrieg à l’est
A l’usage, le système donne des parties agréables, encourageant la manoeuvre (une unité blindée ou méca peut avancer sur route de 15 voire 20 hexagones par tour), et plein de surprises et de rebondissements, car la visibilité est le plus souvent limitée à 4 ou 5 hex (ou à un seul hex, la nuit), et donc la plupart des unités ennemies sont invisibles ; cela évidemment en mode « incertitude stratégique », le seul digne d’intérêt…
L’IA aussi est une surprise : étonné d’avoir été battu deux fois, en jouant Allemand puis Russe, sur un des scénarios d’entrainement (je ne suis pas franchement un débutant du jeu d’histoire…), j’ai pu apprendre sur un newsgroup (comp.sys.ibm.pc.games.war-historical) que d’autres joueurs avait connu la même mésaventure ! A la fois manoeuvrière, agressive et variant ses axes d’attaque, c’est un adversaire tout à fait acceptable – peut-être l’échelle et le type de jeu (pas de micro-gestion d’unités permettant au joueur de trouver des trucs tactiques, ni de grande stratégie où les IA sont systématiquement très mauvaises) sont elles en parties els causes de cette réussite.
Par ailleurs, pour ceux qui comme moi pensait que Smolensk avait été une promenade pour la Wehrmacht, le jeu remet les pendules à l’heure : outre un terrain immense à conquérir, avec des fleuves à passer sur de rares ponts, il y a beaucoup d’unités soviétiques, dont certaines redoutables (la 1ère division mécanisée par exemple), qui ne se contentent pas de défendre, mais lancent aussi des contre-attaques ! Au final le jeu est donc bien équilibré, à la fois dans les situations présentées et grâce à une bonne IA : il est de plus possible de jouer à deux, en réseau local, sur Internet ou par email.
Scénarios peu nombreux mais copieux !
Six scénarios historiques sont proposés, correspondant à chaque grande phase de la bataille, ainsi qu’une campagne, en fait un méga-scénario de 170 tours représentant l’engagement. Il y a de plus un scénario hypothétique, dans lequel les Allemands larguent leurs paras sur Smolensk au lieu de la Crète comme ce fut le cas en réalité !
Tous ces scénarios font intervenir un nombre important de troupes, sur de grandes cartes (celle de la campagne représente plus de 200 km sur 300, c’est la plus grande sur laquelle j’ai jamais joué !) et sont assez longs : pour apprivoiser le jeu, les concepteurs ont intelligemment ajouté douze mini(scénarios très rapides, chacun consacré à un thème particulier : combat de rencontre, percée blindée allemande, passage de fleuve, contre-attaque russe, etc. et un scénario d’introduction, Mogilev, où le joueur n’a qu’un seul corps d’armée à manoeuvrer. On peut donc commencer en douceur avant d’attaquer les plus gros scénarios, et les cartes étant toutes de la même région, cela permet aussi de se « repérer » sur un champ de bataille apparaissant immense au début.
Un éditeur de scénarios est intégré ; facile à utiliser, il permet de créer toutes sortes d’unités et d’organisations – permettant même de sortir du contexte de juillet 1941 en créant des bataillons de Tiger ou de Panther ! – et de les placer, mais seulement sur les cartes fournies avec le jeu ! Il n’y a en effet pas d’éditeur de cartes, et renseignements pris auprès de l’auteur, c’est un choix volontaire pour que l’éditeur garde la main sur les extensions à venir… Au moins il a l’honnêteté de le reconnaître (NDLR : pas comme Atomic Games…) mais c’est vraiment dommage, car le jeu a un vrai potentiel, qui est volontairement bridé… Pas de Stalingrad ou Koursk donc avant qu’HPS ne le décide ! Mais le titre Panzer Campaigns laisse entendre que l’on peut s’attendre à d’autres opérations et extensions.
Bref, même si la réalisation technique et graphique est relativement moyenne, le jeu est vraiment bien fait et intéressant (et meilleur que Front de l’Est sur de nombreux aspects!). Après une fin d’année 1999 assez pauvre en jeu d’histoire « sérieux », Panzer Campaigns : Smolensk ’41 est donc une très bonne surprise qui ne manquera pas de séduire à la fois les « grognards », les habitués de la série Battleground, et les passionnés du front de l’Est. Panzer, marsch !
En résumé
Qualités : très bon système de jeu, interface pratique, scénarios intéressants, rigueur historique.
Défauts : graphismes médiocres (pire en 3D), système de commandement incomplet, pas d’éditeur de cartes ni de manuel imprimé.
NDLR : l’article présent reflétait le point de vue de l’auteur lors de la sortie initiale du jeu, en 2000. Cet ancien wargame a récemment bénéficié d’une importante évolution (graphismes, sons, code), travail réalisé par l’équipe de Wargame Design Studio.
Liens : fiche chez HPS ; fiche chez JTS (nouvelle version Gold).
Pour d’autres informations sur la nouvelle version Gold, voyez cette brève ou cette annonce sur le blog des développeurs. Une démo de la série Panzer Campaigns est aussi disponible (Mius ’43), cf. cette brève.
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