Sorti il y a quelques jours après avoir été en chantier pendant plusieurs années, Space Program Manager est un jeu de gestion particulièrement original, vous permettant de diriger une agence spatiale telle qu’elle pouvait l’être dans les années 60, à l’époque où l’Humanité s’est lancée dans la course à l’espace.
A l’occasion du lancement du jeu Ignacio Liverotti et le studio Polar Motion ont récemment récapitulé pour The Wargamer les principales étapes de ce joli projet permettant de simuler les grands moments ayant précédés les premiers pas de l’Homme sur la Lune. Voici la traduction complète de cet entretien.
1/ The Wargamer : commençons par le commencement – quelle a été votre inspiration au début du développement de Space Program Manager ?
Ignacio Liverotti : après avoir fini mes études supérieures je me suis passionné pour la conquête spatiale. Je ne me souviens plus exactement comment cela s’est passé, mais début 2004 je suis tombé sur ce vieux jeu DOS appelé Buzz Aldrin’s Race Into Space, paru initialement en 1993. Le jeu consistait à mener les programmes spatiaux américains ou soviétiques, à gérer des fonds, et à envoyer un homme sur la Lune. Je me suis beaucoup amusé avec et y ai aussi beaucoup appris, puis je me suis demandé pourquoi il n’y avait pas de version moderne d’un tel jeu ! Quelques années plus tard j’ai décidé de commencer le développement de ma propre version, mais en mettant l’accent sur l’exploration plutôt que sur la compétition.
2/ Il serait vraiment difficile de trouver un nom plus fameux à associer à un jeu sur l’espace que le nom de Buzz Aldrin, le deuxième homme à avoir marché sur la Lune, comment avez-vous réussi à l’impliquer ?
Après avoir établi un partenariat avec Slitherine, je leur ai suggéré de le contacter et de lui demander si cela l’intéresserait de soutenir notre projet, comme il l’avait fait 20 ans auparavant pour Buzz Aldrin’s Race Into Space. Il était très intrigué par l’idée, et après lui avoir montré notre travail lors d’une rencontre à Londres en 2012, il a décidé de s’impliquer dans le projet.
3/ Quelle importance a eu Buzz Aldrin dans le jeu ?
Le rôle de Buzz dans le développement du jeu a principalement été celui d’un consultant. Avec un doctorat en astronautique et une très grande expérience des vols spatiaux, il nous a apporté de très intéressantes connaissances sur les programmes Gemini et Apollo. De plus, comme il est un fervent défenseur de l’établissement d’une présence humaine permanente sur Mars, il était toujours enclin à nous faire partager sa vision sur la manière la plus optimiste d’atteindre cet objectif. Nous avons pris en considération tous ses commentaires et, même si il n’est pas un développeur de jeu, ses nombreuses remarques ont contribué d’une manière ou d’une autre à la forme finale du jeu.
4/ Le jeu est publié par Slitherine. Comment êtes-vous parvenu à ce partenariat ? Aviez-vous considéré d’autres éditeurs ?
J’ai commencé le développement du jeu en 2007 et ai contacté quelques éditeurs en 2009, pour leur montrer un prototype, mais en vain, ne recevant pas de réponses. J’ai continué à travailler sur le jeu durant mon temps libre et ai contacté à nouveau d’autres éditeurs, y compris fin 2011 Slitherine. Cette fois Slitherine est revenu vers moi, nous en avons parlé au téléphone puis nous nous sommes rencontrés début 2012. Notre partenariat a commencé vers le mois de mars 2012.
J’ai pensé à d’autres éditeurs, mais en toute honnêteté, je suis très content de la tournure qu’ont pris les évènements, car Slitherine se soucie vraiment de nous et de notre projet. Je ne pense pas que j’aurais pu trouver un meilleur éditeur.
5/ Combien de temps a pris le développement de Space Program Manager ? Cela a-t-il été plus long ou plus court que prévu ?
C’est une question épineuse car que le jeu qui va sortir à la fin du mois est très différent de celui que nous avions prévu de faire ! Le développement de Buzz Aldrin’s Space Program Manager a commencé comme un projet personnel en janvier 2007. Mon plan initial était de faire un jeu focalisé sur l’exploration spatiale, permettant au joueur de diriger une agence spatiale fictive nommée la GSA (Global Space Agency), cela depuis ses tout débuts. C’était essentiellement une sorte de jouet informatique, un jeu de gestion n’impliquant aucune compétition. Imaginez Sim City mais avec pour cadre une agence spatiale.
Au début il n’y avait que moi qui travaillait sur la programmation, tandis que la partie artistique était faite par des personnes en freelance. Le projet est passé par plusieurs étapes, incluant une réécriture complète afin de changer le langage de programmation et le moteur de jeu (nous sommes passés du C++ et d’un moteur maison au C# et au moteur 3D Unity), puis plusieurs itérations de l’interface. Alors oui, pour répondre à votre question, le développement a été bien plus long que je ne l’avais envisagé, mais d’un autre coté le jeu est aussi devenu bien plus intéressant.
6/ Quels ont été les plus importants défis rencontrés durant le développement ? Et à l’inverse quelles furent les parties les plus faciles ?
Notre plus gros défi fut effectivement de créer tout le contenu. Chaque mission spatiale comporte un nombre d’étapes, et pour chaque mission nous devions créer des fichiers de données avec les éléments de mission / contrôleurs de vol / membres d’équipage impliqués lors de chaque étape. Parvenir à trouver des valeurs correctes pour tout cela a représenté un très important travail, particulièrement en prenant en compte que le jeu comporte des douzaines de missions. Par dessus tout cela chaque mission comporte aussi une séquence animée ce qui, à nouveau, a nécessité beaucoup de travail car l’équipe de développement a dû faire de nombreuses recherches historiques, créer les modèles en 3D, réaliser les animations en 2D et ajouter la musique et les effets sonores. Cela étant dit, les animations sont l’un des points forts du jeu et nous en sommes vraiment fiers. Je pense que les joueurs les apprécieront, et j’ai bon espoir qu’elles apporteront une meilleur compréhension des différentes étapes d’une mission spatiale.
La partie la plus facile (et probablement la plus agréable) a été d’ajouter dans le code certains des mécanismes de gameplay suggérés par la communauté. Beaucoup d’ajouts étaient faciles à implémenter et nous étions très satisfaits de voir que ces changements mineurs pouvaient grandement améliorer le gameplay. Se rendre compte que les joueurs appréciaient le fait que nous les avions écouté était aussi très sympathique.
7/ Quand avez-vous décidé de faire passer Space Program Manager en version Accès anticipé (Early Access). Qu’est-ce qui vous a amené à cette décision ?
Vers la mi 2013 nous étions très près de finir le jeu tel que nous l’avions prévu. Toutefois, étant un produit très différent des autres titres du catalogue de Slitherine, nous voulions avoir plus de retours avant un lancement officiel, aussi avons-nous décidé de lancer une version en Accès anticipé afin d’obtenir les informations que nous souhaitions.
8/ Quel bénéfice avez-vous tiré du programme Accès anticipé ? Cela a-t-il mené à des changements significatifs dans le jeu ?
Lancer la version Accès anticipé fut l’une des meilleures décisions que nous ayons prises, car cela nous a forcé à reconsidérer l’ensemble du jeu et le fait qu’il y manquait un aspect compétition. Même si beaucoup de joueurs étaient en faveur de l’idée d’origine, proposant une unique agence spatiale et focalisant le jeu sur l’exploration plutôt que sur la compétition, il y avait aussi un important groupe qui souhaitait une version modernisée d’un jeu sur le thème de la course vers l’espace.
Après quelques réflexions en interne, en janvier 2014 nous avons annoncé que nous allions étoffer le jeu en lui ajoutant trois fonctionnalités majeures : une campagne sur la course à la Lune, un mode multijoueur et la possibilité de combiner n’importe quelle fusée avec n’importe quel chargement. Cela allait évidemment rallonger le développement de plusieurs mois, ce qui signifiait que les joueurs devraient attendre pour obtenir la version finale du jeu et que nous (les développeurs) devrions repousser nos vacances ! Au final nous pensons que ce fut un bon choix. Le jeu est devenu très intéressant, avec bien plus de contenu et de choix à faire. De plus le jeu conserve toujours son approche initiale (la GSA est disponible dans les modes campagnes et bac à sable) tout en ajoutant un aspect compétition, ce qui devrait satisfaire les attentes de plus de joueurs. Il y a beaucoup de grands jeux sur le marché, mais à ma connaissance aucun ne couvre la course à l’espace comme le fait Space Program Manager.
9/ Le développement de jeu implique inévitablement des compromis, quelles sont les fonctionnalités que vous vouliez inclure dans Space Program Manager, mais qui n’ont pas pu être intégrées dans la version qui va sortir ?
La principale fonctionnalité que nous n’avons pas pu intégrer, mais que nous souhaitons ajouter bientôt via un patch, est celle des messages concernant les défaillances. C’est à dire les messages qui vous expliquent avec précision ce qui s’est passé quand quelque chose n’a pas fonctionné. Nous sommes arrivés à une très grande liste de défaillances pour chaque programme spatial mais, en raison des contraintes de temps, nous avons décidé de repousser leur intégration dans le jeu pour nous concentrer d’abord sur d’autres aspects. Personnellement j’aimerais aussi inclure quelques mécanismes supplémentaires en relation avec l’aspect compétitif, tel qu’avoir la possibilité d’induire en erreur votre adversaire. Je pense que cela apporterait une nuance supplémentaire aux parties en multijoueur.
10/ Quoique le marché ne soit pas vraiment saturé par des jeux sur les programmes spatiaux il y en a quelques autres, particulièrement Kerbal Space Program. Qu’est-ce qui selon vous différencie Space Program Manager ?
Même si chacun de ces jeux est sur le thème de l’exploration spatiale, leur approche respective du sujet est différente : alors que Kerbal Space Program (KSP) permet de construire et piloter son propre vaisseau, Space Program Manager est plus orienté vers la gestion de ressources. Dans KSP vous volez durant les missions. Dans SPM vous faites tout ce que vous pouvez pour que la mission réussisse puis allez dans la salle de contrôle et vous vous rongez les ongles en espérant que tout fonctionne comme prévu. Il n’y a plus grand chose à faire lorsque vous êtes devant l’écran du centre de contrôle, tout dépend de votre préparation – du matériel, des contrôleurs de vol et de l’équipage. Une bonne comparaison pour ces deux jeux serait de dire que KSP est à FIFA ce que SPM est à Football Manager.
11/ Quel aspect du gameplay représente le plus un défi pour les joueurs, pouvant les pousser à se dépasser ?
Étant un jeu de stratégie, tout dans Space Program Manager est affaire de décisions : « Dois-je surcharger en personnel mon agence afin que celle-ci ne manque jamais de ressources humaines ? Je peux certainement le faire, mais dans ce cas mes frais fixes vont grimper et je risque d’épuiser mon budget », « De combien de temps dois-je retarder le processus dans le bâtiment d’assemblage des véhicules (ce qui augmente les coûts) afin que je puisse débuter les recherches sur les fusées lourdes dont j’ai besoin pour les missions sur la Lune ? », « Dois-je retirer de formation avancée cet employé très compétent afin qu’il vienne occuper un emplacement vide dans le centre de contrôle pour la prochaine mission, ou dois-je assigner à ce poste un employé plutôt médiocre au risque de mettre en danger le succès de la mission ? ».
Space Program Manager comporte des tonnes de décisions difficiles, et nous nous sommes donnés beaucoup de mal durant le développement pour que le jeu tourne autour de toutes ces décisions.
12/ Alors que Space Program Manager va juste sortir, les joueurs se demandent toujours quel futur peut réserver un jeu, y a-t-il des idées, des ajouts prévus dans à l’avenir ?
Le plan une fois la date de sortie atteinte est d’écouter les retours des joueurs et de soutenir le jeu, en y ajoutant des fonctionnalités supplémentaires via des patchs. Simultanément nous allons commencer à travailler sur une version pour OSX, que nous prévoyons de sortir très prochainement, et sur une version pour mobiles (iOS et Android), qui devrait sortir vers le début de l’année prochaine.
13/ Enfin, l’occasion ici de lister tous ceux impliqués dans la réalisation de Space Program Manager. Alors, qui a fait quoi ?
Mauricio Sanjurjo, notre artiste 3D, a travaillé sur le jeu depuis la mi 2011. Il a refait tous les modèles 3D que nous avions à ce stade et a travaillé sans relâche depuis sur la modélisation de tous les éléments que vous voyez dans le jeu (vaisseaux, fusées, astronautes, décors, etc.), créant les centaines de rendus nécessaires pour afficher la progression des missions spatiales.
Boris Dimitrijevic and Jacqueline Shum nous ont rejoint début 2013. Ils ont été en charge de créer l’interface du jeu (IU) – ce qui inclut les modèles pour les trois agences spatiales – et les animations des missions. Vladimir, le frère de Boris, a aussi travaillé depuis 2013 sur les animations des missions.
Christian Perucchi, notre compositeur, nous a rejoint début 2011. Depuis il a créé l’ensemble de la bande-son que l’on entend en jeu, à la fois durant les missions et dans le complexe spatial. Il a aussi travaillé sur les sons présents dans certaines parties du jeu, et a bénéficié de l’assistance de Demian Rudel Rey.
Nicolas Escats, notre assistant de production, nous a rejoint début 2013, quelques semaines après le lancement de la version Accès anticipé. Il faisait partie de la communauté et avait acheté SPM dès sa sortie, publiant dans les forums des critiques très constructives. Je lui ai envoyé un message privé et lui ai demandé si cela l’intéresserait de participer au développement. Il nous a rejoint à plein temps début mai et a travaillé sur des aspects très variés, tels que des ajustements dans la base de données du jeu, des recherches sur des informations historiques concernant le programme spatial soviétique et les animations des missions.
Nicolas Augeard, un autre membre de la communauté, nous a aidé ces derniers mois à produire les animations des missions. Il était aussi responsable pour trouver des sons tels que des discussions par radio. C’est grâce à lui que les animations des missions auront certainement l’air plus peaufinée !
Steve Lohr, un autre membre de la communauté, nous a rejoint en décembre 2013, quelques semaines après le lancement de la version Accès anticipé. Il a travaillé durant ses loisirs sur la Buzz-opedia, un ensemble d’articles qui couvre tous les éléments, programmes et missions que le jeu comporte, et sur leur rapport avec leurs contre-parties dans la vie réelle. Il a aussi écrit un article très documenté sur la course à l’espace, article qui sera inclut dans le manuel avec quelques autres bonus :)
Tamas Kiss et Iain McNeil ont été nos producteurs chez Slitherine. Ils nous ont apporté un grand soutien et beaucoup de conseils durant tout le développement.
D’autres membres de la communauté nous ont aussi aidé fonction de leurs possibilités. Ils sont trop nombreux pour en faire la liste, mais au nom de l’équipe de développement, je souhaite les remercier pour leur soutien et leurs encouragements.
Pour plus d’informations sur Space Program Manager voyez le site officiel ainsi que cette fiche chez Matrix. Ou encore cette page sur Steam. L’article original, « Interview : How To Race To The Moon », se consulte directement sur cette page chez The Wargamer.
Un AAR francophone se lance sur http://www.leqg.org/forum/viewtopic.php?f=77&t=14406