Le numéro 17 de l’ancienne formule de Cyberstratège présentait en février 2000 Smolensk ’41, la première publication de la série Panzer Campaigns. En 2006 cet opus est toujours joué et cette série en est à son quinzième module, une remarquable longévité pour une simulation décrite à l’époque comme un « très bon système de jeu avec des scénarios intéressants mais aux graphismes médiocres » ! Stalingrad ’42 est certainement l’une des batailles les plus attendues par les amateurs, en raison des nombreuses possibilités stratégiques offertes.
Comment expliquer ce succès qui ne faiblit pas au fil du temps ? Le moteur de jeu, éprouvé depuis longtemps, est d’une fiabilité à toute épreuve. Chaque sortie donne lieu à quelques améliorations dont bénéficie progressivement l’ensemble de la série. A la longue, les évolutions finissent par être conséquentes. Le moteur de Smolensk ’41 (voir cet article) a ainsi subi treize liftings en six ans.
La recette de HPS tient en trois principes : une prise en main intuitive, la précision historique de l’ordre de bataille et celui de la carte. Les amateurs se rencontrent sur des forums spécialisés très conviviaux pour trouver des partenaires de jeu, proposer des mods plus attirants que les graphismes d’origine, demander des précisions sur les règles et surtout relater leurs exploits. Vu la taille énorme des scénarios les parties sont souvent pratiquées en équipe. Elles peuvent durer un an ou plus ! Une grande campagne demande de jouer au moins une fois par semaine, et une à deux heures sont nécessaires pour achever un tour. Heureusement il existe des scénarios plus courts.
Les scénarios de Stalingrad ’42
HPS propose les scénarios en deux formules : jeu contre l’IA ou contre un humain (HtH). Les scénarios HtH sont optimisés pour obtenir une partie équilibrée. Les scénarios contre l’IA partent des positions historiques. En pratique, ils ne servent qu’à l’entraînement car l’ordinateur est un piètre stratège. Pour tirer le meilleur des Panzer Campaigns, il est préférable de jouer par email avec un véritable adversaire. Stalingrad ’42 propose… 42 scénarios, dont 16 pour le jeu en HtH. Ils sont regroupés en quatre catégorie correspondant aux grandes phases de la bataille :
Juillet et août 1942 : ils simulent l’inexorable avance allemande vers la Volga. « Abganevoro » en trente tours représente une situation qui a manqué de se produire : l’encerclement des 62e et 64e armées soviétiques placées en avant-poste à l’ouest de la ville. Une sorte de Stalingrad inversé ! La passivité de la 6e armée allemande permit aux soviétiques de s’échapper vers la Volga.
Une campagne complète depuis l’arrivée des allemands à l’ouest de la carte en juillet jusqu’à l’investissement de Stalingrad début décembre n’est pas disponible. Historiquement, les allemands changèrent d’objectif stratégique à plusieurs reprises pour, tardivement, orienter leurs blindés sur Stalingrad.
L’opération Uranus avec différentes variantes et objectifs : la campagne historique compte 306 tours du 19 novembre au 19 décembre 1942, Elle couvre l’offensive soviétique sur les roumains, l’enfermement de la 6e armée dans la poche de Stalingrad, les combats sur la rivière Tchir et la tentative de sauvetage avec l’opération « Tempête d’hiver » c’est un monster game qui ravira les joueurs expérimentés. La situation est très fluide. La bataille se déroule sur un théâtre gigantesque de 70 000 mètres carrés à l’échelle du bataillon et de la compagnie. La steppe gelée entre les fleuves Don et Volga, faiblement ondulée, est un espace idéal pour déployer des formations mécanisées. Le terrain, hormis les cours d’eau, n’impose aucune contrainte dans les mouvements.
La campagne se déroulera le plus souvent sans front réellement constitué tant les belligérants auront du mal à saturer l’espace. Avec le scénario historique, les allemands peuvent gagner, même avec une armée encerclée, pour peu que les hexagones de Stalingrad aient été capturé. En réalité, les allemands passèrent à la défensive le 17 novembre. Ils étaient épuisés et manquaient de munitions. Au contraire, dans ce scénario, les allemands sont incités à attaquer dans la ville pour engranger des points de victoire. La simulation, avec des hypothèses de départ erronées, écorne la réalité historique. En fait l’intérêt porte surtout sur ce qu’il se passe en dehors de Stalingrad. Les soviétiques doivent saisir les hexagones rapportant des points de victoire le long d’un grand anneau ceinturant l’ouest de la cité. Les passage du Don sont particulièrement prisés : la capture du pont de Kalach rapporte 1250 points !
Une variante concerne l’abandon de Stalingrad et la retraite de la 6e armée allemande. Les auteurs du scénario ont retiré trois objectifs valant 4000 points dans Stalingrad et réajusté les conditions de victoire en conséquence. En contrepartie, deux armée soviétiques sont libérées plus tôt. Une troisième variante consiste à intercaler des divisions allemandes, meilleures techniquement, entre des troupes roumaines pour solidifier les flancs du groupe d’armée Don de part et d’autre de Stalingrad. Pour des questions de susceptibilité nationale, les roumains tenaient à conserver un commandement séparé des allemands. Cette solution ne fut pas retenu historiquement. La dernière hypothèse met en jeu l’arrivée du corps blindé SS en décembre 1942, Il intervint en réalité qu’en février-mars 1943 dans la région de Kharkov.
Des scénarios plus réduits s’intéressent à des épisodes marquants de la campagne comme celui du Kolkhoze 79, les combats du Tchir, la capture du pont de Kalach, etc… L’opération « Tempête d’hiver » en 84 tours est plaisante à jouer et accessible, vu sa taille, pour ceux rebutés par les simulations géantes. Les scénarios concernant la réduction de la poche de Stalingrad à partir de janvier 1943 n’ont qu’un intérêt historique avec un allemand condamné quoi qu’il fasse.
Les limites de la simulation historique
Décrire les multiples facettes de la bataille de Stalingrad était une gageure avec l’échelle adoptée par le système Panzer Campaigns. HPS n’y réussit que partiellement en omettant des éléments déterminants qui ont caractérisé cette confrontation unique. La conception des scénarios n’est pas assez approfondie et n’exploite pas toutes les ressources offertes par le moteur de jeu. Ainsi les combats de rue dans Stalingrad sont mal simulés. Les hexagones de la ville sont des ruines avec des fortifications. Les défenseurs reçoivent un bonus de trente à cinquante pour cent auquel il faut ajouter 30 % de plus pour les blockhaus ou 40 % pour des pillbox. Pour réduire les ilots de résistance les allemands avaient constitués des groupes de choc dotés d’une puissance de feu considérable dans les combats au corps à corps. Pour se défendre les russes avaient fait de même. Aucune de ces troupes spéciales n’est représentée. Les valeurs d’assaut trop faibles des unités standards ne permettront pas de conquérir des hexagones dans un sens ou dans un autre. Les unités présentes à Stalingrad sont à plein effectif et reposées alors qu’elles sortaient de combats éprouvants.
C’est d’autant plus incompréhensible qu’un autre scénario « Plugging the dike » démarre avec des unités affaiblies et fatiguées. Il est également très étonnant de constater que pas un seul scénario n’a été prévu avec l’option dépôt de ravitaillement sur la carte. HPS passe complètement à coté de la composante essentielle de cette bataille : le ravitaillement de la 6e armée a constituée l’enjeu majeur du déroulement de la campagne après le 19 novembre. Cet aspect est simulé de manière trop abstraite et c’est bien dommage. L’absence de l’option « explicit supply » est d’autant plus impardonnable que le système HPS permet de simuler des parachutages de containers de ravitaillement. Dans ces conditions, les aérodromes de Pitopnik et Gumrak, où atterrissaient le pont aérien ravitaillant la 6e armée à l’ouest de Stalingrad, aurait constitué des enjeux pour le joueur russe. Pour compenser partiellement cette omission, il est conseillé de cocher « virtual supply truck » (VTS) qui simule la diminution du potentiel de ravitaillement avec l’allongement des lignes de communication. Cette option désavantage le camp soviétique mais elle a le mérite d’ajouter plus de réalisme. La valeur de ravitaillement dans le secteur du front soviétique sud-ouest démarre à 81 pour tomber à 70 une centaine de kilomètres plus au sud.
Le scénario « Operation Ring » démarre le 10 janvier 1943 et simule la réduction de la poche. Au départ les unités allemandes sont toutes ravitaillées via cinq sources. Un comble ! Le concepteur du scénario a malgré tout attribué une très faible valeur de ravitaillement aux hexagones. De 45 à 50 à coté des sources de ravitaillement, cette valeur descend à 37 ou 38 dans le nez ouest du « Kessel ». Avec de violents combats les allemands auront vite un grand nombre d’unités « low ammo » ou « low fuel ». La situation des russes sur la rive ouest de la Bvolga, le 19 novembre, n’est pas non plus très enviable avec des valeurs de ravitaillement de 29 ou 30 dans le secteur des usines au nord de la ville.
Dans les scénarios sur l’opération Uranus, les deux camps disposent de missions aériennes dès le premier jour alors qu’en réalité le 19 novembre les avions furent cloués au sol à cause du brouillard. L’absence de la Luftwaffe contribua puissamment à la cécité des allemands pendant les premiers jours de l’offensive. Les renforts allemands, dont le puissant 57. Panzerkorp, sont déjà sur la carte le 19 novembre avec, il est vrai, des unités immobilisées. Dans les faits, les renforts allemands pour sauver Stalingrad ont été rameuté du Caucase et de France au début du mois de Décembre. Il aurait été plus judicieux de les faire rentrer sur la carte à la date où ils sont réellement arrivés…
Une nouvelle règle dans Stalingrad ’42 : les Full-hex ferries
La carte est coupée par deux grands fleuves : le Don et la Volga. Le franchissement de ces obstacles naturels passait par la construction de grands ponts ou par des bacs (ferries), système adopté par les soviétiques. Les premières scènes du film Stalingrad de J.-J. Arnaud donnent une idée des conditions de traversée de la Volga. La règle du transport des unités dans un hexagone entièrement constituée d’eau (full water ferries) est la suivante : l’unité doit être en mode mouvement et doit dépenser tout ses points pour pénétrer dans un hexagone disposant d’un bac. Au tour suivant, elle peut bouger normalement. Les tours de nuit s’imposent pour traverser dans de telles conditions si l’on veut éviter que l’artillerie allemande de Stalingrad s’acharne sur les unités tentant la traversée du fleuve. Avec l’option VTS cochée (virtual supply truck) le potentiel de ravitaillement chute de 20% si la route de ravitaillement passe par un bac.
L’opération Uranus
Voici quelques conseils pour les deux premiers jours de l’offensive Uranus, ou comment transformer une bataille de position en guerre de mouvement. En novembre 1942, les troupes de l’Axe aligne 174 000 hommes, 2 000 véhicules, 3 000 canons et 290 avions. L’armée rouge dispose de 258 000 répartis en trois fronts, 2200 véhicules, 800 avions et 7400 canons !
La qualité des troupes de l’Axe est très hétérogène. Les plus mauvaises unités sont roumaines avec un moral entre C et D. Les divisions de « rampants » de la Luftwaffe ont une qualité D. Les divisions d’infanterie de la Wehrmacht ont une qualité B et les divisions blindées A. Les unités de l’armée Rouge sont en majorité de qualité C. Les héroïques défenseurs de Stalingrad entre dans la catégorie B. Les divisions soviétiques de deuxième échelon sont placées en D. Enfin, les nombreux bataillons disciplinaires, tirés des camps du goulag pour fournir les premières vagues d’assaut destinées à ouvrir les champs de mine et à renseigner l’artillerie, sont répertoriés E.
Pour les soviétiques l’offensive Uranus démarre à partir des têtes de pont du Don de Klestkaya et de Sérafimovitch au nord de Stalingrad. Les roumains sont bien retranchés à l’abri de champs de mines et dans des blockhaus. Leur défense est étagée sur trois niveaux. Leur artillerie équipée de Skoda, Schneider et 75mm d’origine française est efficace. Les roumains du Don ont ainsi des troupes de meilleures qualité que les françaises sur la Meuse en 1940.
Pourtant il est possible, pour les soviétiques, d’obtenir une percée dès le 19 novembre au soir, car les roumains n’ont pas une densité suffisante pour garnir un front aussi étendu. Ils n’ont par exemple aucun canon anti-chars. La 14e DI roumaine, sur laquelle va s’abattre l’armada de la 5e armée blindée avec ses 350 chars, garde un front d’une dizaine de kilomètres. Les réserves roumains sont fixées pendant les premières heures de l’offensive et voient souvent arrivées sur elles les chars russes alors qu’elles n’ont pas encore bougée.
Il suffit d’obtenir une percée de la première ligne de blockhaus sur 3 à 4 kilomètres en 2 ou 3 endroits du front. Point n’est besoin d’attaquer partout. Les puissants tirs de lance-roquettes, que l’on renouvellera autant que nécessaire jusqu’à la désorganisation des défenseurs suffiront. Un assaut combiné avec de l’infanterie et des KV1 permettra de prendre pied dans les lignes roumaines.
Les chars et la cavalerie fonceront alors vers le sud en contournant les centres de résistance. Les roumains ont alors le choix, pour éviter un encerclement, de reculer, mais ils risquent d’aller moins vite que les soviétiques et d’être surpris en rase campagne, ou de rester dans leurs fortifications, en se défendant jusqu’au bout et essayant d’infliger le maximum de pertes aux russes. Choix cornélien !
La 5e armée blindée soviétique, ainsi que le 3e corps de cavalerie de la Garde et le 4e corps blindé appartenant à la 21e armée, de même que le 8e corps de cavalerie, constitue les éléments les plus mobiles des russes. Ils doivent avancer, sans s’attarder, pour saisir les ponts du Don, loin sur les arrières de la 6e armée et directement sur ses lignes de communication. En deuxième échelon, les divisions d’infanterie plus lentes réduiront les poches de résistance et préviendront un retour offensif allemand. Des positions anti-chars, correctement retranchées, seront organisées aux nœuds de communications et sur les passages du Don.
Pour contrer le Tsunami rouge, les forces de l’Axe ne disposent dans le secteur que du 48 Panzer Corps. Doté de 2 divisions blindés il est libéré dans la matinée du 19 novembre. L’ensemble sur le papier est impressionnant : il aligne 200 blindés mais seulement une trentaine de Panzer IV capable de s’opposer aux T-34 ! Il vaut mieux ne pas engager la première division blindée roumaine équipée uniquement de véhicules légers. Les allemands ne peuvent que retarder l’avance soviétique, tenter de réduire les pertes et se replier vers l’ouest en attendant l’arrivée de renforts.
Les positions allemandes sur le Don, mieux retranchées que celles des roumains, avec des champs de mines plus dense, sont menacées d’être prises à revers. Elles devraient tomber sans combat. Les concentrations d’artillerie soviétique peuvent constituer des cibles tentantes pour l’aviation ou les tirs de contre-batterie. Les russes veilleront à mieux répartir leur artillerie pour éviter les pertes inutiles. Les soviétiques doivent aussi lancer des offensives limitées dans d’autres secteurs pour fixer les forces mobiles allemandes dans des opérations de défense. Ainsi le joueur de l’Axe ne pourra pas libérer ses unités motorisées pour les engager dans des secteurs menacés.
La branche sud de l’offensive Uranus s’ébranle le 20 novembre. Les russes disposent de trois armées renforcées par deux corps mécanisés et un corps de cavalerie. La seule réserve mobile allemande, l’excellente 29e motorisée, dépend de la 4e armée blindée réduite à des divisions d’infanterie roumaine. La retraite vers l’ouest s’impose en s’efforçant de prendre les russes de flanc. Tache ardue ! Les allemands peuvent être tentés de sortir de Stalingrad leurs éléments mobiles, constitués par quelques groupes de canons automoteurs et les 14 et 16 panzer div pour voler au secours des roumains. C’est une décision lourde de conséquence qui hypothèque complètement les chances de capturer les hexagones rapportant des points de victoire dans Stalingrad. Mais cette décision permettra peut-être d’éviter l’encerclement de la 6e armée.
Stalingrad ’42 ne comble pas toutes les attentes en raison d’une recherche historique pas assez fouillée, un comble pour un jeu de cet éditeur ! Vu l’importante documentation disponible sur cette bataille, nul doute que des scénarios alternatifs verront le jour rapidement. Néanmoins la campagne Uranus ou l’opération Tempête d’hiver » présente un grand intérêt, l’initiative changeant de mains plusieurs fois de suite. C’est exactement ce type de situation – guerre de mouvement et opportunité à saisir alternativement pour les deux camps, qu’apprécient les joueurs. A quand la suite de cette campagne, l’opération Saturne ?
NDLR : l’article présent reflétait le point de vue de l’auteur lors de la sortie initiale du jeu, en 2006. Cet ancien wargame a récemment bénéficié d’une importante évolution (graphismes, sons, code), travail réalisé par l’équipe de Wargame Design Studio.
Liens : fiche chez HPS ; fiche chez JTS (nouvelle version Gold).
Pour d’autres informations sur la nouvelle version Gold, voyez cette brève ou cette annonce sur le blog des développeurs. Une démo de la série Panzer Campaigns est aussi disponible (Mius ’43), cf. cette brève.
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