Slitherine sort une représentation, à l’échelle « grand stratégique », d’une époque historique peu abordée. Les développeurs de The Lordz Games Studio se sont inspirés d’évènements, militaires et politiques, du début du dix-neuvième siècle ayant mis l’Europe à feu et à sang. Durant la période comprise ici entre 1805 et 1815, Napoléon Bonaparte aura parcouru ces territoires à la tête de la Grande armée, tentant d’imposer sa vision d’un empire, ainsi que la puissance militaire française. D’Austerlitz à Waterloo, la route est longue mais la pente -de l’apprentissage- peu prononcée, dans ce wargame qui, sur une carte allant des Amériques aux confins de l’Oural, vous permet d’aligner des corps d’armées, des vaisseaux corsaires ou de convoyer des ressources.
Il n’est clairement pas question ici de simulation, de réalisme historique à tout crin. Plutôt de concepts, de choix ludiques et d’abstractions, évoquant des références aussi prestigieuses que le « petit caporal » ou l’amiral Nelson. Panzer General ainsi que Strategic Command, puisque c’est bien la filiation dont il sera question, se sont penchés sur le berceau orné d’aigles majestueux de Commander – Napoleon at War. Sorti sans tambours ni trompettes, aurons-nous droit avec ce titre à l’envol de l’aiglon ou aux caquètements d’un vulgaire poulet ?
Pour un premier contact, l’écran de présentation est plutôt réussi et de bon aloi. Les plus avertis remarquerons que les programmeurs ont utilisé Java; langage réputé lent ; ce qui est partiellement confirmé ici. L’accès aux scénarii permet de choisir l’une des huit campagnes promises par Slitherine. Des « campagnes » de quatre, six, huit ou neuf tours… Rejouer Waterloo en quatre tours, voilà bien un défi stimulant pour le grognard ! Seuls trois scénarii offrent un peu plus : 1806 (14 tours), 1808 et 1812 (19 tours). Le scénario 1805-1814 avec ses 169 tours, judicieusement intitulé « Grand Campaign », mérite vraiment de l’appellation.
Le choix des protagonistes se limite à la France ou à la Coalition; il est possible de diriger l’un ou l’autre camp mais pas les pays dits mineurs. Dommage pour le multijoueurs ; agréable possibilité en solo. Reste à régler niveau de difficulté et autres options : brouillard de guerre, symbolique style OTAN ou limite de temps abolie. Cette dernière, qu’on pourrait juger agréable, s’avèrera inutile. L’IA, déduisant de cette absence de cadre que la partie sera longue, replie ses unités en prévision d’une attaque « en profondeur ». Cela ruine totalement l’intérêt des « campagnes » courtes.
L’affichage se limite au 1024×768 ! Heureusement, l’adaptation automatique aux résolutions supérieures semble bien contrôlée. Il en va tout autrement du mode fenêtré. S’il permet de jouer normalement, il ne dispose d’aucune bordure ou icônes, rendant impossibles ajustements et déplacements de ladite fenêtre. Franchement ennuyeux dans cette configuration. Les sons ponctuant déplacements terrestres, navals ou tirs, s’avèrent corrects mais sans plus.
Le système de jeu imite celui de Panzer General, pour tout ce qui a trait à la résolution tactique des combats. On retrouve ici, quasiment point à point, ce qui a fait le succès de la série. L’aspect opérationnel s’apparente d’avantage à celui de Strategic Command. Vous commandez des corps d’armées, sur une carte du monde restreinte à la côte Ouest des USA, l’Oural à l’Est, L’Islande et la frange Nord de l’Afrique. On peut s’interroger sur la pertinence d’une telle étendue mais elle se justifie -en partie- par la simulation de convois acheminant des ressources depuis les Amériques, le continent noir ou d’autres terres lointaines. Le tour de jeu correspond à une vingtaine de jours ; un hexagone fait environ 100Km.
La jolie carte reste malheureusement statique. Ne reflétant que la nature du terrain (plaines, montagnes, marais, etc.), aucunement le rythme des saisons. Le climat bénéficie cependant d’icônes expressives, pour visualiser pluie, boue ou rigueur des hivers. Chaque pays génère des points de production ainsi que 3 ressources indispensables : chevaux, or et chair à canon humaine.
Les nations jouables sont initialement réparties en deux groupes antagonistes. La France et ses satellites, d’un côté; la grande Coalition (GB, Russie, Prusse, Autriche) de l’autre. Les pays mineurs (Italie, Espagne, Suède, etc.) peuvent s’allier à l’un ou l’autre camp, au fil des évènements, mais sans contrôle direct du joueur. Adieu, le jeu des alliances, des corruptions. A ce sujet, il existe un écran Diplomatie… dont l’inutilité laisse perplexe. Le réalisme historique se limite ici -comme dans pratiquement tous les autres domaines- à l’aspect géographique et aux grandes lignes historiques. Il m’est par exemple arrivé d’assister au débarquement d’un corps d’infanterie portugais, seul, en Normandie, au début du printemps 1808 ! On notera aussi la présence incongrue d’un canal de Suez dès 1805…
La recherche s’avère nettement plus agréable à manipuler qu’une diplomatie brillant par son absence presque totale, à une époque pourtant sujette aux tractations. Le joueur dispose de cinq secteurs principaux pour allouer son budget de dix points : Infanterie, Cavalerie, Artillerie, Navale et Guerre. Chacun se subdivise en trois domaines, répartis eux-mêmes en trois catégories. Par exemple, à la rubrique Guerre : des capacités ayant trait aussi bien aux équipements vestimentaires -pour protéger ses troupes des rigueurs du climat russe- que des concepts plus abstraits, comme le Nationalisme.
On pourra donc distribuer ces points entre les améliorations de troupes (grenadiers, lanciers, artillerie tractée) ou des bonus plus opérationnels : formations en lignes, carrés ou tirailleurs. Il est également possible de focaliser les recherches (deux focus pour le français) plutôt que d’avoir un effort globalement partagé. Dernier détail, l’évolution aléatoire du processus de découvertes, via une option. Dans l’ensemble, un système simple, élégant et intéressant, tout au long de la partie. En revanche, il va de soi que cela ne concerne que les scénarios relativement longs. Excluant de fait la plupart de ceux proposés…
Commander – Napoleon at War n’est ni une simulation, ni un wargame historique au sens strict. Tout se joue dans l’abstraction. Certains choix ont été faits au bénéfice de l’attrait ludique, aux dépens du réalisme. Les unités navales et terrestres, améliorables et gagnant de l’expérience au combat, se limitent à des catégories représentatives. L’infanterie en comprend trois : milice, légère et « de ligne ». La cavalerie se limite à deux groupes : légère et lourde. Elle fait aussi office d’unité de reconnaissance (cav. légère) et de soutien (tout comme l’artillerie). La météo, changeante, influant sur les déplacements, le ravitaillement (également abstrait) et les combats, n’a aucune incidence sur la distance de repérage. L’artillerie propose tubes hippomobiles, canons d’infanterie et pièces de siège, plus spécialisées. Les marins, en dehors des convois -entièrement gérés par l’IA pour chaque camp- et autres transports de troupes, utiliseront frégates, navires de ligne et sloops de bombardement. Voire même des vaisseaux corsaires.
On regrettera -ici particulièrement- de ne pouvoir renommer ou empiler ses unités. Ce dernier point peut trouver sa justification dans une certaine simplification du gameplay (nombre réduit de « pions »). Il devient par contre fortement sujet à controverse, dès lors que les unités se gênent mutuellement sur la carte. De la même manière, la distance d’engagement pour l’artillerie (trois hexs) paraît sujet à arguties. Mention « assez bien » à l’exploitation d’une percée, accordant un hex de déplacement supplémentaire à l’attaquant ayant éliminé un « pion » adverse. Les troupes peuvent également se replier sous un assaut, sauf lors d’un siège où elles combattront jusqu’au dernier homme valide.
Chaque unité est caractérisée par des attributs classiques. De « force », représentant sur dix points sa vitalité ; attaque, défense, mouvement ou shock, un bonus appliqué avant la résolution simultanée des attaques. La topographie et le climat exercent également un impact lors des confrontations. Tout cela est résumé dans une fenêtre, récapitulant les bonus / malus pour chaque combattant. Une indication supplémentaire concerne les probabilités de résultat d’un assaut, laissant toutefois une marge d’erreur sensible, renforçant l’aspect aléatoire des combats. Les sièges -villes ou forteresses- sont assez « réalistes ». Une valeur défensive est appliquée pour représenter les murailles; elle décroît sous les bombardements, protégeant les défenseurs.
Enfin, les commandants, caution historique et unités particulières réparties en deux groupes, terrestres et navals, offrent des bonus à leurs subordonnés. Ils ne peuvent être tués et sont reversés au pool d’unités en cas de blessures. Le joueur pourra de nouveau les recruter, après une durée de « convalescence » plus ou moins longue.
Pratiquement tout dans ce jeu est modifiable, par l’entremise de fichiers TXT, d’images PNG ou de sons OGG et WAV. Les mods commencent d’ailleurs à apparaître spontanément sur les forums dédiés. Au bilan des récriminations, j’ajouterai pêle-mêle, l’impossibilité de protéger ses navires dans les ports ; l’absence d’un quelconque éditeur ; des règles de retranchement progressif ; pas de résumé accessible ailleurs qu’en début de tour ; de marqueurs ami/ennemi ; de points attribués pour la destruction d’unités, etc. La liste peut sembler longue, elle l’est, effectivement. Toutefois, gardez à l’esprit que tout cela ne nuit pas de manière critique au gameplay, qui demeure très addictif. Mon grief principal serait peut-être l’impossibilité d’annuler un coup joué. Une lacune vraiment gênante en fin de partie. Partiellement compensée par la sauvegarde automatique régulière, pratique sur une partie en 169 tours… sauf si elle est malencontreusement corrompue !
En conclusion
Voilà donc bien un jeu qui souffle le chaud et le froid. Si le premier contact séduit par l’esthétisme relatif, certains choix techniques pourraient dépiter les joueurs exigeants. La simplicité du gameplay attire indéniablement l’attention mais quelques bugs graphiques, une IA faible, refroidissent les ardeurs. Toutefois, sauf à être un grognard bougon et ostraciste, force est de constater que malgré ses nombreux défauts et des carences évidentes, Commander – Napoleon at War devrait emporter l’adhésion de ceux attirés par l’aspect ludique, ici clairement privilégié.
Lorsqu’un jeu commence par inspirer des hochements de tête, des haussements d’épaules et de profonds soupirs, c’est généralement très mauvais signe. Quand, après une semaine, on se demande s’il n’aurait pas fallu allouer un point supplémentaire à la recherche navale, histoire d’aller protéger ces maudits convois avec une ou deux frégates mieux armées, là c’est une autre histoire ! Si le réalisme historique, la rigueur, ne sont pas des notions fondamentales à vos yeux, par rapport à un gameplay addictif, vous devriez passer quelques moments agréables devant votre écran, avec ce titre sans prétentions mais très distrayant. Voilà bien le mot qui résume mon sentiment après ce test : distrayant. Quoi d’autre !
- Réalisation graphique agréable
- Interface fonctionnelle
- Gameplay excellent et addictif
- Aisément et entièrement modifiable
- Des abstractions gênantes
- Une seule véritable campagne
- Pas de générateur de scénario
- Des choix techniques discutables
Date de sortie : 29 septembre 2008
Studio – éditeur : The Lordz / Matrix – Slitherine
Site officiel : fiche chez Matrix.
Prix : 18,99 € (en téléchargement)
NDLR : article publié en 2009 sur Cyberstratège.
Je ne connais pas celui-ci, mais Commander the Great War sur la 1e guerre mondiale est vraiment très sympa.
C’est le même esprit ; un jeu -encore plus- facile à prendre en main, sur un thème historique. La différence majeure étant une plus grande profondeur de jeu sur The great war. La réalisation a également fait un joli pas en avant depuis ce Napoléon ! Ici on est davantage sur un jeu à mi chemin entre véritable wargame classique et superficialité d’un titre Casual. Si le prix de vente est réduit, ça vaut la peine de se laisser tenter (et prendre au jeu ;) ).