Paru en juillet 2013, programmé par Thomas Gereke (studio Phobetor), Germany at War fit l’objet de peu de remous dans le Landerneau du wargame et encore moins dans le macrocosme du jeu vidéo, en général. C’est à peine si votre chère Gazette mentionna son nom, à l’époque. Soucieux d’informer son lectorat et de coller au plus près de ce qui peut représenter le dessus du panier dans un domaine aussi pointu que les jeux d’histoire, c’est avec enthousiasme que nous avons décidé de revenir sur ce titre qui, à bien y regarder, mérite amplement les quelques lignes que nous allons lui consacrer.
Bâti autour d’un concept emprunté au fameux Panzer General (visuellement plus proche de Panzer General 3D), revendiquant clairement cette ascendance, Germany at War n’attire cependant guère l’œil de l’amateur de jeux dits modernes. Certes, son interface paraît relativement riche comparée aux jeux casual qu’on peut trouver au sein de certains catalogues mais il faut reconnaître que ses teintes bien ternes, comme l’uniformité de ses cartes, inspirent peu l’enthousiasme.
Cette relative fadeur visuelle associée au déficit de publicité ayant présidé à son entrée dans l’écurie Matrix n’aura décidément pas joué en la faveur de ce qui, pourtant, représente probablement l’un des meilleurs successeurs du genre Panzer General. Un véritable jeu de guerre dont la profondeur stratégique et l’ambitieuse réalisation, se révèlent au service d’un module tactique indéniablement plaisant. Une sorte de Panzer Corps dont le créateur serait tombé, petit, dans un chaudron de potion à la Steel Panthers. Un jeu aux mécanismes simples mais absolument pas simplistes, stimulant délicieusement les méninges, sans toutefois vous prendre pour un membre d’élite de la Mensa.
Si vous savez comment jouer à Panzer General ou a l’un de ses multiples successeurs, alors vous saurez probablement jouer à Germany at War dans les minutes qui suivront votre prise en main de la démo qui l’accompagne. Vous y manipulerez quatre unités sur une carte réduite, pendant deux petits tours. Force est de reconnaître cependant que pour les novices complets, cette introduction assez maladroite -pour ne pas dire ratée- s’avérera peu édifiante. Encore un élément qui aura certainement joué en défaveur du titre, ce qui est d’autant plus regrettable qu’une fois acquis les principes simples du gameplay, le plaisir arrive très rapidement. Ou comment démontrer, par l’exemple, qu’un élément trop souvent considéré par les développeurs comme étant secondaire, le didacticiel, représente cependant une part fondamentale dans l’intérêt suscité auprès du joueur.
Le propos de cet article n’étant pas d’entrer dans la complexité des rouages de ce wargame, passons à l’essentiel. Le plaisir ludique qu’apporte, encore aujourd’hui, la série Panzer General réside en partie dans sa simplicité associée à une difficulté très progressive. Ce ne sont pas les seuls ingrédients mais cela représente néanmoins l’essentiel de la recette. Germany at War semble l’avoir parfaitement compris en transposant sur le front de l’Est l’action principale. L’écart de puissance initial joue en faveur du joueur novice qui, séduit également par les moyens technologiques mis entre ses mains, devrait rapidement se trouver happé par un gameplay addictif. L’évolution tactique des unités représentée de manière originale par l’adjonction de brigades, montre également un soucis notable de coller à un cadre historique plausible.
L’autre aspect magnétique de ce jeu réside dans la qualité tactique de ses cartes, pourtant d’apparence peu flatteuse. Couplé à des mécanismes intelligents sur le plan stratégique comme la gestion poussée des moyens logistiques, ravitaillement en pétrole, en munitions ou encore, de la météo. Voilà qui abouti à des situations où le joueur se retrouve non pas face à un puzzle militaire mais devant des situations plutôt réalistes, qu’il faudra gérer avec finesse.
Ici, les impératifs temporels ne s’apparentent plus à des pénalités introduites d’autorité par les scénaristes pour handicaper ou pénaliser le joueur mais bien à des contingences stratégiques, qu’il convient de négocier. L’état d’esprit passe ici de l’agacement, de la frustration (qui n’a jamais pesté, à l’issue d’une partie de Panzer General ?), à une satisfaction plus intellectuelle. Les batailles ne ressemblent plus à des casses-têtes dont on doit trouver la solution, trop souvent unique, mais se révèlent enfin telles qu’on les rêvait ; comme les étapes d’une progression intelligente vers une victoire finale remportée de haute lutte. La tenue ou la destruction d’un pont, artère vitale pour la progression des troupes blindées représente ici un véritable enjeu stratégique, là où d’autres jeux n’en font, au mieux, qu’un ralentisseur mineur ou plus généralement, un élément de décoration dispensable.
Mais tout n’est pas rose avec Germany at War sinon nous serions en possession d’un Game of the year dans plusieurs catégories. L’interface, en dépit du fait qu’elle sert de support à une belle profondeur de jeu, recèle aussi quelques horreurs incompréhensibles. Ainsi, malgré une clarté honorable, se retrouve-t-on dans certaines situations -c’est le cas avec l’écran des options- frisant le ridicule par leur absurdité. Certains boutons cliquables sont inexplicablement petits et visuellement, leur état demeure indiscernable.
Pourtant, ni la place ni les ressources systèmes ne justifient une telle aberration. Cela est d’autant plus gênant qu’il s’agit de commandes déterminant le brouillard de guerre ; la gestion de la météo, etc. Autre erreur, sur la carte tactique et stratégique, les objectifs de victoire s’avèrent parfois difficiles à localiser. Il est alors nécessaire de désactiver l’affichage des unités, afin de révéler la position de ces éléments cruciaux. Rien qu’il ne soit possible de contourner, d’une manière ou d’une autre, mais cela nuit cependant fortement à l’agrément de jeu.
L’un des gros problèmes concerne la lisibilité et curieusement, cela n’est pas en rapport direct avec la qualité -a priori moyenne- des graphismes mais bien avec la réalisation technique de l’ensemble et quelques décisions artistiques maladroites. Ainsi, les couleurs utilisées souvent difficiles à discerner, spécialement en ce qui concerne les icônes de nationalité sur la mini carte. Autre écueil : la sélection, particulièrement difficile, d’une unité terrestre survolée par une autre, aérienne ; cas de figure récurrent au fil des batailles (un raccourci clavier (touche M ou ; sur un clavier Azerty) facilite -un peu- les choses). Tout cela pourra encore être corrigé et amélioré, tant il est notable que le développeur se montre réactif et à l’écoute des joueurs.
Côté réalisme, les algorithmes de combat semblent mieux pensés que dans Panzer Corps, du moins est-ce le cas au niveau de difficulté intermédiaire. Cela s’avère particulièrement frappant lors des combats aériens durant lesquels les chasseurs-bombardiers peuvent espérer survivre, quand ce n’est pas poser problèmes aux tout puissants Bf-109 allemands. Au sol, les attaques combinées offrent des bonus non négligeables, tant certaines unités soviétiques sont parfois récalcitrantes. Détail significatif, les troupes affaiblies n’hésitent pas à se replier pour récupérer.
Contrairement à ce qu’on peut expérimenter chez la concurrence, n’espérez pas trop foncer tête baissée vers des objectifs quelques fois trompeusement proches. Si cette technique apparaît souvent comme étant fidèle à l’idée qu’on peut avoir d’une guerre éclair, la réalité du terrain comme celle des ordres de bataille historiquement fidèles viendra souvent vous rappeler le sens du mot modestie ; si nécessaire, par l’entremise de tubes bien graissés de canon de 152mm … avis aux amateurs !
Certains raffinements devenus au fil du temps des éléments indispensables au confort de jeu font regrettablement défaut. La touche TAB faisant défiler les unités, ne prend pas en compte celles ayant déjà épuisés leurs points d’action, ce qui dessert à la fluidité du jeu car en complément, aucune icône ne permet de les distinguer rapidement. Ces quelques désagréments font partie des plus importantes lacunes d’un jeu qui, par ailleurs, offre des subtilités peu fréquentes sur d’autres titres, comme la possibilité de considérer enfin les fleuves comme des éléments stratégiques à part entière et non comme des fantaisies purement esthétiques. Les troupes du génie revêtent ici une importance nouvelle. Même si elles s’avèrent encore inaptes à miner ou déminer le terrain (mines dont l’absence totale ne manquera pas de sauter aux yeux des plus observateurs), leur capacité à détruire ou bâtir (ils font également office de pontonniers) ces mêmes ouvrages demeure remarquable.
Curiosité également notable, la possibilité d’ériger des ouvrages défensifs solides, en l’occurrence des bunkers. Tout ceci nécessite de précieuses ressources (équivalant du Prestige de Panzer General), autrement utilisables pour recruter, améliorer ou remplacer ses troupes. Il va de soi, lorsque l’on constate la relative difficulté à amasser ces-mêmes ressources, que ces activités purement défensives s’avèrent totalement exclues des campagnes courtes constituant l’essentiel de celles accessibles d’emblée. Seule la campagne longue (37 tours !) permettra, éventuellement (n’ayant eu le loisir de la jouer entièrement, ce ne sont là que spéculations) de constater l’opportunité de ces fonctionnalités. Nuls doutes qu’une campagne jouable côté soviétique, initialement envisagée semble-t-il, permettrait d’exploiter de telles possibilités.
Il convient également d’aborder le sujet délicat de l’adversaire informatique. Globalement et au niveau intermédiaire, l’IA se révèle relativement réservée. Dans son rôle de défenseur cela semble cohérent avec les moyens logistiques et tactiques modestes à sa disposition car rappelons qu’ici un certain respect de la véracité historique reste de mise. Il est cependant à noter qu’une unité ennemie négligée lors d’une offensive rapide ne se privera pas d’investir une position non défendue. Avec l’évolution des ressources dévolues au joueur soviétique, alors que la campagne progresse, son comportement agressif s’affirmera. Sans être transcendante, on peut dire qu’elle utilise assez bien le terrain dans la plupart des situations prédéfinies mais peine cependant à affirmer son intelligence dès que les cartes sont battues.
Comparé aux jeux de référence dans le genre, Panzer Corps inclut, on peut toutefois considérer qu’elle est ici sensiblement supérieure. À l’attention des joueurs pressés et comme la comparaison avec Panzer Corps revient souvent dans ces lignes, il sera utile de préciser qu’ici les parties durent en moyenne un peu plus longtemps. On reste dans des plages raisonnables pour un tel jeu, de l’ordre d’une heure environ mais cela traduit assez fidèlement la montée en gamme dans l’échelle de la réflexion nécessaire, ainsi qu’une richesse stratégique et tactique, légèrement plus exigeante.
Derniers mots
Si vous cherchez un jeu bouche-trou, des parties rapides, de l’ordre d’une trentaine de minutes, alors Panzer Corps devrait mieux correspondre à vos attentes. Cela étant, si vos capacités d’adaptation sont légèrement plus flexibles et si vous désirez un défi -ainsi qu’un niveau de réalisme- plus étoffé, Germany at War paraît clairement tenir le haut de l’affiche. Reste à définir si l’aspect visuel et la finition, plus élaborés dans le cas de Panzer Corps représentent également des atouts à même de vous séduire davantage. D’un abord sensiblement plus difficile, vu sous ces deux aspects, Germany at War en offre pourtant bien plus en termes de gameplay, de réalisme et d’immersion mais aussi, finalement, de pur amusement. S’il s’agissait d’un combat de boxe, je donnerais ce dernier vainqueur aux points !
- Tentative réussie de faire évoluer le concept de Panzer General.
- Profondeur stratégique intelligemment développée.
- Des options tactiques bien exploitées ; éditeur de batailles, simple mais pratique.
- Forte implication des créateurs et souci de satisfaire les joueurs.
- Malgré une bonne volonté évidente, manque parfois de lisibilité.
- L’IA manque de peps, de raffinements dans la programmation.
- Jeu très plaisant mais souffrant d’un manque de moyens.
Date de sortie : juillet 2013
Éditeur / Studio : Phobetor – Matrix Games / Slitherine
Prix : 16,99 € (téléchargement) ; 24,99 € (boîte + téléchargement).
Échelle unités : Division ; bataillon ; régiment ; brigade. Jeu en anglais uniquement. Version française prévue ? Aucune.