J’ai essayé d’aborder cette série de ludiciels -je testerai, dans la foulée, deux autres titres (*) du même éditeur- avec l’œil du néophyte. Bien qu’ayant déjà pratiqué les jeux créés par John Tiller, il me semble intéressant de voir comment un joueur inexpérimenté pourrait appréhender ces systèmes, réputés arides. Cette approche ne vous révèlera pas le fonctionnement détaillé du système. Pour cela, vous pourrez relire les nombreux tests et analyses consacrés aux jeux HPS. Ainsi, celui de The First Blitzkrieg, sa copie presque conforme…
Premier choc, visuel tout autant que culturel ! Le CD-Rom du jeu n’est contenu que dans un austère boîtier cristal, agrémenté d’une jaquette couleurs. Maximisation des profits… Foin des polémiques, découvrons plutôt le contenu de ce pauvre flacon… L’installation s’avère minimale, pour un jeu sorti récemment. Le thème abordé est celui d’une simulation à l’échelle division / régiment, d’opérations menées sur le pourtour méditerranéen, entre 1940 et 1943. Le tout accompagné d’ordres de bataille pour quinze nations (toutes jouables via l’éditeur), regroupant plus de trois cents unités. Impressionnant ! Le plus simple semble d’entamer la lecture du didacticiel…
La documentation, parlons-en ; dix-sept fichiers, soit près de deux cents pages au format .PDF, comprenant des cartes stratégiques présentées grand format. Du lourd, du solide ! Malheureusement, la liste des symboles OTAN -indispensable- s’avère illisible, avant comme après impression. Certains manuels disposent de « signets » mais souffrent de l’absence d’un index digne de ce nom. De telles lacunes rendent malaisée la recherche d’informations précises. Regrettable pour un produit relativement complexe et onéreux.
Il est dommage que l’intégration à Windows soit parfois aussi mal pensée, la fenêtre de jeu maximisée laissant la barre des tâches active, quand la souris est censée permettre le défilement. Heureusement, on peut toujours utiliser les flèches clavier si l’irritation grandie. Accessoirement, on déplorera que l’accès aux fichiers des paramètres (points de mouvement, ravitaillement, combat, défense, camouflage) demeure aussi pénible et laborieux qu’il l’était déjà, dans un titre comme Talonsoft’s Eastern Front. Principe et présentation étant similaires, à savoir une vilaine -et trop petite- fenêtre Windows, dont il faut faire défiler le contenu.
La première impression ressentie en découvrant l’écran de jeu, doit être celle d’un poussin… levant les yeux sur la blancheur des canines d’un chat errant. Des hexagones, des symboles OTAN inconnus, associés à une barre d’icônes interminable, dominant une carte sans le moindre texte, froide, statique, peu colorée. Précise cependant, bien que pâtissant de l’usage des hexagones, comme de l’absence incongrue, quel que soit le niveau de zoom, de réseau routier et l’abondance de voies ferrées.. Quelle claque visuelle ! Un « scenario »non jouable, intitulé « Map_viewer », permet d’envisager le travail des cartographes dans sa globalité. Le terme approprié ici serait plutôt : démesure ! A l’échelle (1 hex = 10 Km²), cela représente une surface de 12 522 300 Km². On pourra -heureusement- utiliser un outil de l’éditeur, pour découper tout cela en morceaux ; facilitant ainsi la création (limitée…) de scenarii de toutes tailles.
Cette prouesse cartographique rend plus frustrante encore, l’absence de niveaux de zoom adaptés. Deux représentations (plus une MiniMap), dont la plus éloignée s’avère d’une utilité très relative, tant les marqueurs sont minuscules et de couleurs parfois trompeuses. En affichage rapproché, il arrive constamment de chercher le niveau suivant. J’imagine qu’à des résolutions supérieures au 1280×1024, il doit s’avérer pénible de jouer. A moins que ce ne soit l’âge qui me rattrape ?
Avec une petite carte comme celle du didacticiel, l’occupation mémoire est insignifiante. Ce qui devrait séduire les possesseurs de portables et autres netbooks. En parallèle avec les possibilités de PBEM, LAN et TCP/IP, le wargame opérationnel nomade idéal serait-il à portée de main ? Oui… pour autant que le CPU soit à la hauteur, ainsi que la quantité de mémoire vive. Fort heureusement, il est possible de moduler la vitesse de calcul de l’IA, pour l’adapter à sa configuration.
Revenons un moment sur la liste des scenarii. Une bonne vingtaine, allant de trois à soixante-trois tours, pour la campagne de Grèce ; la moyenne se situant entre dix et vingt. Certains de peu d’intérêt, voire incongrus. Ainsi l’opération Torch ; trois tours dont l’utilité -malgré les indications du scénariste- m’échappe toujours. Pour le reste, on trouve de quoi s’amuser, même si certains théâtres sont chichement servis (huit petits tours, pour la Crète). Sur ce scénario crétois, la comparaison avec The Operational Art of War fait mal, très mal… Les variantes sont heureusement possibles, avec unités/positions de départ alternatives. Globalement, j’aurais trouvé peu de qualités aux scenarii offrant moins de dix tours, en dehors de leur brièveté et de l’aspect pédagogique. Les parties les plus longues me semblent ici plus attractives. L’IA s’y révèle un partenaire moyen, à défaut d’être inspiré. Comme toujours, elle donnera le meilleur d’elle-même lorsqu’il s’agira de préserver ses acquis. Pour le réalisme, on peut effectivement obtenir des résultats historiquement conformes… ou pas ! Pas de surprises à espérer donc mais un niveau général correct, bien aidé par les scénaristes…
Les déplacements se font d’un hexagone à la fois, pénalisés par la nature du terrain. On apprécie alors la présence d’unités spécialisées (alpins, skieurs, chars amphibies), comme l’option de « marche forcée ». En revanche, l’aviation est à un niveau d’abstraction complet, tout comme les opérations navales hors transports. On se contentera d’écrans de résumé -peu détaillés- et d’ordres génériques (reconnaissance, supériorité, appui tactique). Il est possible d’opter pour le « cliquer / déplacer », afin de parcourir plusieurs cases d’un seul coup, avec une ou plusieurs unités empilées. C’est un peu déconcertant par rapport aux jeux de stratégie « temps réel » mais on s’y fait. Les déplacements séquentiels évitent les mauvaises décisions, parfois dues à une IA facétieuse. Vous maîtrisez vos choix en matière de mouvement, aussi longtemps que l’ennemi n’est pas impliqué, les adaptant aux contraintes imposées par le scénario (un tour = deux jours). En cas de mauvaise rencontre, Fog of war (brouillard de guerre) activé, pas d’annulation possible !
Limitant les erreurs d’appréciation, lorsque la limite d’empilement (stacking) entre en ligne de compte, le joueur appréciera d’avoir à sa disposition un indicateur. Montrant clairement le total (en fonction du terrain) de points cumulés par les unités présentes dans un même hexagone, lors de la préparation des phases d’assaut et les déplacements. Le même agrément vaut pour leur nombre (sous-unités / composants), points d’attaque, de défense ou de mouvement, indiqué sur chaque groupe de pions par un marqueur, activable via une icône. Ce système, vraiment pratique, pourrait l’être d’avantage s’il se doublait de raccourcis clavier exhaustifs. Ce n’est malheureusement pas le cas. A mon sens, une grave erreur d’ergonomie, parmi d’autres.
En ce qui concerne les conditions de victoire, on trouve quelques agréables variantes dans la présence d’objectifs de reddition, pour les deux camps. De même, l’IA devra respecter certaines contraintes stratégiques pour assurer sa victoire. Le calcul final est fonction des objectifs capturés / tenus par l’Axe. Chaque position spécifiée représente des points, qui s’accumulent au fil des tours. Stimulant l’agressivité des joueurs, ce modèle remplit son office mais peut rebuter sur certains scenarii (limites de temps imparties). Les combats sont résolus très simplement, leurs résultats appréciés sur la base de variables. Pour les unités terrestres : attaque / défense / blindage / A-C / A-A ; pour l’aviation : attaque air-sol / air-air / rayon d’action. Les produits affectent chaque unité engagée selon deux facteurs : points de force, efficacité. Une estimation s’affiche, permettant d’évaluer ses chances de succès. Globalement, ce système simplifié retourne des résultats ne laissant pas apparaître de véritables aberration, comme c’était parfois le cas dans TOAoW. Hormis avec l’aviation ennemie qui semble voler par tous les temps, dans certains scenarii…
Mais où sont donc passées les commandes de retranchement, l’artillerie à longue / très longue portée ? Elle n’est pas modélisée (adieu les hypothétiques canons de Navarone) et le moteur ne permet pas la construction de fortifications, retranchements ou champs de mines. Autant de choix discutables. Lors d’un assaut, vos unités attaquent sans restrictions d’organisation, ce qui, historiquement, semble incongru. Les troupes mécanisées bénéficient d’un surplus en points de mouvement, leur permettant d’exploiter. On regrette amèrement la richesse d’un TOAoW. Le jeu modélise : les ravitaillements -y compris amphibies- de manière classique (hex. logistiques, unités mobiles idoines et chaînes d’approvisionnement) ; les QG ; les partisans (n’influant que sur les mouvements, la logistique, sans occasionner de pertes humaines…), la gestion des renforts et d’objectifs stratégiques. On trouve -avec plaisir- la possibilité de scinder/réunir des unités. Ce qui ravira les adeptes des reconnaissances en profondeur (dont je fais partie). Les lignes de front, de support et ravitaillement sont sommairement représentées. Une fois encore, tout ceci est moins précis et détaillé que dans TOAoW…
Les « zones de contrôle » ne prennent pas en compte les facteurs de désengagement. Seule est simulée leur influence sur les mouvements et le ravitaillement. Contrairement à TOAoW, les unités peuvent se retirer d’un contact sans pertes « de friction ». Curieux mais c’est un choix conceptuel respectable. Les transports stratégiques (trains, bateaux) sont symbolisés. Basés sur un total de points, prédéfini en début de partie. Il en est de même pour les forces aériennes. Les assaut amphibies sont rudimentaires et malaisés (limites côtières peu lisibles). Clairement, on est allé ici vers la simplification. Les transports tactiques, tout comme l’artillerie organique , sont modélisés et représentés.
Le joueur n’a aucun contrôle sur la résolution d’écran, pas plus que sur les volumes sonores. Ce dernier point peut s’avérer très gênant, quand bien même les bruitages seraient de bonne qualité, ce qui est globalement le cas. Aucun fond musicale n’est proposé. Les titres libres de droits, convenant parfaitement à cette période historique, ne sont pourtant pas si rares ! Restent les musiques agrémentant les résumés de fin de partie. Elles méritent un commentaire particulier. A l’écoute d’une interprétation -très personnelle- de « la vie en rose »… illustrant ma première partie nulle, je m’interroge ! Tout autant sur le choix du morceau que sur sa réalisation, digne de l’âge d’or des orgues Bontempi… Lorsque le ridicule atteint de tels sommets, il s’apparente à une forme d’art. Ne reste alors plus que le silence pour lui rendre hommage.
Malgré toutes ces critiques, un certain confort de jeu reste patent. Il est par exemple possible de relire des parties enregistrées, afin de détailler sa progression, d’analyser son jeu ou celui de l’IA (pouvant incarner chaque camp, simultanément). Les concepteurs ont fait quelques efforts. On s’en apercevra au détour d’une option, d’un filtre d’unités. Toutefois, les améliorations en matière de convivialité n’ont pas toujours atteint le stade de la réalisation, loin s’en faut ! Par exemple, absent le menu contextuel, lié au clic droit de la souris. Idem les raccourcis clavier, réduits à la portion congrue. Beaucoup seraient pourtant bienvenus ! La fonction de recherche est inutile pour les unités et l’OoB complet, proposé au format texte, n’est pas interactif. Manque également, un rappel des tours restants. Sans parler du nombre de clics nécessaires, pour dominer l’ergonomie souvent mal pensée du jeu…
Alors un logiciel distrayant, certes, voire prenant, pour qui fera l’effort de s’y investir. Quel est cependant l’intérêt ludique de cette série, entamée avec The First Blitzkrieg, lorsqu’on la compare à TOAoW 3 chez Matrix ? Tous les théâtres, présents et futurs, que pourrait aborder la série HPS se trouvent déjà contenus dans celle de son concurrent ! En termes de présentation, il le surclasse totalement ; depuis le conditionnement produit, jusqu’à l’interface. Quant au gameplay, difficile d’être conquis par les choix effectués (règles simplifiées, parfois simplistes ; abstractions diverses, etc.). La série de Matrix gère un terrain de jeu autrement conséquent, sur une période temporelle incomparable. Elle offre un agrément, une richesse, qui ne sera jamais atteinte par tous les HPS susceptibles de venir compléter ce second volet. Inutile d’évoquer l’aspect financier…
* : Squad Battles – Spanish Civil War (voir notre test) ; Modern Air Power – War over the Mideast.
Des systèmes comme celui de TOAoW ou des Decisive Battles présentent des variantes multiples, du fait de modules tactiques plus complets, plus malléables ou d’un éventail d’évènements programmables (ici absents), riches d’options variées (règles d’exploitation, de coopération par corps, divisions, armées, etc.). Concepts qu’on ne retrouve ici que partiellement, édulcorés. On se sent aussi assez contraint par « l’histoire » proposée par les scénaristes.
Ultime opportunité laissée au général en devenir, l’éditeur de scenarii semble contingenté aux arrières-pensées mercantiles de l’éditeur. Proposer un outil de modification, tout en faisant en sorte qu’on ne puisse créer de quoi s’amuser au point de négliger l’achat des modules à venir. Un moteur empêchant toute initiative côté utilisateur (fichiers d’unités non modifiables). Enfin, un scalpel pour découper la carte principale en fichiers plus petits… sans possibilités d’en créer une de A à Z.
Bref, la frustration est grande, de ne pouvoir jouer que sur le terrain fourni et surtout, uniquement avec les unités incluses.
En résumé, si l’aspect monolithique du système, de l’interface et de la présentation visuelle, ne vous rebute pas d’avantage que le tarif d’accès aux modules Total War. Si l’envie d’un wargame « comme on en faisait il y a belle lurette », vous tenaille. Si vous ne possédez pas déjà TOAoW. Si, enfin, vous avez l’âme d’un collectionneur, une passion pour The First Blitzkrieg ou les deux, l’affaire sera réglée ; ce War on the Southern Front devrait vous intéresser ! En revanche, pour tous les autres, l’achat sera d’avantage réfléchi… Peut-être guidé par ce test ?
- Une carte jouable immense mais peu attrayante. Ordres de batailles complets et réalistes.
- Une douzaine de scenarii intéressants (sur vingt-trois), avec quelques variantes (what if).
- Très peu d’exigences matérielles. Stable.
- Une IA correcte. Un système / gameplay ayant largement fait ses preuves.
- Présentation archaïque, peu apte à séduire de nouveaux joueurs. Gros manque de finition.
- Techniquement dépassé. Système simplifié, globalement figé depuis plus de quinze ans.
- Un « module » plus cher qu’un jeu complet. Aucune valeur ajoutée (PDF, boîte, etc.).
- Un éditeur de scenarii extrêmement frustrant (pas de cartes/unités maison).
Date de sortie : juin 2009
Site officiel : http://www.hpssims.com/Pages/products/TWIE/WaSoFro/wasofro.html
Prix : 49,95 $ (hors frais de port)
Configuration minimale conseillée : Processeur Pentium 1 GHz ou équivalent AMD ; 256 Mo de RAM ; Carte graphique Nvidia GF7800 256 Mo ou équivalent ATI ; Windows 2000/XP/Vista ; 300 Mo d’espace disque (303 Mo chez moi… ).
– Version testée : Édition finale U.S. – Athlon X2 5600/RAM 2 Go/Radeon X1950 Pro 512 Mo.
NDLR : article publié en 2009 sur Cyberstratège.