Annoncé pour ce 29 avril, WarPlan Pacific repousse les limites de cette nouvelle série de wargames simulant 39-45 à grande échelle. Malgré son agenda chargé à ras bord, Alvaro Sousa, dit “Al”, répond pour nous à quelques curieuses questions.
Claude : comment décrirais-tu WarPlan Pacific en quelques mots ?
Al :
WarPlan Pacific couvre intégralement la campagne du Pacifique, de 1941 à 1945. Il contient suffisamment de détails et d’éléments à gérer pour demander une sérieuse réflexion, sans pour autant être surchargé.
Claude : qu’est-ce qui t’as mené à lancer ce projet ?
Al :
WarPlan a été mon premier jeu. J’ai identifié une niche qui manquait dans le genre du wargame sur la Seconde Guerre mondiale : un jeu facile à jouer, plus complexe que la plupart des jeux actuels, qui permet de stimuler une capacité d’abstraction approfondie, mais pas aussi détaillé que les monster games de Gary Grigsby. Je voulais créer un wargame authentique qui rappelle un grand jeu de plateau comme World in Flames, mais en mieux.
Si WarPlan était une réussite, je prévoyais de poursuivre avec un jeu sur le Pacifique. Le succès de WarPlan a dépassé les attentes de mon éditeur et les miennes, me donnant les ressources et la confiance nécessaires pour créer d’autres jeux.
Claude : quelle expérience veux-tu faire vivre au joueur ?
Al :
Une bonne dose d’anxiété, comme celle qu’éprouvaient les commandants de l’époque, mais à une plus grande échelle. Les joueurs devraient toujours avoir l’impression qu’ils n’ont pas assez d’équipement pour faire tout ce qu’ils veulent : ils devront planifier à la fois stratégiquement et opérationnellement en fonction de ces carences. Ils devraient être confrontés aux limitations que les ressources réellement disponibles imposent aux plans de conquête et de défense des objectifs de points de victoire. Ils devraient ressentir le stress de savoir qu’une bataille navale clé pourrait décider de toute la campagne à la fin de la guerre (ndlr : voir par exemple à ce propos cet article sur Pearl Harbor).
WarPlan Pacific est un jeu de territoire et non de pièces : le camp qui détient le plus de territoires stratégiques pendant le plus longtemps sera le vainqueur final de la partie, quelle que soit la taille de sa Marine.
N.b. : for our english speaking friends, the original version in english of this interview is available just below.
Pour plus d’informations sur WarPlan Pacific, voyez cette page chez l’éditeur. Concernant WarPlan, voyez cette page chez l’éditeur, celle-ci chez Kraken studios. Ou encore celle-ci sur Steam. Ainsi que notre test et cet AAR.
Claude : de quoi es-tu le plus fier ?
Al :
Je dirais que c’est le fait d’être arrivé à créer le jeu en lui-même. Ça m’a demandé énormément de travail. J’ai dû réapprendre à coder d’une nouvelle manière. J’ai dû me familiariser avec Unity Engine. J’ai dû apprendre l’expérience utilisateur, les graphismes, le mixage sonore, la psychologie cognitive et la recherche. J’ai fermé les yeux, je me suis frayé un chemin à travers tous les obstacles qui se dressaient sur ma route et j’ai continué à avancer. J’ai failli abandonner au bout de six mois, tellement c’était difficile et oppressant. La transition entre ce que j’ai appris sur le codage il y a 30 ans et la pratique actuelle a été un pas de géant pour moi, notamment avec Unity Engine. Tout cela en parallèle avec ma vie de famille.
Au cours de l’année écoulée, j’ai lu quelques articles sur les développeurs de jeux et leurs chances de réussite. D’après ces articles, une grande majorité d’entre eux ne génèrent pas assez de revenus pour en vivre. Si j’avais lu ces articles lorsque j’ai commencé, cela aurait pu me décourager. Je suis heureux d’avoir été trop naïf pour me rendre compte de la difficulté de réussir dans le monde du game design.
J’aime vraiment ce que je fais et je prends beaucoup de plaisir à recevoir les compliments des joueurs. Récemment, un professeur m’a envoyé un livre dédicacé, ce qui m’a vraiment touché : German Wars: A Concise History, 1859-1945 de Michael A. Palmer. On se sent vraiment bien quand on crée quelque chose qui apporte de la joie aux autres.
Claude : as-tu une anecdote à nous raconter sur le développement du jeu ?
Al :
Je dirais que mon histoire la plus amusante et la plus frustrante était un bug en particulier. Souvent, mon cerveau va plus vite que mes doigts et ma bouche. Lors d’un test sur une bêta après la sortie, les déplacements terrestres et les combats de l’I.A. étaient insensés : elle fuyait les lignes de front et lançait des attaques improbables. J’ai passé des heures à m’arracher les cheveux pour essayer de comprendre pourquoi. Je suis retourné dans mon code et je n’ai rien trouvé que j’avais changé, du moins je le pensais. Après deux jours très éprouvants, j’ai remarqué qu’un timestamp avait été modifié dans un script sur lequel je pensais ne pas avoir travaillé.
C’était le script des ordres. J’ai donc vérifié ligne par ligne ce qui s’était passé en le comparant à une ancienne version du script… L’erreur était que j’avais maladroitement tapé un signe moins devant une variable très importante pour les ordres sur la ligne de front ! Cela changeait une valeur positive en une valeur négative : une attaque en retraite. Je devais avoir ce script ouvert avec le curseur juste là et j’ai accidentellement entré un signe moins devant la variable qui contrôlait le mouvement et le combat de l’IA. Inutile de dire que j’étais furieux de ma propre stupidité. Ce n’était pas drôle sur le coup, mais j’en ris aujourd’hui.
Claude : qu’est-ce qui t’as particulièrement inspiré ?
Al :
La première source d’inspiration a été ma femme, qui ne cessait de me dire de faire ce que j’aime, c’est-à-dire créer des jeux. La seconde a été notre fils. Mon fils est brillant, en avance sur la plupart des autres élèves, mais il est autiste. Il nous était impossible à tous les deux d’occuper un emploi à temps plein car il y avait souvent une situation à l’école qui exigeait que l’un de nous vienne le chercher et le ramène à la maison.
Pendant un certain temps, j’ai été joueur professionnel de poker en ligne. À l’époque, je jouais à Strategic Command 2 (voir cet article). J’adorais ce jeu et j’ai créé un mod, que j’ai vraiment aimer réaliser. C’était l’un des mods les plus téléchargés et il est aujourd’hui intégré à la version Strategic Command Classic: WWII.
Hubert, le concepteur de la série Strategic Command, m’a dit qu’un critique français a jugé que j’avais du talent. Alors, avec ma femme qui m’encourageait et notre situation familiale, j’ai demandé à Hubert si je pouvais écrire une ou deux extensions pour son jeu. Nous en avons discuté, nous avons trouvé un accord équitable, et j’ai en grande partie réalisé ses deux dernières extensions : Assault on Democracy et Assault on Communism. Comme la conception de jeux me plaisait plus que le poker, j’ai recommencé à apprendre le codage et le moteur Unity. Maintenant, je pouvais travailler de chez moi à tout moment, m’occuper de ma famille et faire deux choses que j’aime. Aujourd’hui, je conçois surtout des jeux et je ne joue au poker que pour le plaisir. Je continue à pratiquer le poker et à en tirer du profit, mais la conception de jeux est ma véritable passion.
Claude : peux-tu nous partager ton screenshot préféré ?
Al :
Je suis sûr que les wargameurs les plus anciens se souviennent de la sensation que l’on éprouvait à préparer le plateau de Third Reich, d’Avalon Hill, avec toutes les pièces pour le scénario de 1939. Certains les ont même collées et en ont fait un assemblage permanent. Pour l’époque, c’était un jeu extraordinaire et le premier du genre. Cette sensation est la même pour moi avec la série WarPlan. Cette capture d’écran panoramique de la carte et de la configuration initiale des pions est ma préférée.
Lorsque j’ai commencé, les graphistes de Matrix m’ont conseillé sur la manière de rendre la carte plus attrayante. Leurs recommandations ont été très efficaces et ont donné vie à la carte. J’ai intégré leurs suggestions dans l’éditeur de carte du jeu. La conception de la carte est un travail méticuleux de positionnement, de mise en page, de copie d’informations, puis d’ajout de couleurs. Prendre du recul et voir tous les petits détails se combiner sur la carte complète, fait de cette vue ma favorite.
Claude : que voudrais-tu dire en particulier à nos lecteurs ?
Al :
Si vous lisez cet article et découvrez WarPlan pour la première fois, je veux que vous sachiez que la communauté dispose d’un formidable groupe de joueurs serviables et amicaux sur le forum de Matrix. J’y suis quotidiennement présent pour répondre aux questions, lire ce que ressentent les joueurs et rechercher les bogues et les problèmes d’équilibre du jeu. Maintenant, pour le reste d’entre vous qui possédez WarPlan, beaucoup d’entre vous se demandent peut-être « Quand est-ce que WarPlan Global arrive ? ».
Je prévois de le développer sur le moteur de jeu WarPlan 2, qui est actuellement en cours de développement. La plus grande caractéristique de WarPlan 2 sera les pions du niveau divisionnaire, mais sans microgestion supplémentaire. Je m’y consacrerai lorsque que j’aurai le sentiment que tout l’équilibrage et les mécanismes de WarPlan et WarPlan Pacific sont sans faille. WarPlan est très proche d’être un jeu bien équilibré.
Je veux offrir à chacun un jeu global qui rassemble le meilleur de ce que j’ai à offrir. Cela fait longtemps que j’ai l’intention de créer ce genre de jeu. Maintenant, cela devient une réalité. J’espère que vous apprécierez tous WarPlan Pacific lorsqu’il sortira, le 29 avril 2021.
Derniers mots
Permettez-moi de compléter cette interview attachante par quelques récentes vidéos, dans la playlist ci-contre, qui dévoilent les nouveaux mécanismes développés pour WarPlan Pacific.
Notons également la disponibilité anticipée du manuel du jeu en pdf.
Pour conclure, je tiens à remercier Alvaro pour sa disponibilité, sa candeur et son humilité. Concis dans ses écrits, comme tous les habitués du forum Matrix pourront l’avoir remarqué, je sais qu’il a fourni un effort particulier pour répondre à nos questions. Je profite de l’opportunité pour souhaiter tout le bonheur du monde à sa famille et un succès amplement mérité pour ses créations.
J’ai hâte de pouvoir m’immerger dans le défi intellectuel que présentera très certainement, pour de nombreuses heures probablement trop matinales, le théâtre démesuré du Pacifique et la nature particulière de ses opérations, à la façon WarPlan.
Tora ! Tora ! Tora !
NDLR : cet article est ouvert à tous, ne nécessitant pas d’abonnement pour être lu. Vos abonnements sont importants pour que la Gazette du wargamer puisse continuer d’évoluer tout en proposant aussi des articles en accès libre. Pour soutenir le site et son équipe, abonnez-vous.
English version
Gazette du wargamer : How would you describe WarPlan Pacific in a few words?
Alvaro Sousa : WarPlan Pacific is the entire Pacific campaign from 1941-1945. It has just enough detail and easy management for a deep critical thinker without being overwhelming.
What led you to start this project?
WarPlan was my first game. I saw a niche that was missing in the World War 2 wargame genre– a game that is easy to play, more complex than most of the current games, with a deep abstract level of thinking, yet not as detailed as Gary Grigsby monster games. I wanted to create a pure wargame that has the feel of a large board game like World in Flames but better. If WarPlan succeeded I planned to follow up with a Pacific game. WarPlan succeeded beyond my publisher’s expectations and my own, giving me the resources and confidence to create more games.
What do you want the player to experience?
A healthy dose of anxiety just like the commanders of that time experienced but on a grander scale. Both players should always feel like they don’t have enough war material to do what they want; they’ll need to plan both strategically and operationally around these deficiencies. They should feel the resource constraints imposed by taking and defending victory point objectives. They should feel the stress of knowing that a key naval battle could decide the entire campaign late in the war. WarPlan Pacific is a game of territory not pieces. The side that holds the most victory territory for the longest will be the eventual winner of the game regardless of how large their navy is.
What are you the proudest of?
I would say the fact that I was able to create the game itself. It took a lot of work. I had to relearn coding in a new way. I had to learn Unity Engine. I had to learn user experience, graphics, sound mixing, cognitive psychology, and how to research. I closed my eyes and pushed my way through all the obstacles in my path and just kept progressing forward. I almost quit after 6 months because it was so difficult and overwhelming. The transition from what I learned about coding 30 years ago to how it is done now was a giant leap for me. Unity Engine was a giant leap for me to learn. All this while managing a family.
In this past year, I’ve read a few articles about game developers and their chances of succeeding. According to the articles, a vast majority of them do not generate nearly enough income to live off of. If I had read those articles when I first started it might have discouraged me. I am thankful I was too naive to realize how hard it was to succeed in the game design industry.
I really do enjoy what I do and take great pleasure in the praise I’ve gotten from the players. Recently a professor sent me an autographed book he wrote, which really touched me – The German Wars 1859-1945 by Michael A. Palmer. It feels really good when you create something that brings joy to others.
Do you have an anecdote to tell us about the development of the project?
I’d say my most amusing and frustrating story was a specific bug. Often my mind travels faster than my fingers and my mouth. During one post-release beta test the A.I.-opponent land moves and combat were acting crazy; it was running away from the front lines and making odd improper attacks. I spent hours pulling my hair out trying to figure out why. I went back through my code and couldn’t find anything I had changed–or so I thought. After a grueling 2 days I noticed a timestamp was changed in a script I thought I hadn’t worked on. It was the orders script.
So I went line by line to see what happened comparing it to an older version of the script. The error was that I had accidentally fat fingered a minus sign in front of a very important variable for front line orders. It turned a positive data value into a negative one, an attack into retreat. I must have had that script open with the cursor right there and accidentally input a minus sign in front of the variable that controlled the A.I.’s move and combat. Needless to say I was fuming at my own stupidity. It wasn’t funny at the time, but it is now.
Which game, book, or movie has particularly inspired you?
The first inspiration was my wife who kept telling me to do what I love–make games. The second was our son. My son is brilliant, ahead of most other students, but has autism. It was impossible for both of us to hold a full time job because there was often a situation at school that would require one of us to come pick him up and take him home. So for a while I was playing poker professionally online. At the time I was playing Strategic Command 2. I loved the game and made a mod for it. I really enjoyed making the mod. It was one of the most downloaded mods available and is part of the Classic Strategic Command 2 game to this day.
Hubert, the designer of the Strategic Command series, told me that a French reviewer (from Wargamer.fr I think) said I had talent. So with my wife encouraging me and our family situation, I asked Hubert if I could write an expansion or two for his game. We discussed it, worked out a fair deal, and his last two expansions, Assault on Democracy and Assault on Communism, were mostly written by me. I enjoyed game design more than poker so I started learning coding again and Unity Engine. Now I could work from home at any time, take care of my family, and do two things I love. Now I mostly design games and only play poker for recreation. I still study poker and make money from it, but game design is my true passion.
Can you share with us your favorite screenshot?
I am sure older wargamers remember the feel of setting up Avalon Hill’s Third Reich board with all the pieces for the 1939 scenario. Some even glued them and made a permanent mount of it. For the time, it was an amazing game and the first of its kind. This sensation is the same for me with the WarPlan series. This wideout screenshot of the map and initial counter setup is my favorite.
When I first started, Matrix’s artists guided me on how to make the map more appealing. Their suggestions worked really well and brought the map to life. I incorporated their suggestions into the tile editor in the game. Designing the map is meticulous work of positioning, laying out, copying information, and then adding color. Stepping back and seeing all the small details coming together on the full map makes this screenshot my favorite.
To conclude, what would you like to tell our readers?
If you are reading this article and discovering WarPlan for the first time, I want you to know that the community has a great group of helpful and friendly players on the Matrix forums. I participate daily to answer questions, read about how players are feeling, and look for bugs and game balance issues. Now, for the rest of you who own WarPlan–many of you may be wondering, “When is WarPlan Global?” That game will be designed on the new WarPlan 2 engine model which is currently being developed. The biggest feature of WarPlan 2 will be counters with divisions but without the extra micromanagement. I’ll be working on that once I feel all of the WarPlan and WarPlan Pacific game balance and rules issues have been thoroughly played through and resolved so I have a rock solid, balanced game. WarPlan is very close to being a well balanced game.
I want to deliver to everyone a global game that encompasses the best of what I have to offer. It has been a vision of mine for a long time to create this kind of game. Now, it’s getting closer to reality. I hope you all enjoy the WarPlan Pacific when it comes out April 29th, 2021.
Merci pour cet interview. J’ai pu échanger avec lui sur les forums. Il est très réactif, sauf sur un point crucial pour moi, l’absence de version française…
Avec plaisir Jacques.
C’est en fait l’éditeur, Matrix-Slitherine en l’occurrence, qui peut mobiliser les ressources nécessaires pour éventuellement traduire en français.